L’art de l’imposition

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Par Guillaume Nicoulaud Modifié le 25 avril 2013 à 12h01

Mme Fleur Pellerin, soutenue pour l’occasion par nos fournisseurs d’accès à Internet, semble avoir trouvé un moyen de taxer Google, Amazon et Apple : il s’agit, selon le peu d’information dont nous disposons à ce jour, de fiscaliser la bande passante consommée par les acteurs d’Internet ; une méthode, me souffle-t-on, connue sous le nom de peering payant. Ce n’est pas que les occasions aient manqué ces derniers temps, mais je saisie cette perche tendue pour faire un petit point sur quelques notions élémentaires de fiscalité.

Commençons par une mise au point : les entreprises, qu’elles soient françaises ou pas, ne payent pas d’impôt. En dernière analyse, les taxes et autres prélèvements obligatoires sont toujours payés par des personnes physiques. L’Impôt sur les Sociétés (IS), par exemple [1], n’est pas supposé peser sur les sociétés mais sur leurs actionnaires : c’est une taxe assise sur le résultat net avant impôt – c’est-à-dire les profits des actionnaires – qui vient réduire, en fonction de la politique de distribution de l’entreprise, soit les dividendes, soit le réinvestissement des résultats passés dans l’entreprise. Ce sont donc bien – sur le papier – les actionnaires qui paient [2] et en aucune manière l’entreprise.

Si vous ne savez pas qui paie…

Je dis bien « sur le papier ». En réalité, c’est beaucoup plus compliqué qu’il n’y parait parce que, pour poursuivre avec l’exemple de l’IS, rien ne vous garantit que ce sont effectivement les actionnaires qui mettent la main à la poche. Pour bien comprendre ce point, imaginez que le gouvernement décide de faire passer le taux de l’IS de 33⅓% [3] à 35% et considérez bien que la question n’est pas de savoir qui va faire un chèque à Bercy mais qui va voir ses revenus réduits par cette hausse d’impôt.

Dans un contexte de forte concurrence internationale et d’élasticité-prix élevée, il est assez probable que ce sont essentiellement les actionnaires qui devront en porter le poids. En revanche, si les conditions de marché le permettent, il tout à fait possible que les actionnaires décident de faire peser cette augmentation d’impôt sur leurs clients via une augmentation de leurs prix. C’est typiquement ce qu’Apple a fait quand le précédent gouvernement a décidé de lever une taxe pour la copie privée sur les ventes d’iPad : ce sont les consommateurs – vous et moi – qui avons subi directement et intégralement ce nouvel impôt.

De la même manière, dans un contexte de chômage élevé, il est tout à fait possible que ce soient finalement les salariés de l’entreprise qui finissent par supporter le poids de cette hausse d’IS : si les dirigeants de l’entreprise ne peuvent pas baisser les salaires, ils peuvent en revanche geler les augmentations, ne pas verser de bonus, renoncer à de nouvelles embauches, ne pas renouveler un certain nombre de contrats intérimaires ou, carrément, décider de fermer un site. Bref, sans le savoir, ce sont les salariés effectifs ou potentiels de l’entreprise qui paient tout ou partie de la hausse de l’IS.

… C’est que c’est probablement vous

Il en va de même pour l’ensemble des prélèvements obligatoires : en dernière analyse, ils sont tous, sans exception, payés par des personnes physiques – toute la question est de savoir lesquelles et, comme nous venons de le voir, c’est loin d’être aussi simple que ce que nos dirigeants voudraient nous faire croire. Alors que le débat public se focalise sur l’Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques (IRPP) et l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) qui ne rapportent ensemble que 54,9 milliards d’euros au budget de l’État – soit 6% des prélèvements obligatoires et 5,4% des recettes de l’État (chiffres de 2011) – c’est en réalité une myriade d’impôts, de taxes et de prélèvements obligatoires, directs et indirects, que nous payons sans même nous en rendre compte.

Et encore, le chiffre officiel de 910,6 milliards d’euros d’impôts et de charges sociales (45,6% du PIB) que nous sommes supposés avoir payé en 2011 est sans doute encore en deçà de la réalité. À cela, pour être exhaustif, il faudrait encore rajouter ces impôts masqués qui n’apparaissent dans aucune statistique mais que nous payons pourtant bel et bien. Nos factures de téléphone portable, de 2002 à 2012, sont un véritable cas d’école : en restreignant volontairement le marché à un nombre restreint d’opérateurs nationaux – Orange et SFR dans un premier temps puis Bouygues Telecom – le gouvernement Jospin a permis à ces derniers d’amortir le coût des licences payés à l’État en s’entendant sur leurs prix [4]. Au final, nous avons payé pendant dix ans un surcoût de l’ordre de 140 euros par an en moyenne [5] qui permettait aux opérateurs de nous passer le coût des licences réglées à l’État.

Cette taxe sur la bande passante, si elle est adoptée, n’échappera pas à la règle et viendra s’ajouter d’une manière ou d’une autre à la montagne d’impôts que nous payons déjà. Désormais, lorsque vous entendrez tel ou tel commentateur se féliciter que l’État soit enfin parvenu à taxer Google, Amazon et Apple, vous goûterez avec moi la douce ironie des éléments de langage utilisés et vous vous remémorerez cette phrase historique : « l’art de l’imposition, disait M. Colbert, consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris ».

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[1] L’IS, selon les chiffres de l’Insee pour 2011, ce n’est guère plus de 41,9 milliards d’euros ; soit 7,8% de l’ensemble des impôts et à peine plus de 4% des recettes de l’État.
[2] Pour plus de détails sur la fiscalités réelle des dividendes, voir ce papier publié ici-même en octobre dernier.
[3] Je simplifie ; en réalité, il faut rajouter une contribution sociale de 3,3% du montant de l’IS (une taxe sur la taxe) ce qui porte le taux effectif normal de l’IS à 34,43%.
[4] Ce qui nous a permis, au passage, de nous offrir les services d’une administration chargée de veiller à ce que de telles ententes n’aient pas lieu – avec le succès que l’on sait (entre des opérateurs de téléphonie mobile, vous pensez-bien…)
[5] En 2007, le revenu moyen par utilisateur de communication mobile s’élevait en France à 426,71 euros contre 282,49 en moyenne dans l’Union européenne à 27 (source : Progress report on the single european electronic communications market, 14ème édition).

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Guillaume Nicoulaud gère le fonds US Equity Premium de DTAM

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