Accord transatlantique : comment le rendre gagnant-gagnant pour les peuples et les entreprises ?

Par Bertrand de Kermel Publié le 13 février 2015 à 5h00
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@shutter - © Economie Matin
75 millionsLa mondialisation a sa part de responsabilité dans le chômage de 75 millions de jeunes sur la planète.

L’accord transatlantique encours de négociation entre l’Union Européenne et les Etats Unis est un cas d’école emblématique pour deux raisons : S’il est mené à bonne fin, il constituera la plus vaste zone de libre échange jamais négociée dans l’histoire de l’humanité. Par ailleurs, l’ambition des Etats Unis et de l’Europe est de négocier un accord transposable à l’OMC, c’est à dire un accord engageant à terme pratiquement tous les pays du monde.

« Ce que nous tentons de mettre en place n'est rien de moins qu'un modèle standard mondial qui pourra s'imposer aux autres pays, voire à l'Organisation mondiale du commerce » (OMC), indiquait un haut fonctionnaire américain à la presse, lors de la visite du président OBAMA à Bruxelles fin mars 2014. Il est enfin très controversé, ce qui en fait une base de travail idéale pour engager une réflexion sur la mondialisation, ses défauts les plus criants et les aménagements à y apporter. S’il est amélioré, peut être largement bénéfique pour la planète.

La gestion de la mondialisation depuis 30 ans, est un échec collectif

Dans une chronique publiée par Les Echos le 20 janvier 2014, Monsieur Klaus Schwab, président fondateur du Forum économique mondial de Davos, après avoir qualifié de « poudrière » la situation des 75 millions de jeunes au chômage sur la planète, ajoutait : « … J'estime que cette situation est le résultat d'un échec collectif face à la façon de gérer les conséquences de la mondialisation. Un échec qui s'est construit pas à pas au cours des dizaines d'années qui viennent de s'écouler. Au fond, le message délivré par les militants antimondialisation au tournant du siècle dernier était juste... »

Personne n’a réagi à cette chronique pourtant fondamentale. Il faut également souligner que depuis plusieurs années, le Forum de Davos fait part de ses inquiétudes sur les conséquences des inégalités dont le niveau est devenu indéfendable, et sur le chômage, sans que cela inquiète vraiment.

Tout cela est pourtant très sérieux J’en veux pour preuve l’article paru dans Economie matin du 30 janvier 2015 dans lequel on apprend, que des gestionnaires de hedges funds achètent des ranchs et des terres dans des endroits comme la Nouvelle Zélande, pour s’y réfugier en cas de troubles civils importants. Ils y installeraient des pistes d’atterrissage pour leurs jets privés.

On y apprend également que « dans les allées feutrées du Forum économique international de Davos, on s’échange les bons plans pour savoir où acheter pour survivre dans les meilleures conditions de confort et de sécurité ».

Si tout cela est vrai, Klaus Schwab n’est pas le seul à constater que la mondialisation est un échec. La réponse ne peut donc pas être l’accord transatlantique tel qu’il est aujourd’hui conçu, et encore moins son système d’arbitrage qui va exaspérer les peuples, voire déclencher les premières émeutes.

Pourquoi l’accord transatlantique actuel ne peut-il être la réponse ? Parce qu’il est construit sur le modèle des accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) des années 90 - 2000, ceux qui ont conduit à l’échec dénoncé par Klaus Schwab. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il nous conduira lui aussi à l’échec collectif. Il faut donc l’améliorer. Klaus Schwab n’ayant proposé aucune solution pour transformer en réussite l’échec qu’il dénonce, il nous faut donc réfléchir par nous –mêmes, en nous appuyant sur les nombreux travaux menés de toute part sur ce thème de la mondialisation par la société civile.

La mondialisation doit devenir une réussite

Pour le Comité Pauvreté et Politique, si l’on veut atteindre l’objectif ambitieux des négociateurs de créer un modèle reproductible à l’OMC et tracer ainsi le cadre d’une mondialisation plus juste et plus humaine, il faut élargir le champ de la négociation au moins aux sept aspects suivants :

Inscrire expressément dans l’introduction que cet accord s’inscrit dans une politique de développement durable, laquelle repose sur trois piliers interdépendants et complémentaires : économique, social et environnement. Il faut surtout préciser qu’en cas de difficultés, l’accord devra être interprété par le juge au vu de ce principe.

C’est indispensable, si l’on veut que l’économie soit remise au service de l’Homme, et la finance au service de l’économie.

Prévoir un bilan régulier et public de l’accord, selon une procédure et une méthode et des critères qu’il faut fixer au moment de la conclusion de l’accord. Il faut aussi accepter d’ores et déjà le principe d’une discussion et d’une renégociation partielle, pour corriger des anomalies (grandes ou petites) ou des inconvénients imprévus qui apparaitraient à l’expérience. C’est le minimum. En France et en Europe, lorsqu’une Loi est imparfaite, elle est corrigée. Dans les accords mondiaux, (dont la valeur juridique est supérieure à nos lois et à nos constitutions), il faut pouvoir procéder de la même façon.

Négocier sur la dimension monétaire. Beaucoup pensent qu’il anormal de signer l’accord transatlantique en laissant aux Etats Unis la maitrise totale du dollar, c’est dire en leur donnant le droit de déséquilibrer l’accord à leur avantage à tout moment !

Le problème est bien connu. Il fut traité en son temps au niveau du marché commun par l’invention du « serpent monétaire ». Il faut le traiter ici, puisque, à l’instar du marché commun, nous créons un marché unique. Retenons les leçons du passé. Tout le monde admet que nous avons eu tort de créer l’euro sans prévoir une coordination engageante des politiques économiques des 28 pays européens. Cela nous coûte très cher.

Ne commettons pas dans un autre dossier une nouvelle erreur grave, qu’il sera quasiment impossible de corriger ensuite. S’il est vraiment trop complexe, ce sujet peut-être traité transitoirement au niveau de la proposition N° 6 ci-après.

Prévoir les conditions sociales minimales. Au XXI ème siècle, il est impensable que l’accord entre en vigueur sans que les deux continents et leurs Etats ou pays membres aient adhéré aux huit conventions fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail. La France les a toutes signées.

Les Etats Unis (première puissance mondiale, et Continent le plus riche de la planète), refusent de ratifier six de ces conventions : n° 29 (travail forcé, 1930), 87 (liberté syndicale et protection du droit syndical, 1948), 98 (droit d’organisation et de négociation collective, 1949), 100 (égalité de rémunération, 1951), 111 (discrimination (emploi et profession), 1958) et 138 (âge minimum, 1973).

C’est inacceptable. Elles ont toutes entre 40 et 60 ans ! Difficile de dire que les esprits ne sont pas encore mûrs pour les accepter ! Au-delà de la simple morale républicaine, il y a là une source de dumping social. C’est incompatible avec le développement durable.

Prévoir plus largement la prise en compte des dimensions sociale et environnementale. On ne peut pas se limiter à empêcher le dumping social. Il faut progresser pour améliorer la condition des personnes qui en ont le plus besoin. C’est tout simplement du « développement ». N’oublions jamais l’incendie du Rana Plazza, au Bangladesh, dans lequel mille personnes ont péri brulées vives, sachant qu’à ce jour, les familles n’ont pas reçu toutes les indemnisations auxquelles elles peuvent prétendre. N’est-ce pas indigne ?

Actuellement dans toutes les démocraties, le droit du commerce, le droit social et le droit environnemental sont au même niveau. Par exemple, en France :

Les entreprises doivent respecter le droit commercial. En cas de défaillance, elles seront condamnées par les tribunaux de commerce. Elles doivent respecter le droit du travail. En cas de défaillance, elles seront condamnées par le Conseil des Prudhommes. Elles doivent respecter le droit de l’environnement. En cas de défaillance, elles seront condamnées par le tribunal de Grande Instance ou le Tribunal correctionnel

Rien de tel dans la mondialisation. Aucun pays ne peut s’opposer à l’importation d’un produit sur son territoire, dès lors que les règles du commerce sont respectées, même si le produit a été fabriqué dans des camps de travail forcé (en piétinant la charte de l’ONU et les textes de l’Organisation Internationale du travail) et au prix de dégâts environnementaux majeurs. Rappelons-nous l’incendie qui a coûté la vie à plus de 1.000 employés brûlés vifs au Bangladesh.

Dans la mondialisation, le principe est que le droit du commerce est supérieur aux autres droits. Il faut s’en indigner et agir. C’est totalement inacceptable au XXIème siècle. Monsieur Ban ki moon, secrétaire général de l’ONU l’a rappelé publiquement, en déclarant à Beyrouth le 3 juin 2011 : « Nous ne pourrons construire un monde juste et équitable que lorsque nous accorderons un poids égal aux trois composantes du développement durable, à savoir les composantes sociale, économique et environnementale.

Dans le cadre de l’accord transatlantique, il est prévu de négocier un volet portant sur le développement durable. Le développement durable repose, rappelons-le, sur trois piliers inséparables : économie, social et environnement. La négociation principale portant sur le volet économique, le volet « développement durable » portera donc sur les deux autres piliers : environnement et social. Cette négociation doit aboutir à des dispositions ambitieuses et obligatoires, car l’accord transatlantique et censé être un modèle à transformer en accord OMC. Si ce n’est pas le cas, si on en reste à un, simple affichage, à des engagements moraux, le volet développement durable sera une fois de plus cantonné à un rôle de simple faire valoir, et la mondialisation restera durablement un échec.

Un exemple. Sur nos deux continents, les plus riches de la planète, il n’est pas acceptable que des Hommes vivent dehors 24 h sur 24. Pourquoi ne pas rendre le droit au logement opposable sur les deux continents, ce qui rendra obligatoire une évolution vers une réduction des inégalités que le Forum de Davos appelle lui-même de ses vœux, tant elle devient dangereuse ? Impensable ? Inimaginable ? Inconséquent ? Soit. Cherchons d’autres exemples moins ambitieux, mais qui engagent la mondialisation vers plus d’humanisme. C’est crucial.

Inscrire l’obligation de la réciprocité des échanges, et définir les mesures applicables en cas de déséquilibre sensible. Fixer le seuil au-delà duquel il y a déséquilibre sensible. C’est exactement ce que le Premier Ministre de la France vient de demander à la Chine.
La libéralisation des échanges par la suppression des droits de douane a pour effet de déplacer la fabrication de certains biens dans des lieux plus propices à sa production au meilleur rapport qualité-prix, et tout le monde en sort gagnant.
Selon le promoteur cette théorie, David Ricardo, cela ne peut être bénéfique que si les différents partenaires aux échanges se spécialisent dans les domaines où ils sont les meilleurs, et parviennent ainsi à un équilibre minimal entre importations et exportations.

En revanche, quand l’un des partenaires attire chez lui la majorité de la production, car il est extrêmement compétitif, et inonde ses partenaires de ses exportations, le système, au lieu d’être « gagnant-gagnant » devient « gagnant–perdant». Ce point est donc crucial. C’est une des façons de lutter contre les pratiques de dumpings monétaire, fiscal, social et environnemental dès lors qu’elles prennent trop d’ampleur. Pourtant, il a toujours été esquivé dans les accords commerciaux mondiaux. Il est vrai que les problèmes techniques de mise en application sont immenses, notamment parce que beaucoup de produits finis sont assemblés avec des composants provenant de toute part.

Néanmoins, des solutions existent. Timothy Geithner, le secrétaire d'Etat américain, avait proposé que chaque Etat limite à 4 % de son PIB son excédent ou son déficit commercial. Plus modestement, Lionel Stoléru, chargé en 2011 d’une étude sur ce sujet, proposait que chaque Etat fortement excédentaire ou déficitaire s’efforce de baisser pendant trois ans son excédent ou son déficit d'un demi-point de PIB par an. Selon lui, «cela suffirait sans doute à ramener les échanges mondiaux et l'emploi à l'équilibre». Ce sont des pistes.

Organiser le règlement des différends sur le modèle du Tribunal de l’OMC. Comme cela a été développé dans le précédent article il faut s’inspirer du fonctionnement de l’ORD (Tribunal de l’OMC) pur régler les différents. Il faut donc créer un « Organe de règlement des différends » calqué sur le modèle de celui de l’OMC. Comme c’est le cas à l’OMC, seuls, les Etats souverains, pourront le saisir. Il sera transparent. L’appel sera possible. Tout le monde aura accès aux décisions. Le moindre « dérapage » des juges sera sévèrement sanctionné. Le mécanisme de la question préjudicielle pourra s’appliquer normalement, entre Etats souverains membres de toutes ces organisations.

Aucune de ces sept priorités (pourtant non exhaustives, car il y a beaucoup d’autre mesures à mettre en place) ne figure clairement dans l’accord transatlantique. Voilà pourquoi il est très critiquable l’état, car il est aujourd’hui construit pour un type de mondialisation dépassé, qui a échoué, qui fonctionne trop souvent contre l’Homme. Il faut reconstruire cet accord, surtout s’il doit être élargi à toute la planète. Il sera ainsi un modèle qui servira d’exemple pour construire une mondialisation plus juste et plus humaine. Les deux continents les plus riches du monde ont là une opportunité à saisir. Il faut redresser la barre.

Ajoutons enfin que les accords commerciaux internationaux (accords bilatéraux ou multilatéraux) ont une force juridique supérieure aux traités européens, aux Lois nationales et même à toutes nos constitutions ! Il est donc grand temps que les politiques s’en occupent sérieusement, et y sensibilisent les populations.

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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