Printemps français : pourquoi le point de non-retour est probablement franchi

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Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 25 avril 2013 à 10h40

A la Une du Point cette semaine, "sommes-nous en 1789 ?". L'hebdomadaire évoque les dernières heures de la monarchie et révèle les troublantes similtudes entre la chute de Louis XVI, et l'abandon complet des rênes du pouvoir par François Hollande. Un historien explique que nous sommes sans aucun doute en 1788 : les marges de manoeuvre sont réduites pour le pouvoir (si mal) en place, afin d'éviter d'entrer de plain-pied en 1789, bis.

Cela fait des mois que l'un de nos chroniqueurs, Eric Verhaeghe, propose aux lecteurs d'Economie Matin une vision de la crise que traverse notre pays vue par un Louis XVI imaginaire. Aujourd'hui, Louis XVI alerte François Hollande du virage que sont en train de prendre les mouvements contestataires.

Ce n'est pas Frigide Barjot qui a appelé le 5 mai à une grande manifestation nationale afin de donner un "coup de balai" : c'est Jean-Luc Mélenchon, candidat à l'élection présidentielle il y a 10 mois, qui a attiré sur lui 11,1 % des suffrages. Les sondages lui en accordaient souvent 15 ou 18 %. C'est Marine Le Pen, (particuliérement discrète en ce moment, pour des raisons stratégiques évidentes), qui a atteint les 18 % promis à Mélenchon. A eux deux, ils ont rassemblé 39 % de l'électorat français. Que réclame Mélenchon ? Ni plus ni moins une sixième République. Que réclame Marine Le Pen ? Une dissolution, et la proportionnelle. La démission du gouvernement et du président au passage.

Mais qui défile dans la rue tous les soirs depuis des semaines, non seulement à Paris, mais un peu partout en France ? Des hommes et des femmes, leurs fils et leurs filles, de tous âges. La plupart n'ont jamais manifesté de leur vie, ou alors pour les plus vieux, en 1984 pour l'Ecole Libre, et en 1997 contre le PACS. Qui sont-ils ? Des petits bourgeois, la classe moyenne. Les cheveux peignés. Les filles en ballerines. Tous mains nues.

logo A écouter sur le même sujet, l'éditorial d'Alexis Brezet sur RTL le 20 avril 2013 (Cliquez ici)

Retournons un instant en 1789. Qui, contrit par le mépris dans lequel le Roi les enferme, se proclame Assemblée Nationale constituante ? Les députés du Tiers-Etat. Qui sont-ils ? Des petits bourgeois, la classe moyenne.

Qui, en 2013, retourne dans la rue tous les soirs, quasiment tous les week-ends (les prochaines manifestations massives sont programmées pour le 21 avril, le 5 mai, le 26 mai). Des petits bourgeois, la classe moyenne.

Autres traits communs entre les deux époques, 1789 et 2013 :

En 1789, la France croûle sous le poids de sa dette extérieure, notamment contractée pour financer la Révolution américaine mais aussi le train de vie du royaume, ubuesque. Le Roi convoque les Etats-Généraux pour les convaincre de l'autoriser à lever de nouveaux impôts. Qui doit payer ? Pas le Clergé ni la Noblesse, exonérés, mais le Tiers-Etat. La bourgeoisie.

En 2013, la France croûle sous le poids de sa dette extérieure, notamment contractée pour financer une guerre économique qui ne dit pas son nom, celle de l'utopie d'une monnaie unique inadaptée à la moitié des pays qui l'utilisent, et nourrir un Etat ventripotent qui ne veut pas faire de régime, malgré le lent coma dans lequel plonge son corps, le pays. Le gouvernement, dont le ministre du Budget a menti pendant des mois sur ses comptes à l'étranger et sur sa probité, tente de convaincre qu'il n'y a pas d'autre moyen que de lever encore plus d'impôts, et de couper dans les allocations familiales. Qui doit payer ? le Tiers-Etat, les classes moyennes.

En écrivant ces mots, père de famille (nombreuse), entrepreneur, journaliste, écrivain, expérimenté puisque désormais à plus de la moitié de ma vie, j'ai pleinement conscience de ce que cette analyse froide et subjective implique. Je pense en particulier à tout ceux de mon entourage, de mes amis, parfois chers, qui me disent ou m'écrivent : "Non, ce n'est pas possible, nous ne pouvons pas nous le permettre. C'est trop dangereux". "Toi qui est responsable, raisonnable, calme les choses".

Je ne souffle sur aucune braise. Je suis d'abord un reporter. Le journaliste reporter est celui qui rapporte ce qu'il voit. Forcément, ce qu'il rapporte est subjectif. Les premiers comptes-rendus de guerre, en Crimée, à la fin du XIXe siècle (avant les journaux reproduisaient les communiqués militaires), étaient rédigés par des journalistes postés sur une butte à des kilomètres du champ de bataille, munis d'une longue vue. Lors du Débarquement, plus d'un journaliste a péri sur la plage caméra en main. Idem en Afghanistan, en Libye, en Syrie.

Ce que j'ai observé ces derniers jours est sans commune mesure avec tout ce qu'il m'a été donné de voir ou de lire sur la France dans ma carrière. Ou plutôt, ne me rappelle que trop bien ce que j'ai lu et sait des précédentes révolutions. Le Point "fait bien le job", rappelant succintement les événèments qui ont provoqué 1830, 1848, la Commune. Bravo FOG.

Personnellement, je pense que François Hollande et Manuel Valls sont trop bien informés, trop intelligents, pour ne pas mesurer le danger qui se profile à l'horizon. Seulement, le petit manuel anti-Révolution pour chefs d'Etat est bourré de pages blanches. Et sur les autres, on retient surtout les conneries à ne pas faire. Mais tout ce qui n'a pas été tenté, n'a pas encore été contré. Et la manifpourtous, le Printemps français, les veilleurs, tout cela est inédit, ou en tout cas, différent d'autres modèles importés.

Pour ma part, (faisant écho au personnellement du paragraphe plus haut), je pense que c'est la chute de la RDA qui doit servir de miroir (déformant) à ce qui se passe en ce moment en France. Bien sûr, nous ne sommes pas dans une dictature communiste. Mais dans un état social-iste, qui dirige tout, contrôle tout, brime tout, ponctionne tout, oui,c'est une certitude. Entrepreneur depuis onze ans, je sais tout le mal que l'on peut avoir dans ce pays à vouloir créer. Les entrepreneurs français, en France, ont en commun d'être fous, ou inconscients, ou les deux. Quand on voit dans quel mépris les administrations les tiennent, et les obstacles qui se dressent en permanence contre eux ! Le premier, et non des moindres, étant que bien souvent, une entreprise publique, semi-publique, soutenue par des fonds ou subventions publics, une collectivité, fait déjà une partie du job à votre place. Ou vient le faire à votre place, bien entendu à moindre coût, puisque dopé aux subventions et aux couts cachés pris en charge par la collectivité. Sans qu'aucun Conseil de la Concurrence n'intervienne. Ni qu'aucun élu ne perçoive l'impossibilité de la chose qu'il a bien souvent suscitée voire décidée.

Voilà ce que nous avons en commun avec la RDA dirigiste de Honnecker. Nos performances économiques n'en sont plus si éloignées ! Nous sommes trois fois moins performants que l'Allemagne, comme la RDA en son temps l'était par rapport à la RFA, proportionnellement parlant.

Et les manifestants de ces derniers jours, les veilleurs en particulier, qu'ont ils en commun avec les manifestants qui firont tomber sans un coup de feu la RDA ? Les bougies. Les chants. la non-violence. En 1989, les vopos et leurs officiers, ne sachant pas que faire fasse à une foule compacte de camarades citoyens bougies à la main, laissèrent leurs barrages percer. Une fois, deux fois, dix fois. Tous les soirs. Pendant un mois. C'était ca, ou utiliser les fusils. Mielke, le ministre de l'Intérieur, a refusé de donner l'ordre. Moscou lachait Honnecker.

Que s'est il passé le 24 mars à Paris ? Un barrage, deux barrages, vingt barrages, ont percé. Ce n'était jamais arrivé en maintien de l'ordre en France, à ce point, si "simplement". Mais en 1989, à Leipzig comme à Berlin et ailleurs en RDA, les vopos n'avaient PAS de gaz lacrymogène. Ni non plus de matraques. Pas besoin ! Dans un état policé comme la RDA, la seule injonction du vopo suffisait à vous glacer le sang, ou à vous envoyer à l'interrogatoire pour une durée indeterminée. Le 24 mars, policiers (surtout) et gendarmes (rarement) ont utilisé les gazeuses pour intimider (souvent), ou pour se dégager, pris de panique (parfois). Avec quelques coups de matraque ou de boucliers pour intimider.

La France a une réputation mondiale (à tenir) en matière de maintien de l'ordre. A Saint-Astier (Périgord), une ville fantôme reconstituée sert à entraîner les gendarmes mobiles mais aussi les forces de police et de gendarmerie du monde entier. Souvenez-vous l'offre de service de Michel Alliot Marie au gouvernement tunisien, aux prémices de sa révolution ! La France proposait au pouvoir tunisien de lui prêter des unités de mobiles... Et les caisses de grenades lacrymogènes bloquées par les douaniers à Roissy... Celles-là même qui sont utilisées aujourd'hui contre le petit peuple français.

Mais tout cela ne peut rien contre une foule déterminée, pacifiste, les mains nues. Si un rang tombe sous les coups de matraque, sous les jets de gaz, un autre rang sortira de l'ombre. Puis un autre. Vous connaissez, vous, sur ces cinquante dernières années, beaucoup de manifestations qui ont remplacé les slogans par le poème de Charles Péguy "Heureux ceux qui sont morts", "l'Espérance", ou "le chant des Partisans" ? Moi pas.

Car pour la première fois depuis des décennies, ceux qui connaissent par coeur Péguy, "l'Espérance" ou "le chant des Partisans", sont dans la rue.

Et ça, c'est un signe.

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Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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