Migrants : pour être généreux, il faut être efficace

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Par Jacques Bichot Publié le 16 septembre 2015 à 5h00
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@shutter - © Economie Matin
24 000François Hollande a annoncé vouloir accueillir 24 000 migrants en France.

L’accueil des migrants est depuis longtemps un des points faibles de notre pays. Depuis 15 ou 20 ans, les demandes d’asile sont traitées en dépit du bon sens : l’instruction des dossiers traîne des mois et des mois, les recours après un premier refus sont de même instruits à la vitesse de l’escargot, et lorsque vient le refus définitif la personne ou la famille est en France depuis 2 ans et y reste "clandestinement", une clandestinité qui est quasiment devenue un statut, et qui débouche quelques années plus tard sur un permis de séjour.

N’ayant pas su mettre au point un système d’accueil et de tri (le mot est dur, mais la situation est assez grave pour que l’on évite les litotes) durant les années où la pression migratoire était encore relativement modeste, la France est dépourvue d’un véritable savoir-faire, de services dotés des compétences requises pour gérer l’afflux actuel et futur. C’est hélas le cas également de l’Union européenne et de nombreux pays membres. De ce fait, nous ne savons ni refouler ceux qui n’ont pas de raison vraiment valable de venir en France, ni offrir des modalités d’intégration efficaces aux réfugiés auxquels nous nous devons d’ouvrir nos portes.

Il y a une douzaine d’années, un préfet de région avait bien voulu venir parler du problème des demandeurs d’asile dans une association dont je m’occupais. Il nous avait expliqué que ses services étaient désorientés par les variations importantes du nombre des demandes qui se produisent au fil des ans : le chiffre peut doubler en quelques années, puis revenir au point de départ 3 ou 4 ans plus tard. Or, nous disait ce haut fonctionnaire, le nombre des agents de ce service est constant. Il est donc impossible d’éviter la formation de files d’attente pour le traitement des dossiers les années d’affluence. Ces dossiers en souffrance finissent par être traités quand le flux des demandes d’asile s’oriente à la baisse.

J’ai fait observer que le problème aurait pu être résolu de façon plus satisfaisante en organisant la polyvalence d’une partie des fonctionnaires. Tous les services ne sont pas sous pression en même temps, sauf exception, et donc il devrait être possible d’améliorer les choses en préparant un certain nombre d’agents à exercer deux ou plusieurs fonctions, selon les besoins du moment. Le préfet me répondit que cela était impensable. Comme les heures sup à dose massive ne sont pas très bien vues, il faudrait donc, pour assurer en toutes circonstances un service de bonne qualité, disposer dans chaque bureau, en permanence, d’un effectif égal au nombre d’agents nécessaire pour faire face aux pics d’activité. Quitte à ce que, en temps ordinaire, les agents passent 2 ou 3 heures par jour à faire des cocottes en papier – ou, pire, à "faire du zèle" en chipotant tous les détails dans les dossiers qu’ils traitent. Tant que cette mentalité bureaucratique prévaudra, l’administration française sera évidemment incapable de faire correctement son travail lorsqu’une circonstance particulière viendra bousculer sa routine, comme c’est le cas aujourd’hui avec l’accroissement massif des flux migratoires.

Nous sommes confrontés à diverses explosions, culturelles, religieuses, politiques et démographiques dans ce que l’on appelait le Tiers Monde. Nous autres pays riches devons apporter de l’aide, mais pour ce faire il nous faut être – ou devenir – efficaces. Cela veut dire premièrement ne pas jeter de l’huile sur le feu, comme les Américains l’ont fait en Irak, les Français en Lybie, et quasiment tous les pays occidentaux en Syrie et en Ukraine ; deuxièmement, aider les pays pauvres, et particulièrement l’Afrique, à développer l’instruction, à commencer par celle des femmes, car c’est le meilleur moyen pour assurer à la fois le développement économique et l’apaisement démographique ; troisièmement, accueillir les vrais réfugiés, en prenant les dispositions voulues pour qu’ils apprennent ce qui leur permettra, selon les circonstances, de s’intégrer chez nous ou de repartir chez eux avec un bagage suffisant pour contribuer efficacement à la reconstruction et à la modernisation de leur pays.

Nos services publics ne sont pas seuls à pouvoir contribuer à cela : l’initiative privée est la bienvenue. Mais le rôle des administrations est forcément capital. Elles sont confrontées à un défi : se transformer pour répondre efficacement, par la compétence et la souplesse, à des problèmes délicats, multiples et changeants. Si nos dirigeants continuent à leur donner comme objectif d’empoisonner la vie des entreprises, des associations et des particuliers en les forçant à respecter des réglementations idiotes, la France ne sera plus, comme disait Charles de Gaulle à propos de la dénatalité, qu’une "grande lumière qui s’éteint" ; si par contre ils ont l’intelligence de débarrasser le pays du fatras de règles nocives ou superfétatoires qui empêchent tout le monde, les administrations comme les entreprises, d’être pleinement efficace, alors notre idéal de générosité pourra devenir autre chose qu’un vœu pieux.

Article publié initialement sur Magistro

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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