Le pourboire est une pratique courante sinon obligée dans de nombreuses situations d’échange économique. Il existe beaucoup de situations dans lesquelles il constitue une part importante des rémunérations.
L’idée qui sous tend cette reconnaissance du pourboire est que le service fournit au client comme, par exemple, le service des tables dans un café ou un restaurant, doit être rémunéré de façon distincte des produits consommés, et surtout partagée entre le fournisseur du service et le client. Le client ayant tacitement accepté cette idée, est laissé libre d’apprécier, en fonction de ses propres critères, ou bien en fonction de règles établies, le montant qu’il donne « volontairement » ou le pourcentage du pourboire par rapport au prix des produits et services.
Il est à la fois rémunération et récompense du mérite, et cette pratique a en France été organisée et réglementée. Désormais, le pourboire est intégré dans la facture des cafés et restaurants comme un élément constitutif du coût du service, notamment au café et au restaurant.
Il n’empêche qu’il est encore pratiqué, et en supplément du service facturé dans le ticket de caisse, qui permet le respect de la réglementation su les salaires. C’est le signe qu’il est ancré dans la pratique sociale et perdure au-delà des réglementations.
S’il persiste dans sa réalité, c’est globalement parce qu’il est compris comme un mode de compensation de faibles rémunérations, et/ou, le mode d’expression d’une satisfaction particulière du client.
Garçons de café, petites mains ou experts des salons coiffure, chauffeurs de taxis, ouvreuses des théâtres privés sont les « bénéficiaires » d’une pratique qui traduit le rôle compensatoire et harmonisateur du pourboire dans les relations sociales.
Du coté du client, il y a un sentiment d’obligation plus ou moins ressenti, comme une contrepartie de l’avantage de disposer de ressources supposées supérieures à celles des employés des services.
Mais ce sentiment induit des dérives dangereuses là quand le client devient un patient
D’où vient que le pourboire se répande dans les hôpitaux et cliniques ?
Est-il la conséquence de pratiques apportées par les étrangers qui viennent se faire soigner dans nos établissements et répandent ici une habitude courante dans leur pays ?
Est-il la conséquence du sentiment de culpabilité de la société devant la situation jugée quasi uniformément injuste du personnel infirmier ?
L’idée que les personnels hospitaliers, en dehors des médecins, ont un revenu qui n’est pas en relation avec la pénibilité du travail, et surtout à son extrême utilité, est très répandue et peut contribuer à fausser les relations entre eux et les patients.
Cette question d’ordre économique et social a du sens, mais c’est un autre débat.
Ambulancier, infirmiers, personnels de service, nous avons dans ce pays la chance extraordinaire d’être accompagnés par des personnels formés, éduqués à leur métier et nous remettons nos vies entre leurs mains en toute confiance ce qui est un immense privilège. Avec eux, directement, nous n‘avons que rarement des relations d’argent. La Sécurité Sociale s’interposant entre eux et nous dans les moments les plus difficiles, nous décharge de toute inquiétude, de tout souci matériel ou relationnel qui viendrait aggraver les soucis de santé.
Ce privilège dont on ne mesure pas assez la valeur, est depuis peu grignoté dans le cas particulier des personnes âgées.
La progression du nombre de patients âgés exige que l’on se préoccupe d’un phénomène qui pourrait se répandre dangereusement. Qui dit âge dit aussi maladies, et parmi elles beaucoup conduisent à des séjours en hôpital.
Elles savent, les personnes âgées, que s’occuper d’elles n’est pas attrayant. Elles sentent qu’elles doivent faire appel à plus de compassion, elles redoutent l’hostilité que peut susciter la dégradation de leurs capacités physiques ou intellectuelles.
Plus dépendantes, elles sont aujourd’hui considérées et à souvent juste titre, comme économiquement favorisées par leur retraite. De plus en plus âgées, elles redoutent la négligence ou la maltraitance invisible, imaginée ou réelle, qu’elles pourraient subir à l’abri des regards de leurs proches. Pour s’en prémunir, elles distribuent de plus en plus souvent des billets, quand elles ne sont pas directement sollicitées.
Telle femme âgée entendue dans une chambre d’hôpital demande à son fils de lui rapporter plusieurs billets de 10 euros parce qu’elle a déjà tout distribué pour s’attirer les faveurs des personnels. A telle autre une infirmière conseille fortement « d’ouvrir son porte monnaie » pour récompenser la personne qui l’a veillée pendant la réanimation qui suivait une opération. Des brancardiers entre eux parlent avec éloge, devant des vieux hospitalisés, des cadeaux de tel patient si gentil. Dans une maison de retraite, une personne âgée est sollicitée pour rapporter un cadeau de ses promenades ou vacances.
Il est évident que les cadeaux sont un moyen d’établir des relations pacifiées et amicales entre personnes, mais dans les situations de dépendance, le cadeau peut devenir un poison. Comment éviter qu’il dérive en exigence, qu’il devienne une obligation, et comment éviter que cette obligation ne dérive elle même en quasi chantage moral dans les cas extrêmes ?
Dans le secteur de la santé il est essentiel d’empêcher l’instauration du pourboire comme une pratique courante parce que la nature des relations entre personnels soignant et patients ne le permet pas. Sinon au contraire, instaurons le pourboire comme moyen de régulation et d’harmonisation des relations sociales à l’hôpital en créant une caisse collective que les dirigeants des hôpitaux répartiraient en primes et qui récompenserait une qualité de relation mesurable au volume des dons.
Les questionnaires de qualité qui sont aujourd’hui proposés partout ont sûrement eu une grande utilité pour la gestion des problèmes matériels, ou l’amélioration remarquable des repas très injustement décriés.
La formation aux métiers médicaux est la meilleure méthode de contrôle des comportements, d’amélioration du respect du patient et de son entourage, et de la courtoisie en général.
Pour une plus grande qualité de relations avec le patient, pourquoi pas une caisse de pourboire au niveau de chaque service, en désignant les personnes méritantes, qui permettrait de renforcer la solidarité des personnels dans l’effort d’amélioration des relations avec les patients ?
Certains progrès récents de la médecine viennent de la transformation de poisons en remèdes innovants. Peut être que s’en inspirer pour utiliser le pourboire comme un don collectivement réparti serait plus efficace que des interdictions impossibles à contrôler.