La croissance française souffre de la mauvaise santé globale de son appareil productif et du manque de confiance de la société en l’avenir de son industrie. Les causes de la désindustrialisation de notre pays sont complexes et multiformes. Parmi celles-ci, il en est une trop souvent négligée et pourtant essentielle : la capacité des jeunes à avoir confiance en l’industrie de demain. L’avenir se construit avec ces générations-là. Si les entreprises d’aujourd’hui portent la responsabilité immédiate de l’avenir industriel du pays, nous avons, en tant qu’établissement de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, la mission de préparer les nouvelles générations à intégrer et développer ce secteur.
C’est convaincu de cette nécessité que nous publions à Arts et Métiers ParisTech, pour la deuxième année, notre baromètre sur "Les lycéens et l’Industrie"*. Le constat est une nouvelle fois sans appel : l’industrie française a une mauvaise image. Si nous le pensons, nos jeunes également ! Selon notre baromètre, seuls 69% des jeunes lycéens scientifiques et technologiques ont une bonne image de l’industrie, loin derrière le commerce et l’artisanat (84%). La crise économique et les fermetures de sites pèsent négativement sur l’image de l’industrie auprès des lycéens. Seulement 38 % d’entre eux sont confiants dans l’avenir de l’industrie en France, et moins de la moitié aimerait travailler dans ce secteur.
Et pourtant, loin de ce constat affligeant, nous disposons, à bien y regarder, des leviers nécessaires pour agir positivement et reprendre espoir : 82% des lycéens saluent la capacité des entreprises industrielles à innover et à être en contact avec les technologies de pointe (81%). Ils apprécient aussi la diversité des métiers (77%) et les perspectives de carrières à l’international (70%).
Plus intéressant encore, lorsque l’on remplace le terme "industrie" par "technologie" la perception des lycéens devient totalement différente : si le secteur industriel est parmi les moins attractifs, le secteur technologique arrive très largement en tête avec 91% d’opinions favorables !
C’est là le principal constat que je veux dresser et c’est ma conviction profonde : l’avenir de l’industrie repose sur la refonte d’une filière de formation technologique cohérente allant du bac -3 au Bac +8. Pourquoi la France est-elle le seul pays industrialisé au monde à avoir peur du terme " technologie"? Nous en avons fait une voie d’orientation par l’échec dans le secondaire, condamnant ces jeunes à des perspectives de poursuite d’étude et professionnelles limitées. C’est au mieux une filière courte dans le supérieur qui s’arrête au niveau Licence. D’ailleurs, la loi sur l’Enseignement supérieur et la Recherche promulguée en juillet dernier donne en creux l’état des lieux puisqu’elle indique qu’il faut assurer un pourcentage minimal de bacheliers technologiques dans les IUT. On est encore loin d’une ambition d’études supérieures au plus haut niveau, menant jusqu’au doctorat ! Et pourtant, l’avenir de l’industrie passe largement par les bacheliers technologiques, car c’est parmi eux que l’on retrouve la part la plus importante de jeunes motivés par l’industrie. Parmi ceux souhaitant aller vers une carrière industrielle, le métier d’ingénieur bénéficie d’un attrait qui se traduit par une volonté importante des lycéens de suivre des études d’ingénieur. Cet engouement est encore plus fort parmi les bacheliers technologiques qui sont 66% à vouloir faire des études d’ingénieurs.
Alors, arrêtons de nous vivre comme une exception. Notre système dual dans le supérieur n’est pas une lubie française, il est une réalité internationale. Tous les pays industrialisés au monde ont fait le choix de construire, à côté d’universités pluridisciplinaires des universités de technologie dont la mission première est de former les cadres de l’industrie de demain et d’accompagner les entreprises à innover. Je le revendique en tant que Directeur d’une des plus anciennes écoles françaises d’ingénieurs ayant contribué à former les cadres de l’industrie pendant plus de 200 ans : l’avenir des Arts et Métiers est de devenir un grand établissement de technologie formant certes des ingénieurs mais également des docteurs. Nous voulons être des attracteurs de la filière technologique et répondre à cette envie exprimée par ces bacheliers de travailler dans les secteurs technologiques. L’objectif est de faire que la voie technologique soit reconnue comme une voie à part entière et un facteur d’orientation par choix positif et raisonné dès le secondaire. C’est l’axe fort de notre projet stratégique 2015-2025 qui prévoit l’ouverture de nouvelles formations, dont, dès la rentrée prochaine, le Bachelor de Technologie destinée aux bacheliers technologiques STI2D.
Il est par ailleurs essentiel de favoriser l’innovation, et donc la prise de risque, dès le plus jeune âge. L’innovation est source de créativité. L’innovation est source de richesse. Et l’innovation crée des produits, des emplois … et certainement des envies.
Mais ce travail ne peut se mener seul. Tous les acteurs concernés par la réindustrialisation de la France, institutions publiques, établissements scolaires, entreprises, doivent accompagner ce mouvement. Et les initiatives existent pour faire bouger les lignes (34 plans industriels, structuration de bac-3 à bac+3, école 42 de Xavier Niel…). Mais ce n’est pas simplement une énième réforme de l’enseignement en France dont il s’agit. C’est un vrai projet de société qui en appelle à la mobilisation générale.
Avec la mise en œuvre d’une stratégie commune, volontariste et proactive, nous pouvons mettre en avant les réussites "made in France", démontrer à nos jeunes que la technologie est associée à l’industrie, que tous leurs produits préférés sont issus de l’industrie. Montrons-leur que la technologie est au service de la société et qu’intégrer ce secteur d’activités c’est aussi participer à améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens et donner du sens à sa vie professionnelle.
Baromètre "Les jeunes et l’industrie" Arts et Métiers – Opinion Way, réalisé sur un échantillon représentatif de 505 lycéens de baccalauréat scientifique et technologique entre le 25 et 31 mars 2014.