Le conflit qui oppose depuis des mois les taxis aux plateformes de VTC type Uber fait couler d’autant plus d’encre que chacun y voit un symbole. Pour les uns, c’est celui de la « disruption » numérique et du risque qu’encourent les acteurs traditionnels face aux nouveaux entrants « digital natives ». Pour d’autres, c’est celui d’un cadre réglementaire dépassé, qui briderait l’innovation et l’esprit d’entreprise. Pour d’autres encore, celui de la casse sociale qui accompagnerait l’économie du partage.
Mais, aussi pertinents soient-ils, tous ces commentaires ont en commun de ne s’intéresser qu’à l’offre. Jamais à la demande. Or, sans clients, Uber et consorts ne feraient pas autant de vagues. La vraie source du problème, et la seule explication de la fulgurante réussite des plateformes de VTC, est qu’il existait à Paris comme dans toutes les grandes villes du monde une demande de mobilité qui n’était pas satisfaite et qui, soudain, a trouvé une réponse. S’il doit y avoir un symbole dans cette affaire, c’est d’abord de celui-là.
Depuis vingt ans, l’offre de mobilité urbaine est loin d’avoir évolué au même rythme que les attentes des consommateurs, remodelées par Internet et le téléphone mobile. Malgré des progrès sensibles en termes de durée des trajets, de confort, d’information ou de services, les transports individuels et collectifs n’ont pas suivi les exigences de citadins pressés, connectés, habitués dans d’autres domaines à des standards de plus en plus élevés de choix et de services. Dans des villes surpeuplées, où beaucoup ont renoncé à la voiture individuelle, voire au permis de conduire, se déplacer est devenu excessivement coûteux, complexe et chronophage. Bref, en comparaison de tout ce que les autres secteurs s’efforcent de proposer, une « expérience client » désagréable.
Rien d’étonnant dans ce contexte qu’un service de « voiture avec chauffeur », piloté depuis son smartphone et offrant des prestations de qualité, rencontre un succès immédiat. Ou que dans toutes les villes du monde, des systèmes de vélos et de voitures en libre service se développent si rapidement qu’on croirait les avoir toujours connus. Ou que se multiplient les start-up et les initiatives innovantes, jusqu’au récent accord conclu entre GM et Lyft pour créer un réseau de véhicules autonomes. La mobilité urbaine est en train de faire sa révolution pour s’adapter enfin à son époque. Demain, le consommateur voudra et pourra choisir simplement le mode de transport le mieux adapté à ses envies et ses besoins. Selon l’urgence, la météo, son chargement ou son budget, il pourra opter pour un transport en commun, un véhicule avec chauffeur ou un vélo. Des services de réservation, de paiement ou d’infotainment devront rendre son trajet aussi agréable que possible. Se déplacer sera de moins en moins vécu comme une pénible obligation, mais comme une parenthèse utile et choisie. Il reste, en matière de mobilité urbaine, beaucoup à inventer, mais tant qu’on ne se préoccupera pas des premiers intéressés, les querelles actuelles n’y contribueront guère.