Successivement le chief economist du F.M.I. des responsables de la Bundesbank et diverses sociétés d’études comme la Boston Consultng Group ont avancé l’idée que, pour remédier au surendettement qui empêche certains États de "rembourser leur dette", ces derniers pourraient envisager d’instaurer une "wealth tax" considérable : selon les diverses propositons, les chiffres avancés sont égaux et parfois bien supérieurs à 10% ! Une idée aussi stupéfiante articulée par des économistes réputés sérieux en général mérite plus ample examen. Pour éclairer le sujet il est bon de revenir aux principes fondamentaux de la gestion d’une dette souveraine, car c’est sur la notion même de remboursement que s’amorce le dérapage intellectuel des partisans de la "wealth tax".
Le concept de remboursement du total d’une dette, applicable à un débiteur privé, ne l’est pas à un État. Notons d’abord que l’on ne connait pas d’exemple de pays ayant diminué de façon sensible en valeur nominale le montant total de leur dette. Les exemples rarissimes ont été limités, peu durables, et d’ ailleurs accueillis avec un étonnement mêlé de crainte si l’on en juge par les réactions du marché à la brève apparition d’un tel phéno- mène dans les dernières années Clinton aux États-Unis : certains allaient jusqu’à s’inquiéter d’un possible assèchement du marché de la dette américaine ! Dans la réalité une dette d’État peut baisser en pouvoir d’achat – du fait de l’inflation – elle peut baisser aussi par rapport au P.I.B.- grâce à la croissance – mais jamais en valeur nominale si l’on considère son total. La raison en est que l’opération serait non seulement douloureuse comme pour tout effort de sérieux budgétaire mais profondément néfaste parce que déflationniste. En fait, la saine gestion d’une dette souveraine s’effectue sur deux plans : le refinancement plus ou moins facile des diverses tranches d’emprunt arrivées à échéance et le versement scrupuleux des intérêts. La clé du refinancement est la confiance du marché et celle du service de la dette est la bonne maitrise budgétaire. Forte crédibilité et aisance budgétaire sont donc les deux piliers d’une bonne gestion de dette. Or, l’idée même de "wealth tax" mène à des résultats exactement contraires et cela qu elle que soit la manière dont l’impôt serait perçu. S’il s’applique seulement à la dette elle-même il équivaut à un défaut et ruine la crédibilité du débiteur. Si en revanche la taxe s’applique à l’ensemble des capitaux on se trouve devant une situation ahurissante puisque qu’aucun des marchés d’actifs ne serait même capable de coter devant un tsunami de ventes. De toute façon la mondialisation des marchés de capitaux a atteint une ampleur telle que l’on voit mal comment un tel projet pourrait être mis en œuvre : limité à certains pays il ruinerait totalement leur économie et plus largement étendu internationalement, il n’aurait pas la moindre chance de recueillir un assentiment collectif.
Fort heureusement, de même que le mieux est l’ennemi du bien de même le pire peut parfois garantir du mal : le côté absolument irréaliste de "ce grand soir" fiscal rêvé par certains sous l’appellation gracieuse "d’euthanasie des épargnants" devrait suffire à éviter une telle extravagance.
Si donc l’idée d’une opération chirurgicale est repoussée par son caractère létal, sur quoi peut-on penser que déboucheront les situations des plus marquées de surendettement ?
L’autre face de l’alternative
La plupart des analyses consacrées au surendettement des États ont conclu que, faute d’une solution volontariste consistant, d’une manière ou d’une autre à éteindre de force tout ou partie de la dette, une issue se dégagerait d’elle-même dans les faits qui serait l’inflation. Cette hypothèse a le mérite de la logique à tel point qu’elle recueille dans l’ensemble un large consensus. On ne peut exclure en effet que l’inflation ne finisse par jouer un rôle dans l’élagage du excès de dette et l’histoire est là pour montrer que depuis des siècles c’est le processus qui a toujours été à l’œuvre pour corriger les excès.
Toutefois on peut penser que dans le contexte de l’économie contemporaine le problème est devenu beaucoup plus complexe. Dans un premier stade et avant tout mouvement de prix, c’est la création monétaire qui se développera en même temps que le besoin de financement de la dette. Or, la relation entre création monétaire et inflation est devenue depuis quelques années beaucoup moins univoque. La préférence pour la liquidité n’a cessé d’augmenter, ce qui se traduit par une baisse régulière et importante de la vitesse de circulation de la monnaie de sorte que l’on assiste à une déformation constante de la structure de l’épargne correspondant à une montée de l’aversion au risque et en particulier à une hausse de la liquidité.
Il est difficile de parier sur la poursuite de ce mouvement, mais on peut noter qu’il dure déjà depuis plusieurs décennies et qu’il est peut-être l’indice d’un changement profond du climat économique : celui-ci a été à dominante inflationniste pendant une très grande partie du XX siècle alors qu’il parait commencer la XXI ème , au moins en Europe, avec une connotation plutôt légèrement déflationniste. Quoi qu’il en soit il est probable que devant les inconvénients graves et les avantages douteux des méthodes coercitives, l’évolution de l’endettement suivra sans doute son cours naturel. Et celui-ci pourrait se révéler, au moins pendant quelques années moins amer qu’on ne le croit généralement. Le Japon en fournit un bon exemple depuis une vingtaine d’années, ayant pu augmenter considérablement son endettement sans aucune conséquence inflationniste.
Certes il n’y a là nulle garantie d’une solution de longue durée, c’est pourquoi le côté indolore de la situation sur laquelle on débouche naturellement amène à insister sur une mise en garde : il est impératif que la période de répit soit mise à profit non pour retarder les réformes mais au contraire pour les accélérer afin d’atteindre au plus vite l’équilibre budgétaire. C’est là en définitive que gît le fond du problème de l’endettement : une dette même élevée, si elle est stabilisée, se refinance facilement et ne pose guère de problème insurmontable ; au contraire, une dette même amputée par des défauts ou une lourde fiscalité ne reste pas moins inquiétante si elle continue d’être alimentée par un déficit courant.
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Sans prétendre dégager les recettes propres à surmonter les difficultés du surendettement, les remarques précédentes conduisent à mettre en lumière quelques points-clés qui méritent de retenir en priorité l’attention de l’État emprunteur :
• La solution chirurgicale d’une "wealth tax" est le type même de l’idée fausse qui engendre plus de problèmes qu’il n’en résout.
• Si l’on écarte les solutions violentes, le cours naturel des choses fera que tout accroissement de la dette aboutira à une création monétaire qui augmentera le niveau de liquidité. Il peut en résulter éventuellement – mais pas nécessairement – une certaine pression inflationniste qui d’ailleurs, dans les circonstances présentes risque davantage de s’exercer sur les prix d’actifs que sur les prix des biens et services courants.
• La politique économique qui constitue une réaction appropriée ou surendettement consisterait à chercher une issue moins dans une approche statique qui considèrerait surtout le montant de la dette que dans une vision dynamique centrée sur les variations de la dette, c’est-à-dire le solde budgétaire.
En définitive, le premier souci de l’État emprunteur est d’avoir une dette gérable et dans cette optique, parmi les facteurs qui importent figure évidemment le montant de la dette mais plus encore l’équilibre budgétaire gage de la confiance des marchés. Cette remarque peut se résumer en un aphorisme simple : en matière de dette souveraine le flux prime sur le stock.