L' »effet Mali », qui a entraîné une hausse de la popularité de François Hollande, est-il terminé ?

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Par Jean-Marc Sylvestre Modifié le 28 janvier 2013 à 14h15

Le chômage, l’euro, l’Europe, le social et la surfiscalité laminent de plus en plus l’autorité du président de la République.

L’effet Mali n’a tenu que quelques jours. François Hollande qui avait connu une petite embellie dans les sondages, est retombé très rapidement dans la morosité et l’impuissance de la présidence banale… Il lui a fallu moins d’une semaine pour perdre la stature de chef de guerre et se retrouver rattrapé par la réalité économique et sociale qu’il ne réussit toujours pas à assumer et donc à gérer.

Passons très vite sur les dossiers internationaux qui auraient dû lui permettre d’acquérir durablement une épaisseur de Président. L’affaire du Mali commence désormais à inquiéter tout le monde, d’autant que la France contrairement à ce que l’Elysée avait laissé croire, est quand même complètement isolée sur le terrain. Pour reprendre l’expression d’un conseiller diplomatique, « il va quand même falloir trouver une solution politique sinon cette affaire va ressembler très vite à l’Afghanistan où les occidentaux se sont enlisés pour finalement laisser le pouvoir aux Talibans. En clair, les Maliens sont sans doute incapables d’administrer leur pays ». Ce proche de Laurent Fabius a d’ailleurs fortement conseillé à son ministre de rester à l’écart de cette affaire gérée directement par l’Elysée et par le ministère de la Défense.

Toujours sur le plan diplomatique, la libération de Florence Cassez n’aura pas que des effets positifs. La présidence mexicaine très attaquée par la presse s’en est sortie en lançant une reforme de sa machine judiciaire qui a peu de chances d’aboutir. Quant à la présidence française, elle pâtira évidemment d’avoir tenté de récupérer cette opération. Nicolas Sarkozy qui avait fait « le job » en son temps s’est bien gardé de participer à ce jeu médiatique et de répondre à la demande de Florence Cassez. Nicolas Sarkozy n’est pas allé à Roissy l’accueillir pour éviter les télévisions, il est resté à Davos. Ce qui n’a pas manqué de déclencher les remarques sarcastiques des grands patrons du capitalisme international. « Quand il était président français, il voulait surtout pas se compromettre avec nous… maintenant qu’il a quitté la politique, il nous trouve plus intéressants. Les politiques ont peu de mémoire, les hommes d’affaires en ont davantage ».

Davos : rendez-vous manqué

Le Davos 2013 ne restera pourtant pas dans les annales, comme un très grand cru. Les invités qui paient très cher (70.000 euros) pour être les invités du professeur Klaus Schwab, fondateur du forum mondial, et de Maurice Levy président de Publicis qui manage l’organisation, ont constaté que la crise était finie partout dans le monde sauf en Europe. Ce que tout le monde savait déjà.

Ils ont, et c’est plus nouveau, épinglé sévèrement Goldman Sachs pour la gestion catastrophique des endettements publics des Etats européens sans pour autant suggérer de mesures de contrôle ou de régulation. Christine Lagarde, directrice générale du FMI, était ravie d’échapper aux foudres des critiques qui en général s’abattent sur l’institution qu’elle représente. Les plus cyniques notaient que tout cela était la preuve que le monde qui est passé à côté de la catastrophe pouvait continuer de courir allègrement vers la prochaine crise. Pour reprendre l’expression d’Alain Madelin, « Davos, c’est du café du commerce mondain ».

La seule personnalité qui aura été véritablement écoutée avec beaucoup d’attention et d’estime, c’est Mario Draghi. Le président de la Banque Centrale Européenne est considéré aujourd’hui comme le sauveur de la zone euro. « Il a suffit qu’il dise en arrivant à Francfort que la BCE pouvait être le banquier en dernier ressort, intervenir sur les marchés et éteindre la spéculation avec autant d’argent qu’il le faudrait pour calmer le jeu, désamorcer les spéculateurs et restaurer la confiance ». Le ministre de l’Économie allemande qui était très sceptique, a reconnu que les Italiens étaient très forts pour jouer au poker menteur et que ça marchait. L’ambition de Mario Draghi n’avait pas coûté un euro. Mario Draghi a ramené l’ordre sur l’euro. Son ami, Mario Monti a lui, ramené l’ordre dans l’économie italienne. C’est dire si l’Italie à la cote.

Le président de Goldman Sachs qui a rasé les murs pendant deux jours n’a pu s’empêcher de rappeler, le soir de la clôture, que les deux hommes que l’on considère comme les vainqueurs de la crise étaient certes italiens, mais aussi des anciens de Goldman. De là à penser que la formation Goldman vaut bien celle de l’ENA ou de Harvard…

Comme les années précédentes, les patrons français de multinationales étaient très présents. Carlos Ghosn (Renault-Nissan) Christophe de Margerie (Total) mais comme d’habitude, les responsables politiques français en fonction étaient absents. François Hollande avait décliné l’invitation parce que pour un socialiste français c’est absolument inimaginable de venir expliquer au monde dont on dépend, la politique que l’on veut faire. C’est tout juste si le ministre de l’Économie a ouvert la bouche. Mais il était là comme le chef d’entreprise endetté rend visite à son banquier. Bien obligé. Les responsables français sont restés en France pour gérer les affaires domestiques sans s’apercevoir qu’ils sont pieds et poings liés par les contraintes extérieures, et de plus en plus.

Le début de semaine avait été désastreux. Barack Obama a fait un formidable discours d’ouverture de son deuxième mandat, prouvant une fois de plus au monde entier que l’Amérique pouvait rester la première puissance mondiale, grâce à sa jeunesse, son dynamisme, son goût du risque, son industrie relocalisée, son immigration contenue, l’intégration de ses cultures différentes etc. Le lendemain, François Hollande et Angela Merkel, les deux chefs des deux États les plus puissants d’Europe, ont présidé un festival d’hypocrisie et de malentendus. Ils commémoraient le 50eanniversaire du traité de l’Élysée, sans projets, sans ambitions, sans perspectives d’évolution. C’était affligeant de banalité et de tristesse.

Une relation franco-allemande inexistante

Les rapports entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel étaient compliqués mais ils avançaient dans la même direction. Les rapports entre François Hollande et Angela Merkel sont inexistants. Cette semaine, ils n’avaient rien à se dire. Rien sur l’euro, rien sur les reformes de structure, rien sur la coopération militaire, rien sur la solidarité budgétaire, rien sur la gouvernance, rien de nouveau sur la croissance, rien, rien, rien ! Pas étonnant que Pierre Moscovici se soit endormi pendant les discours et le concert au Bundestag. Plus grave, en répétant en boucle que tout allait bien, que le courant passait, les peuples européens de France et d’Allemagne ont acquis la conviction que leurs dirigeants n’avaient plus confiance les uns dans les autres. Il est évident que la France soupçonne l’Allemagne de vouloir lui imposer un modèle trop sévère… Il est aussi évident que l’Allemagne doute de la capacité de la France à entamer ses réformes de structures (moins d’impôts, moins de dépenses publiques et sociales, moins de réglementations du travail) et l’Allemagne n’a pas tort de se méfier de la France…

Piégé par ses promesses de campagne, François Hollande ne parvient pas à affronter le mur des réalités. Donc, il prend des engagements qu’il ne peut pas tenir, il doit encaisser des statistiques financières qui risquent de le mettre politiquement KO.

Cette semaine nous a offert un festival de bugs politico-économiques invraisemblables dans un pays mature et organisé.

La bataille du chômage est loin d’être gagnée. Les chiffres du chômage en décembre marquent le 20ème mois de hausse avec, au total, 270.000 chômeurs de plus en 2012. On tangente les 10 % de la population active… Alors Michel Sapin a beau expliquer « que la bataille du chômage ne se gagnera pas en un mois », les chefs d’entreprises cherchent vainement ce qui a été fait pour l’emploi depuis six mois. Réponse du jeune président du CJD (Centre des Jeunes Dirigeants), Christophe Praud : « Rien, on n’a rien fait, et qu’on ne vienne pas nous parler du crédit d’impôt compétitivité parce que il faudrait d’abord comprendre comment il fonctionnera et si on commence à comprendre, on verra qu’il profite assez peu aux petites et moyennes entreprises ». Christophe Praud est l’un des seuls dirigeants patronaux à être audible actuellement, ce qui lui vaut d’être périodiquement consulté sur le fond par Bercy. Les autres patrons sont enlisés dans une bataille pour la présidence du Medef qui tourne très mal entre les différents challengers (Gataz, Beigbeder, Roux de Bézieux) avec en coulisse, une Laurence Parisot qui essaie d’obtenir un changement de statut pour faire un 3e mandat.

Cette bagarre pour le fauteuil explique que l’on ait signé un accord avec les partenaires sociaux où les patrons ont obtenus un peu de flexibilité. Mais Laurence Parisot risque de le payer très cher. « Si la présidente du MEDEF pense qu’avec cela, elle assure sa réélection, elle se trompe ». Les patrons de l’UIMN qui attendaient autre chose, sont vent debout. Et pendant ce temps là, Jean-Marc Ayrault parle d’un accord historique (alors qu’il est déséquilibré et qu’en plus il n’a même pas été signé par la moitié des syndicats). Pendant ce temps là, l’Élysée fait savoir, tout en le démentant, qu’on abandonnera la taxation à 75 % des revenus supérieurs à 1 million d’euros. Ce qui rend furieux la gauche de la gauche… (Bravo Depardieu) mais qui ne surprend personne. Pendant ce temps là, Arnaud Montebourg profite que ses petits camarades du gouvernement sont occupés par des dossiers hyper graves (comme celui de Florence Cassez) pour reprendre sa croisade contre les grands patrons. Si Carlos Ghosn ne paie pas la taxe de 75 %, il devra, c’est une menace du ministre, baisser son salaire.

Pendant ce temps là, la ministre de l’Écologie profite également de l’actualité très chargée pour sortir une note et annoncer qu’EDF ne sera pas obligée de fermer Fessenheim : la plus vieille centrale nucléaire de France ne présente aucun risque, dit la note, les normes sont plus que respectées, dit encore la note, mais la même note ne va pas jusqu’à rappeler que la fermeture à la fin 2016, aurait coûté 12 milliards d’euros. Bref, la réalité économique a parfois des raisons qui s’imposent aux a-priori idéologiques. La ministre de l’Écologie n’a pas donné beaucoup de publicité à cette décision. Pas plus qu’elle n’en donnera vraisemblablement aux résultats de l’étude commandée sur l’exploitation des gaz de schistes dans quelques semaines.

C’est tout et n’importe quoi. La semaine qui s’ouvre lundi ne sera pas meilleure pour la gouvernance française… un signe qui ne trompe pas, l’agenda officiel du Président publié sur le site internet de l’Élysée est pratiquement vide, ce qui signifie qu’on réserve le maximum d’espace au Président pour lui organiser des opérations capables de répondre à l’actualité au jour le jour…

Il y a pourtant des dossiers à suivre et qui sont explosifs.

1) Il faudra suivre les négociations sociales chez Renault. Elles reprendront lundi et elles ont pour objectif de trouver, avec les partenaires sociaux, un accord de flexibilité pour s’adapter à la conjoncture française. Carlos Ghosn ne veut rien d’autre que ce qui avait été accepté par les syndicats de General Motors aux États-Unis et qui a sauvé l’automobile américaine ou chez Volkswagen, il y a dix ans, qui permit à l’industrie allemande de devenir une des premières du monde. Le point central du projet est de planifier des baisses temporaires de salaires afin de préserver l’emploi et les sites industriels. Sinon Renault sera bien évidemment obligé de délocaliser encore davantage ses fabrications. Cet accord n’est pas aussi historique que celui des organisations syndicales nationales mais s’il est signé il sera autrement plus emblématique.

2) Il faudra suivre les résultats de LVMH, leader mondial du luxe et premier apporteur de devises étrangères en France compte tenu du poids de ses exportations. Les résultats sont donc un très bon marqueur du poids de l’économie française. Cela dit personne ne sait si ces résultats sont bons ou pas. Probable qu’ils affichent un léger coup de mou compte tenu du ralentissement de l’économie asiatique au premier trimestre de l’année 2012. Quels que soient ces résultats, les rumeurs sur les projets d’installation de Bernard Arnault en Belgique vont relancer le débat sur l’expatriation fiscale.

3) Le fonctionnement de la zone euro va encore occuper la grande partie des troupes de Bercy en liaison avec l’Élysée. Si les pays de la zone euro ont réussi à sécuriser le contexte monétaire, ils n’ont pas avancé sur les réformes économiques. L’Allemagne a encore demandé expressément à la France comment elle allait faire pour réduire son déficit budgétaire et quelles dépenses elle allait couper. Sur ce point, c’est toujours silence radio. La BCE, par la voix de Mario Draghi, a rappelé très fermement qu’il n’y avait pas de contradiction entre assainissement budgétaire et croissance, ajoutant qu’il voulait bien mobiliser ses moyens pour prévenir et éteindre les incendies à condition que certains ne s’amusent pas à craquer des allumettes. Et Mario Draghi ne pensait pas aux Italiens bien sur, pas plus aux Espagnols ou aux Portugais, trois peuples qui ont accepté des efforts considérables et qui donnent des signes de redressement ou de redémarrage. Mario Draghi pensait explicitement à la France.

4) La France est donc au pied du mur, parce que si elle n’apporte pas la preuve de sa volonté de réforme, les taux d’intérêt qui nous sont fait augmenteront dans des proportions insupportables. Actuellement, les taux sont très faibles parce que l’Allemagne nous prête son triple A c’est-à-dire sa garantie, parce que la BCE promet encore de payer et de nous protéger mais les échéances de mars, avril et mai ne seront pas bouclées sans un plan de financement français crédible. Pour l’instant, François Hollande n’a pas encore décidé de trahir sa majorité.

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Après une licence en sciences économiques, puis un doctorat obtenu à l'Université Paris-Dauphine, il est assistant professeur à l'Université de Caen. Puis il entre en 1973 au magazine L’Expansion, au Management, à La Vie française, au Nouvel Économiste (rédacteur en chef adjoint) puis au Quotidien de Paris (rédacteur en chef du service économie). Il a exercé sur La Cinq en tant que chroniqueur économique, sur France 3 et sur TF1, où il devient chef du service « économique et social ». Il entre à LCI en juin 1994 où il anime, depuis cette date, l’émission hebdomadaire Décideur. Entre septembre 1997 et juillet 2010, il anime aussi sur cette même chaîne Le Club de l’économie. En juillet 2008, il est nommé directeur adjoint de l'information de TF1 et de LCI et sera chargé de l'information économique et sociale. Jean-Marc Sylvestre est, jusqu'en juin 2008, également chroniqueur économique à France Inter où il débat notamment le vendredi avec Bernard Maris, alter-mondialiste, membre d'Attac et des Verts. Il a, depuis, attaqué France Inter aux Prud'hommes pour demander la requalification de ses multiples CDD en CDI. À l'été 2010, Jean-Marc Sylvestre quitte TF1 et LCI pour rejoindre la chaîne d'information en continu i>Télé. À partir d'octobre 2010, il présente le dimanche Les Clés de l'Éco, un magazine sur l'économie en partenariat avec le quotidien Les Échos et deux éditos dans la matinale.