Y a-t-il une configuration optimale d’endettement pour un Etat ?

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Par Alain Desert Modifié le 29 novembre 2022 à 10h10

Y a t-il une configuration optimale d’endettement pour un état ? La question peut réellement se poser, car de nombreuses études ont vu le jour pour essayer de déterminer le niveau d’endettement (en pourcentage de PIB) à partir duquel des difficultés sérieuses pourraient surgir à l’encontre du bon maintien de l’activité économique ou susceptibles par des effets d’emballement d’empêcher toute maîtrise sur son évolution.

La question que je pose est celle-ci :

Est-ce qu’un état doit s’endetter ? Et si oui, comment gérer l’évolution de la dette, et à quels niveaux est-elle soutenable sur le long terme, sans mettre en péril l’activité économique, susciter la crainte des marchés, voire laisser présager des possibilités d’un défaut comme ce fût le cas en Grèce. Je vais proposer plusieurs scénarios et essayer d’apporter une conclusion sur les configurations d’endettement qui peuvent sembler pérennes, sans mettre en péril la stabilité et l’activité économique.

Pour la petite histoire, deux économistes de renom (anciens du FMI) avaient démontré dans une étude en 2010 que le seuil de 90 % de dette sur PIB était décisif pour la croissance d’un pays, en ce sens qu’il devenait un réel handicap. Trois autres économistes du FMI démontrent ensuite le contraire en mettant en avant la faiblesse du lien entre dette et croissance et remettent en cause l’idée très répandue qu’une dette élevée serait la cause d’une croissance faible. Mais la thèse des premiers avait déjà subi un certain discrédit du fait de calculs erronés, alors que les conclusions avaient déjà été bien exploitées. Sommes-nous suffisamment prudents pour prendre comme acquis des théories économiques dont l’espérance de vie ne dépendrait que de la faculté de certains à les contredire ?

Revenons à la France et à notre dette. A la fin des années 70, l’état français n’était presque pas endetté, à un niveau proche de 20% du PIB. Aujourd’hui, le ratio approche les 95% pour un montant voisin de 2000 milliards d’euros.

CAS N° 1 : Endettement proche de 0%. Est-ce imaginable ?

Evidemment la question posée ainsi dans le contexte actuel peut paraître superflue, car avec un endettement qui s’approche de 100% en France et au sein de la zone euro, comment imaginer que les états remboursent une grosse partie de leurs dettes avec l’objectif de revenir à un niveau raisonnable comme ce fut le cas dans les années 70? Cela paraît totalement utopique, irréaliste, et irréalisable.

Par contre une telle question n’aurait pas eu la même teneur à la fin des années 70. On pouvait imaginer à l’époque une gestion intelligente qui aurait eu pour base l’investissement et non l’émergence d’une politique laxiste marquant le début d’une longue période de financement d’un déficit attribuable en grande partie aux dépenses de fonctionnement qui aujourd’hui est devenu la règle.

L’endettement proche de 0% relevant davantage du cas d’école n’empêche pas de noter que certains pays sont peu endettés, avec des niveaux très inférieurs à 20%. Oublions vite ce cas de figure qui ne présente pas beaucoup d’intérêt au regard de notre situation actuelle.

CAS N° 2 : Endettement stabilisé en relatif à X% du PIB

Dans ce cas, le niveau d’endettement reste stable en proportion du PIB, tout en augmentant en valeur absolue. Cette situation se produit par exemple lorsque le montant de l’endettement est proche du PIB (cas de la France), et que le niveau du déficit est proche du niveau de croissance. Si par exemple le déficit est de 2% et la croissance de 2%, le montant total de la dette ainsi que le PIB augmenteront de 2% et le rapport DETTE/PIB restera inchangé.

Stabiliser une dette est bien entendu le minimum qui doit être fait lorsque celle-ci est déjà élevée. Dans cette optique l’état se refinance au taux d’intérêt du moment, et la charge de la dette évolue selon ces nouveaux taux offerts par le marché. Actuellement l’état profite de taux très bas et voit la charge de la dette diminuer grâce à ces opérations de refinancement.

Le fait de stabiliser une dette est une première étape avant d’envisager sa réduction, car on peut facilement concevoir qu’une réduction immédiate aurait un effet récessif important. Comment imaginer aujourd’hui établir un budget en excédent alors qu’il y a toutes les difficultés pour tendre vers le fameux objectif des 3% (qui n’est qu’une étape intermédiaire). La stabilisation sur le long terme en reculant sans cesse un objectif de désendettement n’aurait rien de rassurant, car l’état resterait face à une problématique récurrente de refinancement quelque peu aléatoire, dépendante des humeurs de marchés. Le montant cumulé des intérêts payes majoritairement à des investisseurs étrangers contribuerait à un appauvrissement du pays si les contreparties en rentrées de devises restaient insuffisantes.

CAS N° 3 : Endettement stabilisé en absolu

Dans ce cas, l’endettement n’évolue plus et reste stable en valeur absolue. Le niveau de la dette rapporté au PIB va donc diminuer progressivement en fonction de la croissance nominale (croissance en volume additionnée de l’inflation). Cette situation correspondrait à l’équilibre budgétaire et le désendettement s’effectuerait grâce à l’érosion monétaire et à la croissance.

Prenons l’exemple en France d’une croissance de 1,5% par an accompagnée d’une inflation de 2% (Donc une croissance nominale du PIB de 3,5%), sur une période de 10 ans :

Aujourd’hui : PIB = 2050 Mds Dette = 1950 Mds Ratio = 95%

Dans 10 ans : PIB = 2900 Mds Dette = Idem Ratio = 70%

On voit donc qu’il est assez facile de se désendetter si on vote des budgets à l’équilibre avec une inflation raisonnable et une croissance modérée. Mais la notion d’équilibre budgétaire a beaucoup de mal à imprégner les cerveaux de nos dirigeants !


CAS N° 4 : Endettement divergent

Si on prend un recul de 40 ans, l’endettement de la France n’a cessé de croître, avec cependant deux périodes où le ratio DETTE/PIB a diminué (1998-2000, 2005-2007). A partir de 2008, les effets de la crise associés à des décisions politiques plutôt de nature keynésienne (plan de relance) font progresser la dette de manière significative puisque le ratio passe de 65% à 94%. On est dans une configuration de divergence, même si on peut espérer une stabilisation à moyen terme si la France arrive à maitriser ses déficits.

On ne peut imaginer qu’une telle progression perdure encore 10 ans sans que le pays fasse défaut ou soit en véritable difficulté. Ce type d’endettement est bien entendu non pérenne, car à partir d’un certain seuil, très difficile à définir car dépendant de nombreux paramètres et fondamentaux économiques, la dette devient non maîtrisable du fait de la naissance de boucles de rétroaction qui vont déclencher un emballement incontrôlable. Le devenir de la dette peut alors prendre les formes suivantes :

  1. 1.Dérive vers une « » (au sens systémique), c’est-à-dire une situation où l’état perd le contrôle de son évolution, conduisant alors inéluctablement à un défaut partiel.
  1. Une stabilisation en valeur relative si la réduction des déficits se confirme, compensés par une croissance nominale qui permet de maintenir le ratio DETTE/PIB à peu près constant. (On revient donc au cas N° 2)
  2. Dans une deuxième phase, on peut espérer une réduction progressive si l’équilibre budgétaire est acquis et si la croissance se poursuit, s’accompagnant d’une réduction importante du chômage qui contribuerait sensiblement au rééquilibre des comptes publics (on revient au cas N°3). Cela ne relève-t-il pas d’un rêve ?

CAS N° 5 : Endettement cyclique attiré vers le 0%

Ce cas de figure est celui qui me paraît le plus pérenne. Il s’agit de concevoir l’endettement comme un outil permettant de maintenir en bon état la structure de la « Maison France ». Un peu comme un foyer qui s’endetterait temporairement pour effectuer des travaux de réfection dans une maison.

L’aspect cyclique que l’on observe dans le graphique signifie que l’état s’endette dans un premier temps pour répondre à des besoins d’investissements (lycées, écoles, recherche, infrastructures, production d’énergie, etc.). Cette phase doit être suivie en toute logique d’une phase de désendettement, donc de remboursement du capital emprunté, jusqu’au retour à un ratio DETTE/PIB où il devient à nouveau possible de s’endetter. Le niveau relatif de dette oscillerait alors autour d’une valeur moyenne assez faible, avec une amplitude s’inscrivant dans une fourchette raisonnable ne mettant jamais en risque l’économie (exemple : endettement moyen de 25% ; oscillations entre 10 et 40%).

Le 0% doit rester un point d’attraction même si on ne l’atteint pas. S’en éloigner ne deviendrait possible que si on s’en est suffisamment rapproché. Ce point zéro agirait à l’inverse de la force de gravitation : plus on s’en approche moins la force d’attraction opère et plus il devient facile de s’en éloigner donc de se ré-endetter. A l’inverse, plus on s’en éloigne plus la force d’attraction est importante et signe la nécessité d’une phase de désendettement. L’absence d’un tel point qui permet l’oscillation de la dette autour d’un niveau moyen signifie la divergence (situation actuelle), donc l’acceptation d’un horizon inconnu.

Des 5 cas de figures étudiés, seul ce dernier paraît viable. Un raisonnement par élimination peut valider cette petite théorie :

  1. L’endettement à 0% n’a pas vraiment de sens
  2. L’endettement stabilisé à X% (par exemple 90%) n’a guère plus de sens (il peut coûter très cher n’apportant plus rien de positif à l’économie).
  3. L’endettement cyclique autour d’un niveau moyen élevé coûte également très cher, trop cher (variante du cas précédent).
  4. L’endettement divergent conduit à l’explosion (au sens systémique)

Il ne reste plus qu’une solution: l’endettement cyclique avec 0% en point d’attraction. Le montant des intérêts reste raisonnable et n’entrave pas l’équilibre budgétaire par une charge trop élevée de la dette (on casse le cercle vicieux), et le risque « d’attaque » des marches est quasi nul.

Conclusion

Aujourd’hui les dirigeants se trouvent devant un état de fait. Les gouvernements successifs se partagent la responsabilité du niveau actuel de la dette avec cependant une accélération notable durant le précédent quinquennat (à noter que la crise n’est pas la seule cause). On devra « vivre avec » durant des décennies si aucune restructuration n’intervient, où si aucune dynamique macro-économique telle qu’une super croissance (3 à 4%) ou une reprise de l’inflation ou les deux combinés ne venait à la rogner. Et « vivre avec », suppose en assumer la charge, c’est-à-dire le paiement d’intérêts correspondant pour la France à un montant de près de 50 milliards d’euros annuel et en assumer toute forme de résolution si la croissance ne revient pas (désendettement par l’impôt, défaut partiel, restructuration, inflation, monétisation par les banques centrales).

Alors à quand un endettement intelligent ? Celui qui nous met définitivement à l’abri du risque, qui nous libère des marchés et de leurs éventuelles sanctions tout en évitant un coût rédhibitoire, celui qui permet de conserver nos structures, nos infrastructures, de pérenniser notre système éducatif, de lancer des programmes de recherche ?

Bien sûr ce n’est pas pour demain, ni pour dans 10 ans. L’économie aura le rôle déterminant pour dégonfler cet amas de dettes, mais les dirigeants ne pourront s’affranchir d’une réforme idéologique en profondeur, pour voir la dette non comme un moyen de soutenir un état impécunieux, mais plutôt comme un instrument noble, toujours caractérisé par deux facettes, l’une plutôt brillante, douée de propriétés stimulantes, dynamisantes, et une autre beaucoup plus sombre, celle de tous les dangers, celle qui vous fait basculer dans le monde de l’inconnu.

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Ingénieur en informatique, Alain Desert a longtemps travaillé sur des plates-formes grands systèmes IBM où il a eu l'occasion de faire de nombreuses études de performances. Il est un adepte de l'approche systémique.

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