La déconnexion, un nouveau droit ?

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Par Catherine Aliotta Publié le 21 février 2015 à 5h00
Smartphone Addiction Nouvelles Technologies Travail
@shutter - © Economie Matin
58 %58 % des détenteurs de smartphones avouent y être addicts.

Si les nouvelles technologies offrent des outils de plus en plus performants, elles posent aussi de nouvelles questions dans la gestion du temps de travail. Avec les ordinateurs, les tablettes numériques et les smartphones, la frontière entre vie professionnelle et vie privée est de plus en plus poreuse.

Selon une étude menée par la CGT dans le cadre de sa campagne pour le droit à la déconnexion, 75% des cadres utilisent les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) pour leur usage professionnel sur leur temps personnel. Quelles sont les conséquences de cette nouvelle addiction ?

Des nouveaux risques psychosociaux

Les entreprises ont très tôt mesuré les immenses bénéfices que pouvaient apporter l’utilisation des nouvelles technologies. Cependant les bouleversements dans la structuration du travail qu’elles impliquent ont longtemps été passés sous silence. Si les cadres qui continuent à travailler, connectés depuis chez eux, peuvent passer de prime abord pour des collaborateurs zélés et sérieux, les études tendent à prouver, au contraire, que cela peut être contre-productif. Ne jamais faire de coupure tend à favoriser le stress et l’angoisse chez les salariés qui, sans cesse confrontés aux contraintes professionnelles, n’ont parfois plus le recul nécessaire à la lucidité.

De nombreuses entreprises ont d’ailleurs lancé des journées sans mail ou décidé de bloquer les messageries après une certaine heure pour contraindre leurs employés à se déconnecter. C’est le cas par exemple de la société Sodexo qui, dans un communiqué de presse de janvier 2013, déclarait vouloir réduire de 20% le nombre d’e-mails envoyés plusieurs journées par an. Expliquant leur engagement comme employeur responsable, la société justifiait en ces termes sa nouvelle campagne : "Si les e-mails permettent de gagner en efficacité et d’accélérer les échanges, ils dégradent aussi trop souvent la qualité de vie au travail en déshumanisant les relations professionnelles."

Les gouvernements successifs sont eux aussi conscients de ces nouveaux enjeux. Ainsi dans le rapport "Bien être et efficacité au travail" présenté en 2010 au Ministre du travail, les risques créés par une connexion excessive figurent parmi les grandes familles de facteur de stress. Les auteurs y dénoncent "l’utilisation parfois à mauvais escient des nouvelles technologies, qui “cannibalise” les relations humaines : elle fragilise la frontière entre vie privée et vie professionnelle, dépersonnalise la relation de travail au profit d’échanges virtuels et accélère le rapport au temps de travail – introduisant une confusion entre ce qui est urgent et ce qui est important. En une génération, on est passé d’un collectif de travail physiquement réuni à une communauté d’individus connectés mais isolés et éloignés les uns des autres." Notons que le titre même de ce rapport montre le lien direct qu’il y a entre le bien-être des salariés et leur performance sur leur lieu de travail.

Pour un bon usage du numérique

La question n’est pas de diaboliser les nouvelles technologies mais d’en faire bon usage. D’autant qu’un salarié constamment connecté a plus de risque de développer du stress et des troubles du sommeil. Autant de facteurs qui réduisent son efficacité au travail et peuvent impacter la performance globale d’une entreprise. Bien manager, c’est donc aussi aider les gens à se déconnecter. Preuve en est, Bruno Mettling, directeur adjoint du groupe Orange et chargé des ressources humaines, est un fervent militant du droit à la déconnexion. Il ne se positionne par pour autant contre les nouvelles technologies ; bien au contraire, il tient à en utiliser tous les bénéfices — efficacité, capacité à créer du lien entre les salariés, etc. —, tout en en régularisant l’utilisation. Chez Orange, il suit de près le développement d’outils numériques comme les MOOC mais souhaite aussi en maîtriser l’impact. Dans une interview donnée au magazine Stratégies, il déclare : "le droit à la déconnexion prévu par le récent accord Syntec est extrêmement intéressant. Il faut accepter qu’il y ait de la régulation et des grands principes pour éviter des improvisations anarchiques, qui peuvent conduire par exemple à l’isolement du télétravailleur."

Certains groupes proposent des activités de détente à leurs salariés sur leurs temps de pause. Remettre le développement personnel au cœur des enjeux de développement apparaît comme une nécessité. Elles offrent ainsi des séances de sophrologie qui permettent à chacun de développer par des courts exercices, des moyens de gestion du stress et de la fatigue.

Une démarche individuelle

Si les entreprises sont responsables de la qualité relationnelle qu’elles développent avec leurs salariés, l’addiction au smartphone est aussi un mal individuel. Selon un sondage IFOP de février 2013, 58 % des possesseurs de smartphones se disent dépendants à leur appareil et près d’un quart d’entre eux consultent leur téléphone plusieurs fois par heure. Plus inquiétant, 19 % d’entre eux consultent même leur téléphone dans… leur lit ! Certains psychiatres militent désormais pour que l’addiction aux smartphones soit reconnue comme un trouble psychologique.

On parle désormais de nomophobie, ce terme qui vient de l’anglais est une compression de l’expression "no mobile-phone phobia". Celui ou celle qui souffre de nomophobie est saisi(e) d’une peur panique dès que son téléphone portable lui est enlevé. Nos sociétés se trouvent donc face à une nouvelle forme d’addiction à endiguer. Mais si les entreprises conscientes de ces dysfonctionnements œuvrent à en limiter les conséquences dans l’espace professionnel, ceux qui en souffrent doivent aussi faire un trajet individuel. Comme pour toute phobie il s’agit de se libérer de ses symptômes en puisant sans ses capacités physiques et mentales. Le bien-être de l’individu, dans la sphère privée comme professionnelle, est un enjeu majeur de nos sociétés du flux et de la vitesse.

Des séjours et vacances déconnectés voient le jour et des lieux prohibant l’utilisation de tout ordinateur ou téléphone portable fleurissent aux quatre coins de la planète. C’est le cas par exemple du Seymour+ dans le 10ème arrondissement de Paris qui prône la déconnexion pour se reconnecter avec soi-même et retrouver sérénité et créativité. Ce type d’initiative prouve autant l’urgence du besoin de déconnexion que le nouveau marché qu’offre cette tendance. Cela nous rappelle que les nouvelles technologies doivent rester un atout et ne pas se transformer en chaîne.

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Catherine Aliotta est présidente de la Chambre Syndicale de la Sophrologie. Elle est également fondatrice de l'Institut de Formation à la Sophrologie (Paris) et auteur de plusieurs livres.

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