François Hollande incapable de sortir de l’ambiguïté

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Par Jean-Marc Sylvestre Modifié le 18 mai 2013 à 8h40

La grand-messe de communication servie par François Hollande, jeudi 16 mai, à l'Élysée a laissé pantois l'ensemble des observateurs : la presse étrangère, les milieux d'affaires, les électeurs de gauche qui ne savent plus où ils habitent, tout comme l'opinion publique qui ne comprend pas cette langue parlée par la présidence.

François Hollande a changé mais il ne veut pas l'avouer ni même l'assumer. Tout le problème est là. Qu'il assume le changement, comme Mitterrand avait dû le faire en 1983, et tout pourrait redémarrer. La question qui va se poser maintenant, est de savoir comment un Président intelligent, parfois drôle, qui connait la politique comme personne, peut-il un an après son accession au pouvoir continuer d'être aussi inaudible.

Tout est compliqué avec lui. Il faut en permanence le décoder, le décrypter et l'interpréter. Quand il dit « je suis socialiste », il faut évidemment comprendre qu'il est surtout social-démocrate. Quand il reproche à l'Europe d'avoir organisé la récession, il faut entendre qu'il est surtout très européen, beaucoup plus que ses amis de gauche et ses adversaires de droite.

Il veut assouplir les critères de fonctionnement pour préserver les chances d'une croissance, mais il revendique la formation d'un gouvernement économique qui, de fait, nous imposera des contraintes au moins aussi fortes que celles qu'il voudrait détendre aujourd'hui. Il reconnait que l'outil du redressement passe par une politique de l'offre d'où la priorité à la compétitivité mais il protège les ingrédients d'une politique de la demande : les dépenses publiques et sociales.

François Hollande est inaudible parce qu'il n'est pas crédible.

Il s'est décrédibilisé en racontant tout et son contraire. C'est dommage parce qu'un visiteur moderne, citoyen du monde aurait débarqué jeudi 16 mai sans savoir ce qui se passe depuis an, il aurait trouvé François Hollande très bon, drôle parfois, dynamique et heureux, prenant même plaisir à mener un tel exercice.

A l'écouter, « tout va bien, ou presque » alors qu'il gère un pays qui est dans une situation désastreuse. Un pays au bord du dépôt de bilan, avec un chômage qui mine complètement l'équilibre social de la France, qui décourage tout le monde, avec un management qui part dans tous les sens et dont le Président, lui-même, est devenu extrêmement impopulaire.

« Mais si, tout va bien ! C'est difficile, c'est la tempête, mais le bateau tient !». Dans la forme, on aura compris qu'il voulait montrer que c'était lui le patron. Sur le fond, c'est intéressant. Le bilan qu'il dresse de sa première année correspond à peu près à la réalité. Il prend la responsabilité du diagnostic et il revendique les résultats. Sauf que tout ce que le président de la République présente est en contradiction avec ce qu'il a prévu ou annoncé pendant la campagne.

Côté diagnostic Hollande estime que la France est plongée dans la récession sévère et met toute l'Europe est au diapason. C'est vrai, sauf qu'il ne l'avait jamais dit pendant la campagne puisque à l'époque, nos difficultés étaient imputables à la politique de Nicolas Sarkozy. Aujourd'hui son prédécesseur est quasiment absous de tous les péchés de la terre. Il ne l'utilise plus comme responsable en chef de toutes nos difficultés. La crise est bel et bien mondiale et plus particulièrement européenne.

Côté bilan de la première année c'est extraordinaire. Là encore, ça correspond à la réalité mais pas à la sienne. François Hollande a le droit de dire que la zone euro a été stabilisée mais il n'est absolument pas légitime à le revendiquer. Les mécanismes de stabilité (MES), l'attitude plus pragmatique de la Banque Centrale Européenne, les taux d'intérêt extrêmement bas, l'effort de régulation budgétaire et bancaire, tout cela était contenu dans le traité négocié six mois avant l'arrivée de François Hollande.

Son seul mérite est d'avoir accepté ce traité, tout en disant pendant la campagne qu'il ne pourrait pas l'accepter. La BCE doit tout à la politique de Mario Draghi qui a une lecture du fonctionnement de la BCE différente de son prédécesseur. Quant aux taux d'intérêt généreux, ils sont dus à la garantie triple A que nous apporte l'Allemagne et à l'afflux de liquidités créé par le Japon. Ce dernier peut très bien fermer son robinet du jour au lendemain. Sur l'explication du bilan, François Hollande récupère des éléments qui ne lui appartiennent pas et contre lesquels il s'est même battu.

Sur les résultats, on se retrouve dans la même ambiguïté : au cœur d'un faisceau de contradictions.
Le Président n'hésite pas à affirmer qu'en un an, il a restauré la crédibilité budgétaire de la France alors qu'il rentre à peine de Bruxelles où il a fallu négocier un report d'échéance. Les dépenses publiques ont été stabilisées, c'est vrai. Mais si les dépenses de l'État ne dérapent plus, celles du modèle social et des collectivités locales ont explosé. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'on file sur les 4,5 % de déficit (au lieu de 3%).

Le pacte de compétitivité est à mettre à son actif. Il permet de transférer aux entreprises 20 milliards d'euros sous forme de crédit d'impôt. Sauf que personne ne sait comment ça va marcher. Ceux qui ont compris savent que peu d'entreprises vont en profiter. Les plus gros bénéficiaires pourraient en être La Poste et Carrefour. Ce qui ferait désordre. Voilà qui ne va pas créer beaucoup d'emplois industriels.

En plus, l'opinion sait bien que le dossier de la compétitivité des entreprises était un dossier tabou pendant la campagne. Il reste tabou pour le Front de gauche et pour beaucoup de militants socialistes pour lesquels les entreprises n'ont pas besoin d'aides particulières sauf celles qui sont en difficultés comme PSA ou Florange, mais on n'en parle plus. Ce qui est une épine supplémentaire dans le pied de la gauche.

En introduisant plus de flexibilité et de mobilité, la réforme du marché du travail répond à une nécessité. Mais elle n'avait jamais été abordée pendant la campagne électorale.

Pour les électeurs de gauche ce n'est pas un grand succès au contraire. C'est une trahison. Tout comme la réforme attendue des retraites. Quand le Président explique (angélique) que l'allongement de la durée de vie va nécessiter le report de l'âge de départ en retraire et qu'il ajoute que c'est une évidence, on se dit qu'il a complètement oublié une chose : il y encore un an, une réforme des retraites était inimaginable parce que « pas de gauche ».

Bref, aujourd'hui François Hollande explique que la recherche de compétitivité des entreprises, la flexibilité, le sérieux budgétaire, la réforme des retraites ne sont ni de droite, ni de gauche. Elles sont nécessaires.
François Hollande a mille fois raison mais qui peut désormais le croire après avoir prêché et crié l'inverse ? C'est pour cette raison qu'il reste inaudible et déprécié.

Au chapitre de l'Europe, avec ce plaidoyer pour plus de convergences avec l'Allemagne, avec un gouvernement économique susceptible de gérer des harmonisations et de projets, on retombe dans les mêmes contradictions avec les attitudes passées. Sur le fond, il a évidemment raison.

Mais comment être crédible, écouté et entendu quand il prône un renforcement des liens franco- allemands alors qu'il y a quinze jours à peine, une partie de sa majorité, y compris des ministres, rédigeaient un projet de divorce avec Angela Merkel. François Hollande fait comme s'il n'avait aucun problème avec sa majorité. C'est sa méthode. Il ignore et étouffe les difficultés en se disant sans doute, que ça va passer.

Le résultat de toutes ces ambiguïtés c'est que la politique gouvernementale ne sera pas appliquée et qu'elle ne produira pas les effets escomptés.
François Hollande a compris que pour être élu, il fallait développer un discours radical. Il en avait toutes les qualités puisqu'il a gagné la course. Aujourd'hui il sait bien que la réalité lui impose de s'adapter mais piégé par ce qu'il a dit, il refuse d'assumer de changement. Il le nie, il n'en parle pas. Il refuse l'austérité, alors que la France n'en fait pas.

Comparé à ce qui c'était passé en Allemagne il y a dix ans, en Italie ou en Espagne il y a quatre ans, la France a amorti le choc, Nicolas Sarkozy avait sorti les matelas en 2010. François Hollande s'est bien gardé de les retirer. D'où le poids croissant de nos interventions sur fonds publics. Comment demander à l'opinion plus d'efforts pour retrouver l'équilibre, alors qu'on lui promet qu'il ne peut pas y avoir plus d'austérité qu'il y en a, alors que surtout il n'y en a pas !

Le langage et les mots employés sont apparemment très importants chez François Hollande. Il n'y aura donc pas d'austérité budgétaire mais du sérieux. Mais en clair, ça veut dire qu'il y aura beaucoup plus d'austérité qu'on ne l'annonce. « Il n'y aura pas de privatisations mais des ventes d'actifs sans pour autant que l'État perde le contrôle ». Ça veut donc dire qu'on vendra des parts d'entreprises d'État, et le cas échéant les entreprises toutes entières et on expliquera qu'elles ne sont pas stratégiques.

François Hollande est « socialiste ». Ça veut donc dire qu'il est effectivement social-démocrate, ou social-libéral. Mais ce débat sémantique entretenu avec gourmandise par les commentateurs politiques ne signifie rien. Mais, chez François Hollande, ça veut dire qu'il a compris depuis longtemps qu'il y avait énormément d'outils, de concepts, de dossiers qui n'étaient ni de droite ni de gauche. L'emploi, la compétitivité, l'innovation, la performance, l'Europe ne s'inscrivent plus dans une grille idéologique. Ils sont comme la météo, la pluie, le vent : ni de droite, ni de gauche !

Seulement voilà, François Hollande se refuse à le dire et à l'expliquer. Il attendra donc que les faits s'imposent. En attendant il aura perdu tout pouvoir auprès de l'opinion publique en pensant qu'elle n'est pas capable d'entendre la vérité alors qu'elle la connait très bien ou qu'elle la pressent.

Ni les écologistes, ni le Front de gauche ne peuvent être dupes de ce théâtre. Les écologistes ont choisi de faire semblant. Le Front de gauche essaie de ruer dans les brancards pour pouvoir négocier d'autres positions plus tard. La politique n'est pas un long fleuve tranquille. Tout le monde se tient par la barbichette à gauche. Le premier qui dira la vérité ira en enfer. Alors pour l'heure, tout le monde fait semblant mais la machine France est en panne.

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Après une licence en sciences économiques, puis un doctorat obtenu à l'Université Paris-Dauphine, il est assistant professeur à l'Université de Caen. Puis il entre en 1973 au magazine L’Expansion, au Management, à La Vie française, au Nouvel Économiste (rédacteur en chef adjoint) puis au Quotidien de Paris (rédacteur en chef du service économie). Il a exercé sur La Cinq en tant que chroniqueur économique, sur France 3 et sur TF1, où il devient chef du service « économique et social ». Il entre à LCI en juin 1994 où il anime, depuis cette date, l’émission hebdomadaire Décideur. Entre septembre 1997 et juillet 2010, il anime aussi sur cette même chaîne Le Club de l’économie. En juillet 2008, il est nommé directeur adjoint de l'information de TF1 et de LCI et sera chargé de l'information économique et sociale. Jean-Marc Sylvestre est, jusqu'en juin 2008, également chroniqueur économique à France Inter où il débat notamment le vendredi avec Bernard Maris, alter-mondialiste, membre d'Attac et des Verts. Il a, depuis, attaqué France Inter aux Prud'hommes pour demander la requalification de ses multiples CDD en CDI. À l'été 2010, Jean-Marc Sylvestre quitte TF1 et LCI pour rejoindre la chaîne d'information en continu i>Télé. À partir d'octobre 2010, il présente le dimanche Les Clés de l'Éco, un magazine sur l'économie en partenariat avec le quotidien Les Échos et deux éditos dans la matinale.  

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