Alors que la lutte contre le réchauffement climatique encourage le recours aux énergies décarbonées, l'Agence internationale de l'énergie s'inquiète du déclin à venir du nucléaire dans le monde. Si, en France, l'atome reste majoritairement soutenu par la population, nombreux sont ceux qui en ont toutefois une image erronée.
Depuis plusieurs semaines, Fatih Birol utilise son pouvoir d'influence pour défendre une source d'énergie qui ne fait pas l'unanimité. Mais urgence climatique oblige, le directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) ne peut plus se cacher derrière le fard du politiquement correct. Ainsi a-t-il renouvelé, le 11 juillet 2019, son appel à soutenir l'énergie nucléaire face au risque de « déclin substantiel » qu'encourt sa production dans le monde. Lors d'un colloque organisé par l'agence, le patron de l'AIE a rappelé la nécessité de transformer le mix énergétique mondial en augmentant la part d'énergie décarbonées. « Nous sommes face à un grand défi, celui d'une énergie propre et abordable, et nous devons utiliser toutes les technologies sans en exclure aucune. Il n'y a pas de solution unique, a-t-il déclaré. Nous allons perdre, si les politiques ne changent pas, environ deux tiers de la capacité de production nucléaire d'ici 2040. Stopper la chute du nucléaire est décisif pour le futur d'une électricité propre. »
Cette prise de position de Fatih Birol fait notamment suite à la publication du premier rapport de l'AIE depuis 20 ans sur l'énergie nucléaire le 29 mai dernier. Dans son étude, l'organisation met en garde contre la fermeture de 25 % des centrales nucléaires dans les pays les plus développés d'ici 2025. C'est notamment le cas en France, aux États-Unis, au Japon et surtout en Allemagne, où la sortie de l'atome devrait être effective et totale dès 2022. Les auteurs du rapport recommandent fortement de prolonger la durée de vie des installations existantes plutôt que d'en construire de nouvelles. En plus d'éviter l'émission de plus de 4 milliards de tonnes de CO2 supplémentaires dans l'atmosphère, cette solution s'avèrerait aussi « très compétitive en termes de coûts », selon Fatih Birol. L'énergie nucléaire est en effet l'une des principales sources d'énergie à faible émission de carbone dans le monde, avec 2,7 térawattheures d'électricité produite par plus de 450 réacteurs.
Les voix se lèvent pour sauver la planète avec le nucléaire
Deuxième puissance nucléaire mondiale avec 58 réacteurs, la France est directement concernée par cet appel au changement de l'AIE. D'ici 2035, l'État français prévoit en effet de fermer 14 réacteurs afin d'abaisser la part du nucléaire à 50 % du mix électrique. Pourtant, l'atome pourvoit toujours à plus de 70 % de la production nationale, assurant une électricité abondante, peu chère et fortement décarbonée. C'est en substance ce qui explique l'image positive du nucléaire auprès de la population française, comme le révèle le récent sondage BVA-Orano. D'après l'enquête menée auprès de plus 3 000 adultes, 54 % des Français pensent que le mix électrique de demain sera composé de nucléaire et de renouvelables. Selon eux, l'atome constituerait davantage un atout (pour 47 % d'entre eux) qu'un handicap (34 %), tandis qu'une minorité reste indécise (17 %). Parmi les principales raisons citées en faveur du nucléaire, l'indépendance énergétique, la création d'emplois et le faible coût de l'électricité sont les plus fréquemment avancées. Les Français sont ainsi une majorité (56 %) à percevoir la filière nucléaire comme créatrice d'emplois et même plus (61 %) à avoir connaissance des possibilités de recyclage des combustibles usés. Toutefois, seuls 34 % auraient conscience de son absence d'émission de CO2, 69 % pensant même à tort que le nucléaire contribuerait à la production de gaz à effet de serre et donc au dérèglement climatique...
Cette erreur de perception ne date pas d'hier, portée par plusieurs dizaines d'années d'intenses propagandes anti-nucléaire dans l'Hexagone et même hors de ses frontières. Toutefois, les mentalités commencent à changer, notamment suite aux prises de position de personnalités publiques et d'experts de la cause environnementale. Le soutien à l'énergie nucléaire n'est plus tabou, comme le prouvent les récentes déclarations de l'explorateur français Jean-Louis Étienne. « Il ne faut pas arrêter la recherche sur le nucléaire », a-t-il ainsi plaidé en décembre dernier. Autre nouveau converti aux vertus de l'atome, Bill Gates, le fondateur de Microsoft et grand mécène de la planète, a affirmé quant à lui que « le nucléaire [était] idéal pour lutter contre le changement climatique car il s'agit de la seule source d'énergie évolutive sans carbone, disponible 24 heures sur 24 »... Et le milliardaire de rappeler, dans un récent tweet reprenant un article de l'AIE sur le déclin de la deuxième source mondiale d'énergie bas carbone, l'importance de prolonger les réacteurs existants et de soutenir l'innovation en matière de nucléaire. Un point de vue partagé par un collectif de spécialistes du climat et de l'énergie, qui ont signé en novembre dernier dans Le Monde une tribune appelant à sauver le nucléaire. Selon ces chercheurs, responsables d'associations et de think tanks, l'urgence climatique impose de débarrasser l'économie des énergies fossiles, en particulier du charbon, un objectif qualifié de « mission impossible sans énergie nucléaire ». Citant les scenarios élaborés par le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), les signataires exhortent les responsables politiques à « agir avec pragmatisme » pour ne pas tomber dans « l'impasse de la transition énergétique allemande, pour l'heure incapable de sortir du charbon ». « Il faut déployer rapidement l'ensemble des solutions dont nous disposons ». Un discours pas vraiment entendu à l'époque, que tente aujourd'hui d'amplifier l'AIE...