Le "traité transatlantique", programmé depuis longtemps [1], fait couler beaucoup d'encre ces dernières semaines avec l'approche des élections européennes. C'est le point 23 du mandat définitif de négociation de cette grande zone de libre-échange entre l'UE et les États-Unis [2] qui fait le plus polémique. Il s'agit du mécanisme de protection des investissements qui conduira des groupes privés à attaquer les États, via un tribunal d'arbitrage, s'ils considèrent que la politique de ceux-ci nuit à leurs investissements. Cela signe la fin de la démocratie et un retour aux féodalités économiques.
Ce mécanisme scandaleux éclipse les autres dommages que causera ce nouveau traité. Je veux bien évidemment parler de toutes les conséquences négatives pour les intérêts économiques français et nos services publics.
Les normes américaines feront foi
Le traité transatlantique implique la fin des droits de douane entre les deux blocs. Cela a finalement assez peu d'impact puisque les droits de douane sont déjà très faibles dans l'UE vis-à-vis de l'extérieur (3,1 % [3]). Le danger vient évidemment de la suppression progressive de toutes les barrières non tarifaires, notamment les normes, qu'elles soient sanitaires, juridiques ou environnementales, normes qui sont les dernières protections existantes dans le cadre d'une UE libre-échangiste et naïve commercialement.
Tant sur le plan comptable, financier, environnemental que sanitaire, il est évident que ce sont les États-Unis qui vont imposer leurs normes à l'UE et cela pour au moins trois raisons :
- les États-Unis sont encore la plus grande puissance économique du monde ;
- les États-Unis ont une vision claire, cohérente et unifiée là où l'UE n'est qu'un amas d'États avec des intérêts nationaux complètement divergents. L'union fait la force quand tout le monde va dans le même sens. Par nature, c'est l'inverse qui se produit avec l'UE ;
- l'UE présentée aux Européens comme un moyen de faire contrepoids aux États-Unis est en réalité une création américaine au service de ses intérêts géostratégiques [4]. Les derniers événements en Syrie et en Ukraine ne font que le confirmer. Ce nouveau traité est à cet égard en cohérence totale avec ce qu'est réellement l'UE.
La disparition progressive de notre industrie, notre agriculture et nos services publics
À la lumière de ce constat, on peut aisément anticiper les conséquences sur notre industrie et notre agriculture, qui ont déjà été mises à rude épreuve depuis le traité de Maastricht et l'adoption de l'euro.
Les États-Unis jouissent d'un dollar faible face à un euro surévalué d'au moins 30 % par rapport à la compétitivité intrinsèque de l'économie française [5]. Ajoutons à cela le choc de compétitivité dont bénéficie l'économie américaine avec l'exploitation du gaz de schiste [6], et il est évident que notre industrie sera à terme balayée.
[7]
Notons aussi que l'industrie culturelle (cinéma, littérature, musique, jeux vidéo, etc.) qui représente 3,2 % du PIB [8], pourrait à terme être mise en danger. Le gouvernement se targuait d'avoir conservé "l'exception culturelle" [9] mais le mandat est beaucoup plus vague puisqu'il parle de "promotion de la diversité culturelle telle qu’elle est prévue dans la Convention de l’UNESCO". Depuis les accords Blum-Byrnes de 1946, la culture anglo-saxonne (et souvent le pire de celle-ci) prend une place de plus en plus importante au détriment de la culture française et des autres cultures du monde ; cela pourrait être le coup de grâce.
Concernant l'agriculture, ce traité signera l'arrivée massive d'OGM et de produits issus de l'agriculture productiviste qui est la norme aux États-Unis. Au-delà du risque sanitaire des OGM, du bœuf aux hormones ou du poulet chloré, ces grandes exploitations avec des travailleurs immigrés souvent sous-payés qui représentent 75 % des travailleurs saisonniers seront une concurrence redoutable [10].
À l'heure où la PAC devient la variable d'ajustement de l'UE, les conséquences pour notre agriculture sont alarmantes [11].
Enfin, l'article 106 du TFUE (traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) [12] remettait déjà en cause nos services publics, il est évident que cela va s'aggraver avec ce traité comme en atteste le point 15 :
"L’objectif des négociations sur le commerce des services sera de lier le niveau autonome existant de la libéralisation des deux parties au plus haut niveau de libéralisation tel qu’il existe dans les accords de libre-échange (ALE) existants, tout en cherchant à atteindre de nouveaux accès au marché en éliminant les obstacles d’accès au marché de longue date restants."
Le point 19 qui promet de conserver un niveau raisonnable de service public pour l'UE n'est pas très sérieux puisqu'il se base sur le TFUE qui comme nous l'avons vu organise lui-même le démantèlement de nos services publics.
Ce traité porte en lui les germes d'un drame économique et social pour la France. Il passera dans le dos des peuples, sans l'aval des parlements nationaux, bref, dans la plus grande tradition démocratique bruxelloise. Les gouvernements n'avaient d'ailleurs même pas accès au contenu des négociations [13] – c'est dire si tout est transparent et sans le moindre risque !
L'Union Populaire Républicaine (UPR) dénonce depuis sa création (en 2007) la "construction européenne" pour ce qu'elle est : un instrument de domination géopolitique piloté par les États-Unis. L'UE est la face politique de ce dispositif et l'OTAN la face militaire. Le traité transatlantique peut encore être rejeté par le Parlement européen. C'est une raison de plus de voter pour les listes UPR aux élections européennes du 25 mai 2014 [14].
[1] https://eeas.europa.eu/us/docs/new_transatlantic_agenda_en.pdf
[3] https://www.senat.fr/rap/r05-120/r05-12030.html
[10] https://www.wisconsinwatch.org/2009/11/04/immigrants-now-40-of-states-dairy-workforce/
[12] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:12012E/TXT&from=EN
[13] https://www.contrelacour.fr/ttip-gouvernement-prives-acces-documents/