Gun Jumping : Altice-SFR écope d’une amende de 80 millions d’euros

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Par Dan Roskis Publié le 16 décembre 2016 à 5h00
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5 %L?Autorité de la concurrence peut imposer des amendes allant jusqu?à 5% du chiffre d?affaires des entreprises pour gun jumping.

Le 8 novembre 2016, l’Autorité de la concurrence (l’Autorité) a imposé une amende de 80 millions d’euros l’opérateur télécom SFR et sa société-mère Altice Luxembourg (Altice) pour avoir mis en œuvre deux opérations de concentration avant d’obtenir l’autorisation de l’Autorité.

De telles pratiques sont désignées sous le terme de « gun jumping » en Europe et aux USA, lorsque les parties à une opération de fusion-acquisition réalisent celle-ci avant d’avoir obtenu l’autorisation des autorités de concurrence compétentes. En effet, la plupart des pays européens - à l’exception notable du Royaume-Uni - ont institué un système d’autorisation préalable des opérations de concentration par les autorités de concurrence compétentes, lorsque certains seuils sont franchis, notamment en termes de chiffre d’affaires. C’est également le cas lorsque l’opération en question relève de la compétence de la Commission européenne.

En pratique, deux scénarios de gun jumping sont envisageables. Soit les parties à une concentration omettent purement et simplement de notifier pour autorisation leur projet à l’autorité de concurrence compétente, lorsque les seuils de notification sont franchis. Soit l’opération est notifiée, mais elle est réalisée pendant l’examen du dossier par l’autorité compétente. Or, les parties à une concentration sont censées continuer de se comporter comme des entreprises indépendantes, jusqu’à l’obtention de l’autorisation des autorités de concurrence compétentes. Le groupe Altice l’a appris à ses dépens à l’occasion de l’examen par l’Autorité de deux opérations distinctes.

Le 30 octobre 2014, l’Autorité avait autorisé Numéricable (groupe Altice) à acquérir l’opérateur SFR sous réserve de certaines conditions. Le 27 novembre 2014, l’acquisition par Altice de l’exploitant de Virgin Mobile, Omer Telecom (OTL), était également été autorisée. Cependant, en avril 2015, l’Autorité a mené des opérations de visite et de saisie inopinées dans les locaux du groupe Altice suite à de plaintes de concurrents.

L’Autorité a ainsi découvert qu’avant l’approbation de l’acquisition de SFR, Altice échangeait avec l’opérateur de nombreuses informations stratégiques en vue de préparer l’intégration des deux groupes. Selon l’Autorité, les échanges entre les dirigeants des deux groupes portaient sur des informations confidentielles et individualisées (offres tarifaires Internet THD, appels d’offres publics, …). Altice était même intervenue dans les décisions de SFR sur ses nouvelles offres. Ainsi le lancement de la « Box TV Fibre», le 18 novembre 2014, quelques semaines seulement après le prononcé de la décision d’autorisation, avait été conjointement préparé par les équipes des deux groupes. L’Autorité a relevé des pratiques similaires concernant OTL. Altice avait déjà commencé à peser sur certaines des décisions stratégiques de sa future filiale. Un mécanisme de reporting hebdomadaire avait été également mis en place. Le directeur général d’OTL avait, par ailleurs, pris ses nouvelles fonctions chez SFR avant que l’opération ne soit autorisée par l’Autorité.

La décision sanctionnant Altice est la première en son genre en France pour des pratiques de gun jumping après notification. Altice a en effet été condamnée à payer l’amende la plus élevée jamais infligée par une autorité de concurrence européenne pour ce type d’affaires, à savoir 80 millions d’euros. L’Autorité qualifiera d’ailleurs sa décision de « message fort » en direction des entreprises. Pour rappel, l’Autorité peut imposer des amendes allant jusqu’à 5% du chiffre d’affaires des entreprises concernées, pour des pratiques de gun jumping. Le groupe Altice a choisi en l’espèce de ne pas contester la réalité des pratiques dans une optique de coopération avec l’Autorité.

A titre de comparaison, la Commission européenne avait imposé en 2009 une amende de 20 millions d’euros pour défaut de notification (acquisition de la Compagnie Nationale du Rhône par Electrabel). Autre exemple, l’autorité allemande de la concurrence avait sanctionné le groupe agro-alimentaire Mars en 2008 par une amende de 4,5 millions d’euros pour avoir mis en œuvre une acquisition de manière anticipée. La réalisation d’une acquisition implique un minimum d’échanges d’informations, en particulier à l’occasion de la phase de due diligence permettant aux potentiels acquéreurs d’évaluer l’entreprise convoitée. Cependant, ces échanges doivent rester encadrés par de stricts accords de confidentialité. Dans certains cas, l’accès aux informations sensibles doit être réservé à un nombre très limité de personnes, essentiellement les conseils de l’entreprise (« clean teams »).

Il est crucial que les parties à une concentration se conduisent comme des entreprises indépendantes tant que l’autorisation des autorités de concurrence n’est pas acquise et, en toute hypothèse, avant le closing d’une opération. L’entreprise cible doit continuer à prendre ses décisions en toute autonomie et les transferts de personnels ou les nouvelles nominations doivent être évités. A ce titre, l’élaboration de lignes marketing et commerciales communes ou les échanges d’informations détaillées sur la clientèle doivent être envisagés à l’aune du droit de la concurrence.

L’élaboration en amont d’un cadre clair et équilibré permettra ainsi d’écarter les risques d’amendes élevées, compte tenu de l’attention que ces pratiques suscitent de la part des autorités de concurrence en Europe.

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Dan Roskis, avocat associé du cabinet Eversheds Paris LLP

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