Madame la Directrice Générale,
Vous avez été entendue le 25 mai dernier par la commission des affaires économiques du Sénat sur votre stratégie de partenariat vis-à-vis des PME. A cette occasion, vous avez déclaré que le rachat de Solairedirect en 2015 vous avait permis d’acquérir un « savoir-faire extrêmement pointu […] que nous n’avions pas », une philosophie d’acquisition et de développement que vous avez confirmée mercredi 29 juin dans Les Echos : « Si nous pensons que nous ne pouvons pas développer une technologie assez vite en interne, on l'achète. C'est ce que nous avons fait avec Solairedirect ».
Fondateur de La Compagnie du Vent, dont ENGIE a acquis 54% du capital en 2007, je suis bien placé pour affirmer que le savoir-faire acquis via Solairedirect, ENGIE le possédait dès 2007 et sa prise de contrôle de La Compagnie du Vent. Aucun des dirigeants de votre entreprise ne pouvait l’ignorer. Cependant, vous avez délibérément fait le choix de ne pas l’exploiter !
Mais pourquoi, dès lors, acquérir un savoir-faire déjà présent au sein de La Compagnie du Vent ? La réponse est simple : contrairement à Solairedirect, La Compagnie du Vent n’est pas détenue à 100% par ENGIE. Un détail qui a son importance et qui a conduit depuis 8 ans les dirigeants d’ENGIE à refuser d’exploiter pleinement le savoir-faire de La Compagnie du Vent et de créer de la valeur dans une filiale dont ENGIE ne détient qu’une partie du capital, au profit d’autres filiales détenues elles à 100%.
Vos développements au Maroc, y compris votre récent accord avec Nareva, illustrent parfaitement cette stratégie de création de valeur dans l’intérêt exclusif d’ENGIE au détriment de ses filiales non détenues à 100%.
En 2010, ENGIE a ainsi privilégié, dans le cadre de l’appel d’offres du projet éolien marocain de Tarfaya (300 MW), la candidature de sa filiale International Power, détenue à 100%, au détriment de La Compagnie du Vent pourtant pré-qualifiée pour cet appel d’offres dès août 2007. Depuis, ENGIE ne cesse de clamer l’importance de cette centrale pour le Groupe, plus grand parc éolien jamais construit par ENGIE et plus grand parc éolien africain.
Dans le même esprit, vous avez annoncé il y a quelques jours un accord entre ENGIE et la société marocaine Nareva, qui vise à « renforcer leur collaboration au Maroc et l’étendre à d’autres pays africains », excluant de fait de vos ambitions marocaines et africaines votre filiale détenue à 54%, La Compagnie du Vent, qui, faut-il le rappeler :
- a été en 1996 l’adjudicataire du plus grand parc éolien du Maroc (60 millions de dollars d’investissements) représentant, à sa mise en service en 2000, 99 % de l’énergie éolienne du pays ;
- a, dès 2000, ouvert une agence et installé une équipe de développeurs au Maroc ;
- a construit en 2005 à Tétouan (nord du Maroc) le premier parc éolien au monde connecté directement à une usine ;
- disposait en 2007, au moment de l’entrée d’ENGIE à son capital, d’un portefeuille de projets éoliens de plus de 1.000 MW au Maroc, projets finalement abandonnés sous l’impulsion d’ENGIE, comme l’ensemble des autres projets internationaux de La Compagnie du Vent.
La Loi française, à la différence de la législation allemande, vous permet de développer des stratégies de groupe au détriment des intérêts de vos filiales et de leurs actionnaires minoritaires. Cette faiblesse de notre législation, qui entrave le rapprochement entre grands groupes et PME, doit impérativement être corrigée, dans l’intérêt de la croissance économique de notre pays et du développement de ses entreprises.
C’est la raison pour laquelle je vous invite à vous joindre à moi pour soutenir le renforcement de la définition de l’abus de majorité proposée par un certain nombre de parlementaires dans le cadre des discussions sur le projet de loi Sapin 2, pour qu’enfin PME et grands groupes puissent croitre en symbiose et que nous puissions souhaiter ensemble « bon vent » à nos PME, moteurs de l’innovation et de la création d’emplois dans notre pays.
Jean-Michel Germa, entrepreneur, fondateur de La Compagnie du Vent.