Les épargnants se retrouvent pris entre l'enclume des taux bas et le marteau réglementaire dont Benoit Coeuré avoue qu'il protège d'abord les institutionnels.
1,4 Md€. C’est le montant que les Français ont abondé en assurance-vie depuis le 1er janvier 2017, dont 83% de cotisations en fonds euros. En 2016, la collecte était sept fois supérieure, avec 10 Mds€ sur la même période. La loi Sapin 2 et la hausse de la fiscalité annoncée par le nouveau président de la République sont passés par-là.
Avec un encours de 1 653 Mds€ fin avril (+4% sur un an), l’assurance-vie représente plus de 40% du portefeuille du Français moyen.
J’écris « moyen » car notre personnel politique, en tout cas ceux de ses membres qui ont été candidats aux dernières élections présidentielles, ne fait pas particulièrement pencher la balance du côté des fonds euros. Seuls Emmanuel Macron, François Fillon et François Asselineau ont déclaré détenir un contrat d’assurance-vie. Même Jean-Luc Mélenchon, qui souhaitait pourtant augmenter le niveau des dépenses publiques de 270 Mds€, n’a pas placé le moindre centime en assurance-vie adossé à de la dette française.
Dommage, le quasi-million d’euros de patrimoine net que le candidat de la France Insoumise a accumulé au fil de 58 ans de mandats électifs cumulés aurait été bien utile pour financer une pareille gabegie. Il est à noter qu’1,4 Md€, c’est également le montant que les Français ont abondé sur le Livret A sur le seul mois d’avril, entérinant ainsi un cinquième mois de collecte positive sur ce placement rémunéré à 0,75%. Sur le front du Livret de développement durable et solidaire (LDDS), ex-LDD, c’est le même refrain : le nom change, mais le rendement reste le même, au ras des pâquerettes à 0,75%.
Avec d’un côté des marchés actions au zénith et de l’autre des taux très bas, les Français ne savent plus comment placer leur épargne. Faute de mieux, ils continuent à stocker des milliards d’euros sur des supports qui ne rapportent quasiment plus rien.
Fonds euros : sous des airs rassurants, les régulateurs restent alarmistes
Pour en revenir aux fonds euros, bien que la part dans la collecte nette a fondu, ils représentaient encore 81% des encours de l’assurance-vie au mois de mars. Voilà de quoi justifier la réitération de l’appel à la modération énoncé fin mai par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) à l’attention des assureurs-vie. Avec un taux moyen de rendement qui a chuté de 2,3% à 1,8% (-21%) entre 2015 et 2016, cBanque résume le message de l’ACPR dans les termes suivants : « satisfaisant, mais il faut poursuivre les efforts. »
Les efforts mais pour qui et dans quelle voie ? Pour les assureurs et dans la voie de la constitution de provisions pour participation, bien sûr ! Ce mécanisme est en effet censé permettre aux assureurs de mieux gérer une éventuelle dégradation de la situation macroéconomique, en particulier au niveau de l’évolution des taux d’intérêt.
Benoit Coeuré pris en flagrant délit de favoritisme
Justement, deux mois plus tôt, Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne, alertait les Etats de la Zone euro de la hausse des taux d’intérêt à venir. Hausse qui aura pour conséquence mécanique de faire baisser la valeur de tous les portefeuilles obligataires servant des taux plus bas.
« Il est clair que le secteur financier et les autres acteurs économiques, notamment les Etats, doivent se préparer à un environnement de taux d’intérêt plus élevés », a-t-il déclaré. Le cynisme a été relevé par le blogueur Bruno Bertez : Benoît Coeuré « ose dire qu’il faut monter les taux parce que les taux bas ‘ce n’est pas bon pour les banques, ça érode la marge d’intérêt‘. Il pourrait au moins faire semblant de s‘intéresser aux épargnants et dire que les taux trop bas les spolient depuis des années. »
Hausse des taux, pour quand ?
Hausse des taux ? Quand se produira-t-elle ? Sans doute pas demain, mais peut-être après-demain. Courant 2018, selon l’équipe de recherche de Natixis. En cause, le fait que la BCE ne peut pas se permettre de prendre le risque d’entériner un quantitative easing illimité et assumer les conséquences qui en découlent.
Quoi qu’il en soit, le bilan de la BCE dépasse au mois de mai celui de la Fed avec 4 157 Mds€. Seule la Banque Populaire de Chine fait « mieux ». Naturellement, quand Mario Draghi scrute le ciel, tout est bleu et aucun nuage ne pointe à l’horizon.
Du côté des assureurs : les fonds euros "ne sont pas morts, mais c’est pour bientôt" !
Après Spirica au mois de décembre, c’est au tour de Nortia d’abandonner au mois de mars la garantie à 100% de ses fonds euros. Ses deux contrats Private Vie et Canopia se voient intégrer la nouvelle famille de fonds euros « EuroActifs #2 » qui affichera « un niveau de garantie du capital fixé à 98% ». Deux mois plus tard, Philippe Parguey, en charge du développement chez Nortia, résumait la situation de manière on ne peut plus claire :
« [les fonds euros] ne sont pas morts, mais c’est pour bientôt. Structurellement, la rentabilité des fonds euros ne peut être tenue. […] Ce sont d’énormes paquebots lancés à pleine vitesse, dont le moteur est coupé, ils ralentissent progressivement jusqu’au jour où ils avanceront moins vite que le courant. Pour parer à la faiblesse des perspectives de ce support, il faut accepter de prendre une part de risque. »
A côté de cela, la déclaration de Bernard Lebras, président du directoire de Suravenir, fait presque petit joueur : « nous rentrons dans un scénario où le modèle économique de l’assurance-vie n’est plus équilibré », a-t-il déclaré au mois de mai dans Gestion de Fortune.
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