Comment rétablir l'équilibre de la branche famille de la Sécurité sociale ? La question a été posée par le gouvernement à Bertrand Fragonard, président du Haut Conseil de la famille (HCF), qui doit remettre sur le sujet un rapport très attendu, ce jeudi 4 avril. Retour sur certaines préconisations de ce rapport avec Christophe Marques, économiste spécialisé dans l'étude des politiques publiques. Entretien.
La branche famille de la Sécurité sociale affichant un déficit de 2,6 milliards d'euros en 2013, le gouvernement a confié au Haut Conseil de la famille le soin de réaliser une étude pour le guider. Le rapport Fragonard, qui doit être remis ce jeudi 4 avril au gouvernement, multiplie donc les pistes d'économies, dont certaines visent les allocations familiales. Un sujet sensible qui promet de vives polémiques dans les mois à venir.
JOL Press : La branche famille de la Sécurité sociale affiche un déficit de 2,6 milliards d'euros en 2013. Une réforme semble nécessaire mais est-ce une priorité ?
Christophe Marques : Fondamentalement, la priorité du gouvernement est de parvenir à réduire le déficit public. A défaut d'un véritable assainissement des finances publiques, la confiance de ses créanciers pourrait s'éroder. Ceux-ci réclameraient alors des taux d'intérêt plus élevés et difficilement soutenables pour l'Etat.
La réduction des déficits ne peut uniquement passer par des augmentations d'impôts. Le gouvernement doit également réduire sa dépense et adopter des réformes structurelles dans différents domaines, dont la plupart sont particulièrement sensibles. A cet égard, les possibilités d'économies dans le domaine de la protection sociale sont à étudier car potentiellement importantes. Cela implique notamment des réformes de fond dans le système de santé, de retraite, mais également dans la politique familiale.
En effet, les comptes de la sécurité sociale se sont fortement détériorés au cours de la dernière décennie. La crise économique n'y est certes pas étrangère mais un fort déséquilibre existait déjà auparavant. Même si les comptes sociaux ne représentent qu'une part modérée du déficit public (environ 13% l'an dernier), il est impératif de les assainir. Financer de manière récurrente les aides aux familles, la santé et la retraite par de l'endettement ne se justifie pas économiquement.
JOL Press : Selon le « rapport Fragonard », « toutes les familles conserveraient le droit à ces allocations mais leur montant diminuerait avec le revenu ». Sur le principe, est-ce opportun de toucher au principe d'universalité en matière de politique familiale ?
Christophe Marques : Avec les propositions du rapport Fragonard, le principe d'universalité demeure car les familles aisées continueraient de bénéficier des allocations, bien que dans une mesure nettement moindre. Le principe d'uniformité disparaît en revanche, mais cela se justifie économiquement.
La politique familiale vise à soutenir la natalité. Avoir des enfants induit un coût important et certains ménages peuvent ainsi renoncer à s'élargir pour des raisons purement financières. C'est là qu'intervient le plus efficacement les allocations familiales. Mais plus le niveau de revenu des ménages augmente, plus le frein financier s'atténue. Arrivé à un certain niveau de revenu, le critère financier ne rentre plus en compte dans le choix d'avoir ou non un enfant. Les prestations familiales constituent ainsi pour les ménages les plus aisés un pur effet d'aubaine.
Si l'objectif de la politique familiale est bien le soutien à la natalité, en mettant l'accent sur les familles les plus modestes, on accroît son efficacité.
JOL Press : Dans le scénario le plus sévère - afin de réaliser 1,5 milliard d'économies par an - les « familles aisées » seraient celles qui perçoivent 3 885 euros par mois. Si un tel scénario était adopté, quelles seraient les conséquences pour la gestion des finances dans ces familles ? Et quelles conséquences pour l'économie du pays ?
Christophe Marques : Plus le revenu est élevé et moins les allocations remplissent un rôle de soutien financier. Le tout est de savoir où placer le curseur pour ne pas pénaliser les familles qui en ont besoin. Il est important de préserver le pouvoir d'achat des ménages modestes et de la classe moyenne. Une réduction des aides pour ces populations impacterait négativement leur consommation. Or avec un chômage toujours croissant et un alourdissement de la fiscalité, la consommation des ménages est déjà malmenée. Elle a stagné l'an dernier et nous estimons qu'elle ne progressera que de 0,2% cette année, ce qui est très faible.
La réduction des allocations familiales aura assurément un impact financier sur le budget des ménages, mais il aura également un impact psychologique. En effet, voyant les impôts s'alourdir et les aides se réduire, les ménages pourraient être incités à accroître leur épargne de précaution. A cet égard, l'application du scénario le plus sévère du rapport Fragonard n'est pas souhaitable pour l'économie française. Le gouvernement doit trouver un juste milieu.
JOL Press : Comment définir des plafonds sans craindre une certaine forme d'assistanat ? On pense à ces femmes qui arrêteront de travailler car la somme des allocations serait alors plus intéressante.
Christophe Marques : C'est une question qui revient dès qu'une nouvelle aide aux personnes à revenu modeste est proposée. Il n'est pas possible de définir un plafond qui éviterait un effet de « trappe à inactivité ». Cette trappe n'apparaît en effet pas du fait d'une aide en particulier mais de l'accumulation de plusieurs aides, à la fois financières, comme le RSA ou les allocations logements, et non financières, comme les réductions dont peuvent bénéficiers certaines populations pour les services publiques (piscine, bibliothèque...)
Pour éviter une forme d'assistanat, la réflexion ne doit pas porter spécifiquement sur la réforme des allocations familiales mais sur l'articulation des différentes allocations sociales. Il s'agit donc d'un débat plus vaste.
JOL Press : Une telle politique pourrait-elle avoir des conséquences sur la natalité ?
Christophe Marques : Les associations pour la famille sont très critiques vis-à-vis d'une dégressivité des allocations. Leur premier argument est de dire qu'en réduisant l'aide pour les ménages en fonction de leur revenu, cela aura un impact négatif sur leur natalité. Ceci n'est pas tout à fait juste. Nous l'avons dit, arrivé à un certain niveau de revenu, le frein financier pour avoir un enfant disparaît. A l'inverse, ce frein est très important pour les ménages modestes et existe pour ceux de la classe moyenne. En recentrant les allocations sur les ménages à revenu modéré, on peut au contraire soutenir plus efficacement la natalité du pays.
Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press.
Christophe Marques est économiste, consultant chez Asterès, et spécialisé dans l'étude des politiques publiques.