Lettre ouverte à Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique
Monsieur le Ministre
Si l'on devait décerner un prix au ministre le plus médiatique du gouvernement Valls 2, ce serait probablement vous qui le recevriez. Inutile de détailler votre CV, de nombreux journalistes s'en sont chargés : vous êtes le plus jeune ministre de l'économie depuis Valéry Giscard d'Estaing, le président et le premier ministre vous estiment, une partie de la gauche vous méprise, la droite dans une large majorité vous observe. On dit que vous êtes brillant, je veux bien le croire.
La France est engluée dans une crise économique dans laquelle parfois elle semble se complaire. Là où d'autres retrousseraient les manches et accepteraient de faire des sacrifices, nous français préférons faire les enfants gâtés. Les Etats-Unis, l'Italie, l'Allemagne ont su redresser leurs économies dernièrement, et la Chine est en passe de dominer le monde dans les prochaines années. Pendant ce temps, nos déficits s'accroissent, notre système s'enfonce aux limites de l'implosion et une partie de la population continue à se battre pour des privilèges auxquels nous ne pouvons plus décemment prétendre.
Les chefs d'entreprise sont conscients de ces combats à mener contre nous-mêmes. Ce sont les plus difficiles, et vous le savez. Changer, c'est notre priorité, et trois ans ne seront pas de trop pour y parvenir. Dans le jeu de cartes que vous a confié le premier ministre, il en est une qui peut servir d'atout et accélérer cette transformation: vous êtes ministre du Numérique, et peu de pays peuvent s'enorgueillir d'avoir su allier économie et technologies de l'information dans un seul portefeuille. A ce titre, vous êtes peut-être une exception en Occident, autant en profiter !
Le numérique, cet écosystème un peu barbare pour le kidam, peut surprendre ceux qui ne sont pas familiers avec ses paradigmes. Voici trois axes que j'aimerais vous proposer pour mieux saisir les enjeux de cette transformation.
1-Toutes les entreprises doivent prendre le virage du numérique au risque de mourir
La France n'a pas attendu le 21ème siècle pour que ses entreprises embrassent le monde du numérique. De Bull à Dassault Systèmes, de Ventes-Privées à Meetic, notre pays ne manque pas de fabuleux succès dans ce domaine. Plus que la réussite de brillants entrepreneurs, c'est avant tout celui d'un modèle éducatif, qui depuis longtemps alimente les fleurons français : écoles d'ingénieur ou spécialisées, elles ont fourni des contingents d'experts que de nombreuses entreprises étrangères sont prêtes à accueillir en leur sein. Les nouvelles écoles, comme celle lancée par Xavier Niel, forment dès aujourd'hui les officiers de la guerre économique de demain, il faut en être conscient.
Mais, notre pays n'a engendré ni un Google, ni un Facebook, ni un Amazon, alors que l'on compte plusieurs champions internationaux dans des secteurs traditionnels tels que le luxe, l'énergie ou les cosmétiques. Pourquoi nos entrepreneurs du numérique s'arrêtent-ils de croître avant de changer le monde ? Pour des raisons économiques et fiscales avant d'être culturelles ! Des solutions ont été apportées depuis, maintenons-les.
Mais il ne faut pas oublier les deux millions d'entreprises qui ne relèvent pas du numérique. Ce sont elles qu'il faut aider en priorité. Leur digitalisation concerne des milliers de salariés: communication numérique, parcours client, services mobiles, le numérique représente un gisement inestimable pour les plus audacieux, encore faut-il les pousser à s'y investir. Le crédit impôt innovation, qui complète son prédécesseur et accroît les chances de réussite des projets bénéficiaires, est une bonne initiative. Mais combien d'entreprises « non numériques » ont conscience de l'existence de ce dispositif?
2-Un gisement encore trop mal exploité pour l'emploi
La France peut s'enorgueillir de filières de qualité pour former au numérique. Mais cela ne suffit pas. Quand nous formons quelques milliers d'ingénieurs chaque année, l'Inde ou la Chine en forment dix fois plus ! La démographie joue contre nous et seule l'intelligence peut nous sauver. L'intelligence de mettre du numérique là où l'on ne l'attend pas : médecins, éleveurs, enseignants, banquiers, policiers. Cela prendra sans doute du temps et de l'argent. Mais c'est un investissement que notre pays ne doit pas négliger.
Le numérique casse des modèles économiques et détruit des emplois. C'est une vision pessimiste contre laquelle je veux m'ériger. Lorsque des emplois disparaissent avec l'irruption du numérique, comme c'est le cas dans la presse ou l'économie culturelle, ce n'est que la fin d'un cycle : d'autres métiers, d'autres secteurs économiques ont disparu par le passé, en raison de progrès industriels, du cocher à l'allumeur de réverbère. A-t-on décidé de sacrifier le progrès industriel pour cela ? Evidemment non. Ceux qui perdent leur emploi, au-delà des souffrances endurées, doivent comprendre que c'est un signal pour en apprendre un nouveau, que la formation reçue ne suffit plus à vivre une seule vie professionnelle. La formation continue est un enjeu important, et le numérique apporte son lot de solutions.
3-La communication aussi doit passer au numérique
Internet a profondément bouleversé notre planète. Le web social et ses avatars ont porté à bas des régimes dictatoriaux et des présidents aux sommets. Vous-mêmes l'avez immédiatement saisi, en créant vos espaces personnels sur les plateformes que sont Facebook et Twitter : j'espère que vous saurez vous en servir, à l'instar d'autres leaders politiques.
Le web social ne concerne pas que la société civile : les entreprises n'ont pas été épargnées. Elles aussi doivent se convertir à ces nouvelles formes de langage, sous peine de paraître désuètes et en désaccord avec leur époque. Paradoxalement, notre pays est à la traîne sur ce sujet, par comparaison avec nos voisins européens. Une proportion inadmissible d'entreprises françaises n'a tout simplement pas de site internet ! Il faut les aider : un site, ce n'est pas seulement une adresse, c'est une fenêtre ouverte sur le monde, un vecteur de développement économique, le moyen de toucher des clients distants, de démultiplier ses chances de succès commercial au-delà de sa zone d'influence. La frilosité des entreprises françaises dans ce domaine n'est pas acceptable : et pourquoi les formalités administratives lors de la création d'une entreprise ne comprendraient pas, désormais, la création d'un site sous un délai approprié ?
Voilà, monsieur le ministre, trois manières d'appréhender le numérique, secteur intimement lié à l'économie, l'éducation et l'industrie. La tâche est difficile, le délai imparti est court : à vous d'oser prendre les décisions qui s'imposent et de les communiquer le plus efficacement. Soyez-en certain, les chefs d'entreprise sauront vous soutenir pour aller au bout de cette nécessaire transformation de notre économie.