Toujours leader sur un marché de plus en plus concurrentiel, le caviar Petrossian affirme sa différence.
Paris, 1920, naissance d’une légende du caviar. A l’époque, alors que la France pousse les nouveaux arrivants à franciser leur nom, les Petrossian, en provenance d’Arménie, ne vont pas renier leurs origines. Au contraire, ils vont en faire un atout pour commercialiser leur produit. Le nom de famille va devenir une marque. En termes de marketing, c’est un coup de maître.
Dans l’entre deux guerres, ce sont eux qui font découvrir le caviar, peu réputé jusque là, au monde occidental. Grâce à des relations privilégiées avec l’URSS, qui détient l’accès à la Mer Caspienne et aux esturgeons, l’entreprise grandit. Au fil des ans, les Petrossian deviennent l’un des rares partenaires commerciaux non communistes de l’empire soviétique. L’entreprise familiale se transforme en marque icône, reconnue internationalement pour son excellence.
Cette relation avec les soviétiques, comme plus tard celle avec les iraniens, offre à la famille un modèle de développement économique stable jusqu’à l’éclatement de l’URSS au début des années 1990.
Une entreprise qui surmonte les crises
A cette date, les choses se compliquent. La famille Petrossian doit désormais négocier non plus avec deux partenaires mais avec six : les historiques, Russie, Iran mais aussi les nouvelles républiques, le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan, et le Turkménistan, toutes possédant une ouverture sur la Caspienne et y revendiquant des droits de pêche.
Chaque pays ayant bien compris tout ce qu’il pouvait tirer de cette manne, s’engage alors un pillage organisé de la ressource en Mer Caspienne qui aboutit à l’interdiction de toute commercialisation de caviar sauvage en 1998.
Dès lors, les prix explosent et les fermes aquacoles prennent le relais. Les Petrossian accompagnent cette transformation de l’industrie et seront les premiers à se fournir auprès des fermes. Elles apparaissent un peu partout dans le monde et sont aujourd’hui devenues l’unique modèle de production puisqu’il n’y a officiellement plus de caviar sauvage depuis 2008.
Toutefois, contrairement à ses concurrents qui se sont lancés dans l’élevage, la société Petrossian n’a jamais franchi le pas. Elle a toujours privilégié son métier historique: l’élaboration d’un met prestigieux.
Posséder une ferme ne garantit pas la qualité du caviar
Pour le chef de famille, Armen Petrossian, le fait de posséder une ferme ne garantit ni la qualité, ni l’origine du produit fini : « lorsqu’il s’agit d’élevage, l’origine a peu ou pas d’importance. C’est la qualité de l’élevage, les espèces d’esturgeon, et le savoir faire du fabricant qui comptent. » D’autre part, « une ferme achète des alevins ou des œufs fécondés, les fait grossir jusqu’à maturité puis les traite. Or, une ferme ne peut pas produire 100% de bon caviar. Il y aura nécessairement du bon, du moins bon et du mauvais mais quand on possède une ferme, on est obligé de tout commercialiser ».
Et cette contrainte, Armen Petrossian n’en veut pas. Il souhaite contrôler ses achats et ne pas être tenue de vendre une production ne correspondant pas à ce qu’il vise en termes de qualité.
Car au delà d’un sens certain du commerce et du marketing, le secret de la marque se cache dans un savoir-faire, une maîtrise de la confection du caviar qui s’apparente à ce qui se fait de mieux en France dans les vins, les champagnes, le cognac ou la maroquinerie de luxe.
Le savoir-faire Petrossian
A la base, il y a un processus de production bien huilé qui débute par une relation étroite avec les fermes.
La première phase est celle du référencement des fermes. Les représentants de la marque sélectionnent les fermes sur la base d’une charte de production très pointilleuse. Tout est vérifié : qualité de l’eau, taille des bassins, espèces des poissons concernés, densité des poissons, aliments utilisés, système d’abattage. Cette phase concerne le contrôle de tous les paramètres d’élevage.
La société Petrossian conseille ensuite les fermes au niveau commercial et financier mais leur apporte aussi un soutien dans la préparation du caviar. Elle éduque les fermes sur la méthode à appliquer pour avoir une qualité constante et un prix décent. Comment traiter le caviar, comment le saler, comment le laver, elle livre ses conseils sur toutes les techniques qui consistent à obtenir une bonne matière première que la société va ensuite travailler dans une troisième et dernière phase : la sublimation du caviar.
Le terme peut paraître pompeux mais correspond pourtant bien au métier d’art qui a fait la renommée de la marque Petrossian. « C’est un processus de développement des arômes par le temps, la température et la prévision que l’on peut avoir de l’évolution du caviar sachant que chaque poisson et chaque espèce évoluent de manière différente. » Et les espèces d’esturgeons sont nombreuses, d’où l’importance de les classifier précisément ainsi que le produit fini qui leur correspond et qui se déclinera sous une appellations spécifique, l’Alverta, le Baïka, le fameux Beluga, l’Ossetra, le Sevruga, le Daurenki, le Sterlet.
Dès lors, on comprend mieux la complexité d’un travail qui nécessite une culture, un référentiel de goût, une longue éducation du palais pour dire que tel caviar doit avoir telles caractéristiques. On ne s’improvise caviarologue®.
Luxe "made in France"
C’est aussi pour cette raison qu’Armen Petrossian ne supporte pas que l’on présente sa société comme une simple maison de négociants ou qu’on laisse entendre que sa marque ne serait pas française sous prétexte qu’elle s’approvisionne dans le monde entier. Pour lui, ces arguments sont fallacieux et diffusés par des concurrents cherchant à cannibaliser sa notoriété. Il revendique un caviar fruit d’un savoir-faire unique, familial et français.
A l’heure où l’on parle de « démocratisation » du caviar, alors que le nombre de ses concurrents ne cesse de croître, que la production de caviar bas de gamme augmente, que la grande distribution s’y intéresse, Armen Petrossian revendique la noblesse de son métier et joue la carte élitiste. Toujours leader mondial, qualitativement et quantitativement, c’est indéniablement une stratégie gagnante.