Les acteurs économiques, financiers et du monde technologique de la Silicon Valley ont été surpris du rachat du réseau social professionnel LinkedIn par Microsoft ce lundi 13 juin 2016.
Ce dernier a en effet mis la main sur un réseau social américain premium, qui compte à ce jour 433 millions de membres inscrits à travers le monde, dont 10 millions en France. C’est la plus grosse acquisition jamais réalisée par la firme de Redmond depuis sa création en 1975. Le géant informatique prend ainsi une nouvelle direction en rachetant LinkedIn pour 26 milliards de dollars, soit 196 dollars par action, ce qui correspond à une prime par action de 50% par rapport à la cotation du vendredi 10 juin. Cette transaction témoigne de la nouvelle stratégie d’acquisition et de diversification de Microsoft. Ce dernier s’est montré particulièrement actif depuis le début des années 2010. En 2011, il rachète Skype, le logiciel permettant de téléphoner gratuitement grâce à internet, pour 8,5 milliards de dollars. En 2013, Microsoft acquiert la division mobile de l’entreprise finlandaise Nokia pour 5,4 milliards d’euros, mais va subir un réel échec face à Google et Apple, concurrents sur les marchés des smartphones. En effet, ce rachat se traduit deux ans plus tard par d’importantes pertes pour Microsoft et par la dépréciation de cet investissement. Puis en 2014, il met la main sur Minecraft, un éditeur de jeux suédois pour 2,5 milliards de dollars. En quelques années, Microsoft est devenu en réalité, de moins en moins présent dans l’informatique pour l’être davantage dans la prestation de services aux entreprises (stockage de données, office 365). La valeur ajoutée du « customer oriented services » permet ainsi de garantir des marges et des revenus élevés. Dans cette course où l’effet de taille est devenu un enjeu mondial pourquoi Microsoft s’est-il offert LinkedIn ?
L’intérêt de Microsoft pour LinkdIn
Il n’est pas simple pour Microsoft d’exploiter intégralement ses 1,2 milliard d’utilisateurs sans les intégrer via d’autres canaux. L’entreprise de Redmond revient donc dans les réseaux sociaux après l’avoir été dans le tchat de MSN, il y a plus de 15 ans. En 2007, il échoue à racheter Facebook. Microsoft a versé 26 milliards de dollars pour obtenir les données des 433 millions clients de LinkedIn dont 2 millions de membres payant. L’acquisition d’un membre LinkedIn est donc revenue à 60 dollars à Microsoft. Ce dernier va pouvoir exploiter une riche base de données constituée de cadres et de talents du monde entier. Le réseau mentionne le nom des lieux de travail des membres, leurs expériences passées, leurs réseaux, leurs parcours d’études ou de formation ainsi que leurs hobbies. Grâce à ce réseau, il est ainsi possible de trouver un emploi, améliorer ses compétences, vendre ou commercialiser un produit ou un service partout dans le monde. Ces données privées valent aujourd’hui très chers. Plus les données sont pertinentes, plus elles sont « monétisables » auprès des partenaires et annonceurs. Elles sont en effet très recherchées par ces derniers. Les membres LinkedIn sont généralement actifs via des liens, des commentaires, des images ou des articles qu’ils publient, ce qui leur permet de rester informé, d’échanger, de recruter, ou plus simplement d’être connecté socialement. LinkedIn offre un cadre organisé, utile et structuré au sein d’une communauté à la fois ouverte et fermée.
C’est un site dynamique et performant puisque 60% de ses utilisateurs utilisent son application pour les smartphones et les tablettes. Son développement dans la téléphonie mobile a enregistré une croissance de 49% durant les 12 derniers mois. Sa nouvelle ergonomie depuis décembre 2015 rappelle parfaitement celle de Facebook avec son fil d’actualités continu. Microsoft avait besoin de montrer aux Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple) qu’il pouvait devenir un acteur important sur internet et les réseaux sociaux en particulier. Le moteur de recherche Bing de Microsoft avec 3,5% de marché du « search » dans le monde, contre 90% pour Google, n’a jamais pu vraiment décoller face au géant de Mountain View. C’est également dans cette même ville californienne au sud de San Francisco que se trouve le siège social de LinkedIn. Par ailleurs, le réseau américain est devenu un passage obligatoire pour l’image des entreprises comme pour la relation entre les professionnels. Microsoft a donc parfaitement compris le potentiel que représentait la valeur des membres et des entreprises clientes de ce réseau. En unifiant sa stratégie avec LinkedIn, Microsoft va pouvoir réduire sa présence publicitaire dans Facebook et Google.
Le potentiel de LinkedIn
L’image de marque (brand image) de LinkedIn a toujours été excellente même si Wall Street avait sanctionné le titre depuis début janvier 2016. Le cours de l’action avait alors baissé jusqu’à 42% de sa valeur. Microsoft a racheté non seulement une marque réputée mais également un réseau mondialement connu. Le réseau est présent dans 200 pays et le français Viadéo n’a jamais été une concurrence sérieuse pour l’américain. Contrairement à Facebook ou Twitter, LinkedIn est un réseau premium où les entreprises comme les membres doivent payer pour être actifs et utiliser les services offerts. En 2015, LinkedIn réalisait un chiffre d’affaires de 3 milliards de dollars pour une perte de 165 millions de dollars. Les entreprises clientes ont contribué à 65% du chiffre d’affaires tandis que les abonnements individuels représentaient le pourcentage restant. La croissance des utilisateurs de LinkedIn sur les douze derniers mois a atteint 19 % avec plus de 7 millions d'offres d'emploi affichées sur le site.
En améliorant et recoupant les profils professionnels avec les bonnes données arrivant au bon moment via les applications d’Outlook, de Skype et d’Office, Microsoft va fournir de la valeur au réseau social. En parallèle, LinkedIn pourra utiliser le réseau mondial de Microsoft pour développer son business et réciproquement. Ces synergies commerciales vont pleinement lui profiter. Les développeurs de LinkedIn vont pouvoir fonctionner avec des API de la firme de Redmond et sera hébergé sur Azure, la plateforme cloud de Microsoft. Enfin, le flux d'actualité de LinkedIn bénéficiera du système de notification de Microsoft. Les réseaux sociaux ne vont pas disparaître demain et l’échange social durera tant que la technologie améliorera leur fonctionnement. Le réseau social LinkedIn a donc encore de beaux jours devant lui sur le moyen terme. Néanmoins, son potentiel de développement dépendra du résultat des synergies réalisées et des innovations apportées.
Conclusion
La firme de Redmond signe l’une des plus grosses acquisitions dans le monde de la tech de la Silicon Valley, devant la messagerie WhatsApp rachetée par Facebook en 2014 pour 19 milliards de dollars, et celui de Compaq par le fabricant HP en 2002 pour 18,6 milliards de dollars. Microsoft va financer cette acquisition principalement grâce aux marchés obligataires en profitant des taux attractifs et de l'émission de nouvelles dettes. Microsoft assure qu’il va continuer à racheter ses actions pour 40 milliards de dollars d'ici fin 2016 et que cette opération aura un effet positif sur ses bénéfices par action d'ici 2019. Dans un monde digitalisé et hyperconnecté, les connexions entre les membres d’une même ou de plusieurs communautés de réseaux sociaux professionnels vont devenir de plus en plus importantes dans les prochaines années. Si le marché obligataire continue d’offrir des taux d’intérêt si bas, 2016 pourrait être bien l’année des rachats et des fusions dans la high-tech américaine. Certaines entités pourraient ainsi bénéficier de l’effet de levier du crédit pour racheter de belles pépites cotées ou non.
Par ailleurs, même si Twitter avec ses 320 millions d’utilisateurs a été délaissé par les investisseurs depuis janvier 2016, la valeur cotée au Nyse sera à surveiller de près dans les prochains mois. Grâce à cette croissance externe, Microsoft envoie un message fort aux Gafa. Ces derniers devront plus que jamais compter avec Microsoft dans la bataille du big data, du cloud, des réseaux sociaux et de la gestion des données. Le prix payé par Microsoft peut paraître exorbitant pour certains analystes. C’est le prix à payer aujourd’hui pour diriger un grand réseau social mondial. Les deux entités doivent créer des synergies et de nouvelles stratégies dans l’innovation de nouveaux produits et de services. Ces derniers devront apporter la valeur économique attendue par Microsoft. Les dirigeants de Microsoft ne devront pas oublier cette phrase du cofondateur de LinkedIn Reid Hoffman : «Les entrepreneurs sont comme des visionnaires. Leur manière d’avancer est de voir ce qu’ils font aujourd’hui comme quelque chose qui deviendra le monde entier ».