Lubrizol : la communication douteuse du gouvernement

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Par Thierry Le Gueut Modifié le 23 janvier 2013 à 21h15

A la « faveur » d’un incident technique, ou du moins ce que l’on doit considérer comme tel au moment ou j’écris ces lignes, la France entière découvre l’entreprise Lubrizol, son mercaptan, et sa fâcheuse propension à faire annuler un match de Coupe de France à Diochon, à quelques 2 kilomètres, entre ce bon vieux FCR et l’Olympique de Marseille. Ce qui est désagréable…

L’odeur pestilentielle qui a envahi l’agglomération rouennaise en cette soirée du 21 janvier 2013 n’a cependant rien de nouveau. Si elle a surpris par sa diffusion au delà de la communauté urbaine, pour aller même rejoindre les cêtes anglaises, et comble de l’horreur, évidemment, Paris, les « vieux «  rouennais en ont déjà humé les effluves depuis bien longtemps. Il n’était pas rare, dans les années soixante de se réveiller aux quatre coins de l’agglomération avec cette odeur d’œuf pourri, qui à l’époque, si l’on peut dire, faisait partie du paysage olfactif.

L’inquiétude des rouennais à l’égard de cette entreprise n’est donc pas nouvelle. Classée « Seveso », cette unité chimique construite en 1954 cristallise toutes les attentions, et pas seulement celles des écologistes (d’ailleurs curieusement fort discrets au niveau local), sur le sujet. Disons pour faire rapide, que dans l’esprit de ceux qui s’intéressent un peu à la prévention des risques, le cas Lubrizol à Rouen, s’apparente, grosso modo, au cas AZF à Toulouse. Rassurrant…

Il n’entre pas dans l’idée de l’auteur de ces lignes de faire un diagnostic scientifique de ce problème qui est survenu, et qui n’est toujours pas finalisé. Faute de compétence, il convient de s’abstenir.

En revanche, il n’est pas inutile d’observer la communication faite autour cet « évènement ». Et d’observer son timing. Le problème survient à huit heures du matin le lundi 21 janvier, ce qui entraîne la constitution d’une cellule de crise à dix heures. Conditions météorologiques aidant, seules les communes de Jumièges, Canteleu, et celles remontant vers le Pont de Tancarville étaient touchées par des vents d’Est. Point de mention à la mi-journée d’un quelconque incident, de par la préfecture ou les médias. Le cantilien (habitant de Canteleu) moyen peut s’égosiller auprès des services de secours, rien ne transpire, si l’on peut dire.

Les vents étant ce qu’ils sont, forcément imprévisibles, dans cet après midi de lundi, rien ne se passe. Strictement rien. Pas une alerte. Rouennais, dormez tranquilles.

Sauf qu’évidemment, les vents tournent et que là, vers, vingt-trois heures monsieur Dupont 76 et Madame Michu 76, alertés par l’odeur, vérifient leurs installations de gaz, téléphonent aux voisins, appellent les pompiers. Et à la levée du jour sur la première Radio de France, comme on dit, j’entends la supplique du présentateur de la Matinale me dire (« me », parce que je suis concerné , quand même…), « s’il vous plait, n’appelez pas les pompiers ! »Moment totalement surréaliste… Les gens carillonnent au SAMU, les pneumologues sont submergés d’appels, les généralistes font face aux maux de tète divers et nausées variées, et le message est simple. Arrêtez d’appeler.

Bien sur, le ton change quand ça arrive sur Paris. Evidemment ça se serait arrèté au périph, l’affaire était encore gérable… Mais Paris… Et là, on commence à s’inquiéter. Rappelons que la crise a débuté il y a vingt-quatre heures. Et qu’on n’ose pas croire que les instances préfectorales n’aient pas été tenues au courant minute par minute.

Nous sommes donc mardi matin disons vers huit-dix heures. La préfecture doit pondre un communiqué. Elle s’attaque donc à l’urgence. Sans mentionner la raison, ce qui est quand même le comble, elle exige la suspension du match du FCR contre l’OM (susdit) qui pourrait mettre en cause la santé des joueurs et des spectateurs. Au dela du fait que le club qui accueille n’est même pas prévenu (ce qui est aberrant mais pas très grave en soi, le FCR s’en remettra), toute personne normalement constituée est scandalisée. Si des sportifs de haut niveau ne peuvent disputer un match de football dans des conditions considérées comme douteuses, ce que l’on peut concevoir, comment admettre que les écoles ne soient pas fermées, que les cours de sport ne soient pas au minimum annulés, et que des gamins soient exposés à des risques visiblement insupportables pour des athlètes confirmés.

Vient le mardi soir. Jusqu’ici, la situation est « under control ». Pas de soucis… Et hop, qui voila, revenant d’urgence de Berlin, Delphine Batho ? (la ministre de l’Ecologie, pour ceux qui n’ont pas tout suivi). Et elle dit , évidemment que la situation est maitrisée, ce qui dans l’inconscient collectif français, Tchernobyl aidant, signifie juste qu’elle n’en sait rien mais qu’on lui a dit que ça serait bien qu’elle vienne pour la photo dans Paris Normandie (qu’elle aura, d’ailleurs ce mercredi).

Donc, il y a pas de problème. Y ‘en a-t-il jamais eu d’ailleurs ? Tout va se régler en quarante-huit heures, maxi. D’ailleurs les opérations de rafistolage chimique commencent ce mardi vers vingt-deux heures, pour traiter les fameuses 35 tonnes de produits concernés. Léger détail, cela ne commence qu’’à trois heures du matin, cela ne peut se faire que la nuit, et juste 2 tonnes ont été traitées en une nuit, justement… Je vous épargne la règle de trois, l’affaire n’est pas conclue. Accessoirement, on nous prévient que ça fuit toujours. Merci, on avait compris.

Plus sérieusement, au-delà de ce flop de communication et de failles diverses et variées, ce qui reste tout de même problématique, c’est que le sentiment général (partagé d’ailleurs sur de nombreux réseaux sociaux) est qu’il y a embrouille et « qu’on ne nous dit pas la réalité ». Peu importe le bien fondé ou non de cette réflexion populaire qui anime les comptoirs des bars de L’Eure et de la Seine Maritime, mais elle est aujourd’hui réelle. Et évidemment inquiétante dans une région qui a par ailleurs, une densité d’installations chimiques, petrolières et nucléaires non négligeable…

Mais bon, tout va bien, FCR-OM est reprogrammé le 30 janvier…Jusque là, on aura du Pain et des Jeux…

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Thierry Le Gueut, vieux routier des médias (20 ans notamment au journal Le Monde) a été dans le civil dirigeant d'un club amateur pendant 17 ans, et est supporter de l'AS Saint Etienne et du Football Club de Rouen.

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