Le rapport entre la finance et l’activité économique est souvent mal compris, et le développement excessif de la "finance d’affaires" obscurcit encore le paysage. Or le plus important est la finance "de papa", celle qui consiste à emprunter aux banques et à lever des fonds propres (émissions d’actions), dans le but d’investir et d’embaucher.
Les limites du financement par actions
Le financement par actions possède de grandes qualités, en particulier celle d’accroître la résistance des entreprises aux aléas de la vie économique, mais le nerf de la guerre, si l’on peut dire, est le crédit bancaire. En effet, une émission d’actions n’augmente pas la quantité de monnaie en circulation : la monnaie passe simplement d’un compte à un autre. Elle permet d’investir, mais en contrepartie c’est autant d’argent qui ne se porte pas sur les biens de consommation. Or l’investissement n’a de sens que pour produire davantage de biens désirés par les ménages et les administrations censées être à leur service. Si les ménages, ayant consacré trop d’argent à financer l’investissement des entreprises, n’en ont plus assez pour acheter la production supplémentaire de biens de consommation qui en résulte, les prix baissent ou les invendus s’accumulent, ce qui dans les deux cas refroidit les entrepreneurs, et la reprise économique s’arrête.
Crédit bancaire : créer de l'argent
Le recours au crédit bancaire a des effets bien différents. Il ne consiste pas à prêter de la monnaie préexistante, il crée l’argent – les dépôts sur les comptes en banque – qu’il met à la disposition des emprunteurs. Quelle que soit la forme prise par les prêts bancaires, le résultat est le même que dans l’exemple simplissime suivant : l’entreprise E se reconnaît débitrice de la somme S dont la banque B crédite son compte sur ses livres. L’idée selon laquelle il faudrait que la banque B possède la somme S avant de la prêter à E est totalement fausse. Le crédit bancaire consiste à créer simultanément deux dettes : B se reconnaît débitrice à vue de E, et E se reconnaît débitrice à terme de B. La créance à vue sur B que détient alors E est de la monnaie. Cet argent n’existait pas avant la signature du contrat de prêt ; cette signature le crée à partir d’un projet d’investissement. Réciproquement, tout remboursement de crédit provoque une destruction de monnaie : un compte créditeur est débité en contrepartie de la réduction d’une dette.
Les banques ont un pouvoir de création monétaire
Les banques ont donc un pouvoir de création monétaire. Lisons bien "les" banques, au pluriel, car l’entreprise E n’a pas emprunté pour garder cet argent sur son compte chez B, mais pour payer des fournisseurs et des salariés, qui ont des comptes chez toutes sortes de banques : la monnaie créée par B se retrouve rapidement au passif de B’, B’’, etc. B compte sur des mouvements de sens inverse : de la monnaie créée par ses consœurs se retrouvera sur ses livres. Si ce n’est pas suffisamment le cas, B emprunte aux dites consœurs, directement (marché interbancaire) ou par l’intermédiaire de la banque centrale. La création monétaire est le moteur de la croissance lorsqu’elle finance des investissements judicieux et les embauches qui vont avec. En effet les salariés supplémentaires payés par toutes les entreprises qui, comme E, empruntent pour développer leur activité, sont les nouveaux clients qui achèteront ce que E va mettre de plus sur le marché.
Créer un climat favorable aux entreprises
Ce cercle vertueux peut être contrarié par divers phénomènes. Celui qui joue le plus aujourd’hui est le financement à crédit de revenus de remplacement. Quand l’activité faiblit, l’endettement public destiné à fournir des capacités de consommation aux personnes qui ne travaillent pas la soutient. Mais le jour où cet endettement devient excessif, force est de réduire ce soutien. Si la reprise n’est pas encore arrivée, cette réduction des aides accentue le recul de l’activité, comme on l’a vu en Grèce, en Espagne et en Italie.
La solution consiste donc en une augmentation de l’investissement et de l’embauche financée par le crédit bancaire démarrant assez longtemps (deux ans ?) avant la réduction des déficits publics. Pour que cela se produise, il faut que les règles prudentielles imposées aux banques ne soient pas axées sur les crédits aux entreprises, mais sur les opérations relevant de la banque d’affaires. Il faut aussi créer un climat favorable aux entreprises, en sabrant dans le fatras des contraintes bureaucratiques qui s’opposent à leur développement et à leur création. Depuis le début de la crise, 7 années ont été perdues. Aujourd’hui, quelques dispositions de la loi Macron vont dans ce sens, mais il faudrait y aller beaucoup, beaucoup plus franchement.