Monsieur le Président,
Il ne fait aucun doute que la décision de vous nommer à la tête d’une commission chargée « d’examiner les faiblesses du dispositif actuel, éclairer les enjeux de l'ouverture de certains commerces le dimanche et faire des propositions au gouvernement » est particulièrement judicieuse et habile. Qui en effet mieux que l’ancien président de la Poste, dont une très large majorité des anciens employés sait ce que signifie le travail du dimanche -en terme de contraintes mais aussi d’avantages tant financiers que pour la qualité de vie- pour évaluer sereinement ce que pourrait être l’ouverture des magasins qui le demandent le dimanche ?
La loi actuelle ne crée que des injustices
Car le débat, en France, porte sur ce point précis : alors qu’il est régulièrement question d’inscrire le principe de la liberté d’entreprendre dans la Constitution, des entreprises de services, des commerces, doivent négocier au cas par cas avec les préfets la possibilité d’ouvrir et d’accueillir des clients, sur la base d’une loi vieille de plus 100 ans, à peine rafistolée depuis. Et même avec une autorisation en main, une poignée de syndicalistes qui ne représentent qu’eux mêmes mais surtout vont le plus souvent à l’encontre de l’avis des employés de ces enseignes, peuvent les faire condamner. Lourdement. Malgré l’autorisation d’ouverture préfectorale.
Or, entre le 13 juillet 1906, date de la loi instituant le principe du repos dominical, et aujourd’hui, il y a plus d’un siècle qui se sont écoulés : c’est un changement total de société et de civilisation qui a transformé nos modes de vies dont il faut aujourd’hui prendre la mesure. Liberté d’entreprendre certes, mais aussi liberté de travailler et liberté de consommer devenues des réalités par la révolution Internet.
Les travailleurs du dimanche ne sont pas des travailleurs de seconde zone
Le dimanche en tant que tel ne veut plus rien dire. A qui peut on faire croire que le repos dominical est destiné à protéger les familles ? Huit millions de salariés du privé et du secteur public travaillent régulièrement le dimanche, sans former pour autant un lumpenproletariat indigne des mêmes droits que les autres. L’organisation de leur temps de travail, et de facto de leurs loisirs et de leur vie sociale et familiale est différente, voilà tout. D’ailleurs, on oublie un peu trop vite qu’en trente ans, le nombre de célibataires a plus que doublé. En France, en 2013, 4,4 millions de femmes et 3 millions d’hommes vivent seuls –sans enfant- et tous, loin s’en faut, ne sont pas des victimes. En 2013, on se met en couple plus tard, on se marie deux fois moins qu’il y a trente ans. Les modes de vie changent, la façon de travailler aussi. Entre ceux qui travaillent déjà le dimanche, et ceux qui n’ont pas ou pas encore d’enfants à charge, il y a largement de quoi répondre aux besoins en cas d’assouplissement de la loi.
Penses-t-on alors que la loi puisse protéger le petit commerce ? Alors que les Français classent Amazon largement en tête de leurs enseignes préférées, que Ventes-Privées.com se lance dans l’alimentaire, que l’e-commerce connaît une croissance à deux chiffres, imaginer préserver les commerces de centre-ville de la concurrence des magasins de réseaux en les obligeant à rester fermés le dimanche est utopique. Le dimanche est un des meilleurs jours en terme de chiffre d’affaires pour Amazon et consorts, et il ne suffit pas de croire que les Français ne rêvent pas de faire du shopping derrière leur écran pour que l’utopie se réalise. La loi doit évoluer pour permettre aux petits commerçants de s’adapter à ce nouveau contexte. C’est aussi une question de survie pour eux.
Protéger les salariés vous diront encore certains. De quoi ? De la perspective d’être rémunérés significativement mieux qu’en semaine ? De la chance d’avoir un emploi à temps plein et non des remplacements de ci de là, de l’intérim, du temps partiel ? Une étude du Conseil d’analyse économique, datant de 2007, estimait que la libéralisation du travail le dimanche pourrait créer jusqu’à 100 000 emplois. Aux Pays-Bas, où le travail du dimanche a été libéralisé, le temps de shopping moyen a été augmenté de 27 minutes par semaine. Au profit de tous les commerces, aussi bien de centre-ville que des périphéries. On n’y achète pas la même chose, voilà tout.
Monsieur le Président, vous entendrez tout et surtout n’importe quoi sur ce dossier. Mais à l’heure du chômage de masse, le temps des compromis n’est plus de mise. Dans tous les pays occidentaux où les freins au commerce et à l’activité économique ont été levés, la croissance est revenue, le chômage chute. C’est vrai, sans que la liste ne soit exhaustive, en Irlande, en Espagne, au Portugal, en Italie… La vigilance des syndicats et des inspections du travail, mais aussi la garantie d’une médiatisation immédiate de toute dérive, suffiront assurément à éviter d’éventuels abus.