Oui, encore faut-il le lui demander, et en tenir compte.
L'épargne française est ample nous disent les comptes nationaux, suffisante nous dit même le dernier rapport officiel en la matière, celui de Karine Berger et de Dominique Lefebvre.
Mais elle n'est pas où on la cherche, disent les patrons, les innovateurs, les jeunes porteurs de projet, et même les deux rapporteurs. Et elle est bien trop là où elle ne fait que colmater les trous de la dépense publique, dans l'assurance vie ou le Livret A. Le paradoxe est d'autant plus violent que cette part de l'assurance vie est très peu rémunérée.
Cette épargne cherche plutôt la sécurité et une fiscalité compréhensive – et la liquidité, notamment les acheteurs étrangers. Et celle du Livret A alimente un emprunt perpétuel, destiné en théorie destiné à financer le logement social, mais détourné depuis longtemps de son objectif. Le déficit budgétaire est en effet un aspirateur géant de capitaux, de ressources, de projets.
Pour en sortir, il faut réconcilier l'épargne avec le futur, avec le risque qui va avec, donc avec une rémunération adéquate. A côté d'une « épargne passive » qui veut éviter le risque, et qui alimente en réalité celui d'un Etat qui ne fait pas les efforts qu'il faut pour se moderniser, donc pour réduire le risque de l'économie et de la société dans son ensemble, il faut soutenir « l'épargne active ».
L'épargne active est celle des entreprises, créée par elles plus destinée à elles. C'est le profit qui sera créé par les entreprises et conservé en leur sein, l'autofinancement, plus la part de revenu qui sera directement ou indirectement drainée vers elles. Directement, ce sont les actions acquises par les particuliers. Indirectement, ce sont celles acquises par le truchement de gestionnaires de fonds, soit pour des particuliers, des compagnies d'assurances, ou encore des fonds de retraite...
On le comprend, l'achat direct ou l'achat intermédié obéissent chacun à des logiques en partie semblables, à savoir participer à la croissance de l'entreprise et bénéficier de ses résultats, mais en partie différentes, essentiellement selon la combinaison d'actions qui sera retenue, fonction elle-même des risques, pays, secteurs... désirés. Donc il ne suffit pas de savoir si l'épargne est quantitativement suffisante, encore faut-il savoir où elle se dirige, et plus précisément où va « l'épargne active ».
D'abord, dire que l'épargne est suffisante, ce que fait le rapport Berger-Lefebvre, c'est comparer la situation de la France par rapport à ses voisins et concurrents, c'est aussi (beaucoup ?) prendre en compte la situation du pays. En effet, la conjoncture française est extrêmement fragile. Les entrepreneurs serrent les stocks et les investissements, les ménages réduisent l'investissement logement : la pente est dépressive, sauf à jouer sur la résilience de la consommation. C'est bien ce qui se passe.
C'est donc bien pourquoi les autorités politiques ne veulent absolument pas prendre le risque d'augmenter le taux d'épargne. C'est donc au sein de la masse d'épargne que les choses doivent se passer, selon une double logique : d'abord stabiliser l'épargne populaire « en confortant l'épargne réglementée », rapport Berger-Lefebvre page 7, ensuite « réorienter et mobiliser à hauteur de 15 à 25 Md€ par an et 100 Md€ d'ici la fin du quinquennat l'épargne financière des ménages en faveur des entreprises et plus spécifiquement des PME et des ETI».
Ensuite, cette réorientation-mobilisation doit jouer sur les conduits de traitement fiscal de l'épargne, en étudiant leurs effets pervers, et surtout « redonner aux assureurs des marges de manœuvre dans l'allocation d'actifs en faveur de l'économie productive et inciter les épargnants les plus à même de le faire vers le financement des entreprises ». C'est l'idée de maintenir, au-delà d'un certain niveau d'encours (500 000 euros) l'avantage fiscal surtout aux contrats en unités de compte et « Eurocroissance » avec, au sein de ces contrats, un compartiment obligatoire en fonction des PME.
On verra, avec la loi, ce que devient ce rapport. Il a l'avantage de montrer l'importance de l'épargne active, encore plus de celle qui finance les PME, pour la croissance et l'emploi. Il légitime un traitement fiscal favorable pour les PME, car si on comprend qu'il faut « placer » les bons du trésor français, on mesure aussi l'effet d'éviction que ceci implique, au détriment des entreprises, notamment les plus risquées, autrement dit aussi les plus porteuses de croissance ! Il faut donc savoir ce que l'on veut, et infléchir les aides.
Pour autant, l'histoire n'est pas écrite. Les dernières données publiées par l'AFIC, publiées le 10 avril 2013, montrent en effet que la France a investi 6,1 milliards en capital-investissement en 2012, contre 9,7 en 2011. Phénomène plus préoccupant encore, les levées de fond s'inscrivent à 5 milliards en 2012, contre 6,5 en 2011.
L'histoire est claire : les nouveaux milliards nécessaires pour financer la croissance ne sont pas là, les milliards antérieurement collectés ne seront pas aisément remplacés. D'ici un à deux ans, l'industrie du capital-investissement peut être sérieusement impactée.
Moralité : il faut de « l'épargne active ». Il faut que la masse d'épargne disponible devienne de plus en plus « active », ce qui implique certes qu'on lui maintienne un traitement de faveur et que celui qui va l'épargne passive, pour le financement du déficit public, se réduise, pour la bonne raison que le déficit se réduira. L'épargne sera d'autant plus au secours de la croissance qu'elle n'en sera pas détournée.