Comme évoqué dans notre précédente tribune du 25 mars 2019, il convient de faire preuve de précision lorsqu’on parle de l’immobilier en France, afin de lutter contre les visions hâtives et parfois déformées que l’opinion ou les pouvoirs publics peuvent formuler sur ce secteur. Dans cette tribune, nous nous intéressons à la dynamique des prix de l’immobilier dans les zones métropolitaines(1) en France, afin d’évaluer si ceux-ci sont proches d’un retournement, voire d’un krach, thèse développée régulièrement par certains observateurs.
Une demande de logements alimentée par un solde démoraphique positif et un statut nouveau
Deux facteurs soutiennent durablement la demande de logements dans les zones métropolitaines :
- D’une part, la concentration de l’essentiel des emplois depuis des décennies entraine un solde démographique souvent positif dans ces zones sans que les infrastructures soient adaptées, entraînant ainsi un déficit structurel de logements. Sans changement durable et de grande ampleur de politiques de distribution d’emplois sur l’ensemble du territoire français, il est très probable que cette tendance perdure dans le temps.
- D’autre part, la financiarisation récente de l’immobilier apporte un soutien non négligeable à la demande de logements dans les zones attractives. En effet, pour des investisseurs institutionnels comme les fonds de pension, les assureurs, les caisses de retraite ou les mutuelles, l’immobilier est devenu une classe d’actifs de plus en plus prisée. Conséquence, la part d’immobilier dans leur portefeuille ne cesse d’augmenter, contribuant de fait à l’appréciation continue des prix dans les zones les plus prisées. Pour mesurer si cette tendance doit être considérée comme un phénomène de mode, il convient de comprendre l’origine d’un tel appétit pour cette classe d’actifs : face à une situation inédite de taux d’intérêt historiquement faibles, la recherche d’actifs alternatifs aux obligations souveraines est devenue une nécessité pour ce type d’investisseurs. Avec la baisse tendancielle de la croissance potentielle en France qui devrait maintenir les taux d’intérêt à des niveaux toujours plus bas durant les prochaines années, il parait légitime de considérer la demande de logements en provenance des investisseurs institutionnels comme structurelle et non conjoncturelle.
Une offre connectée à la réalité des besoins
La demande devant rester soutenue dans les années à venir, il convient également de s’intéresser à l’offre de logements. En effet, pour qu’un retournement brutal des prix (et du marché) se produise, il faudrait que l’offre dépasse largement la demande, aboutissant à un stock excessif de logements neufs. Or c’est aujourd’hui loin d’être le cas, puisqu’on estime à seulement 10 mois les stocks de logements neufs détenus par les promoteurs immobiliers, seuil en dessous duquel on considère être en déficit de logements. Les raisons de cette bonne maitrise de l’offre de logements sont à chercher dans la crise des années 80-90, qui avait entraîné la faillite de certains acteurs importants de la promotion immobilière. En réponse à ces faillites et aux conséquences financières désastreuses pour les banques finançant ces opérations, les exigences de celles-ci en terme de réservation de logements avant le démarrage de tout projet immobilier sont passés de 10% à près de 50% du budget total de l’opération de promotion. Conséquence directe de cette nouvelle norme toujours en vigueur aujourd’hui, le risque de pérennité financière du projet immobilier dans son ensemble et du promoteur immobilier en particulier est désormais limité, tout comme le stock potentiel de logements neufs à écouler. Ces conditions ont posé durablement les jalons d’un fonctionnement d’un marché sain : en cas de retournement conjoncturel, l’opération immobilière ne se fait pas... évitant ainsi la déstabilisation de l’ensemble du secteur au travers de stratégie de prix cassés mise en place par les promoteurs afin d’écouler leurs stocks, comme on le constatait par le passé.
L'investissement locatif, un frein à la hausse excessive des prix par rapport aux revenus
Grâce à une succession de dispositifs fiscaux incitatifs mis en place depuis plus de 30 ans, la France a su développer un marché locatif vigoureux, financé en grande partie par des bailleurs personnes physiques et constituant une véritable corde de rappel pour les prix, notamment de l’immobilier neuf. En effet, les loyers ne pouvant pas être durablement déconnectés de la dynamique salariale sous peine de ne pas trouver de locataire, que ce soit pour les logements financés par les dispositifs fiscaux (dont les loyers sont directement plafonnés) ou non, l’investissement locatif pousse les prix de l’immobilier neuf à évoluer de pair avec la dynamique de l’économie réelle. C’est d’ailleurs ce que nous démontre la relative stabilité des rendements locatifs dans l’immobilier neuf depuis 20 ans. Or les promoteurs mettant en marché la plupart du temps des opérations mixtes d’investisseurs locatifs et de propriétaires occupants, ceux-ci sont obligés de proposer des prix tenant compte d’une rentabilité immobilière compétitive, elle-même résultant de loyers plafonnés par une disposition réglementaire ou tout simplement le marché.
Conclusion : un scénario de retournement brutal des prix peu probable à court et moyen terme
En conséquence, les caractéristiques spécifiques du marché immobilier français semblent protéger ce dernier contre un retournement brutal des prix. En effet, la demande apparait structurelle dans les zones où les prix augmentent ; qu’elles soient le résultat d’un solde démographique positif et/ou d’un besoin d’investir dans une classe d’actifs alternative pour les investisseurs institutionnels. D’autre part, l’offre parait bien maîtrisée au regard du mode opératoire de financement des opérations de promotion immobilière, qui empêche structurellement d’engranger des stocks, susceptibles de déstabiliser l’ensemble du marché en cas de ralentissement conjoncturel important. Enfin, le développement d’un marché locatif dynamique, porté par des bailleurs personnes physiques, joue le rôle de corde de rappel ; les prix d’acquisition des logements ne pouvant de pas prendre en compte le niveau d’inflation salariale dont bénéficient les locataires.