On se frotte les yeux mais non : encore une bourde ! Le deal entre Bouygues et l'Etat au sujet d'Alstom est border line, et peut-être même en fait totalement illégal. C'est l'Autorité des marchés financiers (AMF) qui le dit, de manière policée mais réelle.
Que reproche l'AMF au deal Etat-Bouygues ? D'avoir le goût, la couleur, la saveur d'une action de concert entre associés. L'article L233-10 du Code du Commerce est très clair : "Sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer des droits de vote pour mettre en oeuvre une politique commune vis-à-vis de la société [...] Les personnes agissant de concert sont tenues solidairement aux obligations qui leur sont faites par les lois et règlements."
Or, personne ne peut ignorer le contenu de l'accord entre l'Etat et Bouygues, puisqu'il a été rendu public : l'Etat n'est pas actionnaire d'Alstom, mais Bouygues lui prête ses d'actions, et ses représentants au sein du conseil dadministration votent en fonction des directives de l'Etat ! En paralléle, l'Etat a prévu d'acheter sur les marchés des titres d'Alstom. Or, le souci, c'est que Bouygues possède déja 29,33 % du capital. Si l'Etat avait déja acheté ne serait-ce que 0,7 % du capital d'Alstom, le cap des 30 % du capital serait déjà franchi en addtionnant les actions de l'Etat et celles de Bouygues. Un cap à partir duquel une offre publique d'achat doit obligatoirement être lancée, en vertu des règles édictées par l'AMF. Ce seuil était auparavant de 33 %, mais l'AMF l'a justement abaissé à 30 % en février 2011, et envisage de le descendre à 25 %, pour éviter que certains petits malins ne trichent avec la régle, destinée à protéger les actionnaires minoritaires d'une entreprise contre des prises de contrôle sauvages et déloyales.
L'AMF est une autorité indépendante. Elle n'a pas encore dit qu'elle allait traîner Bouygues ou l'Etat devant les tribunaux. Mais son avertissement est sérieux : si jamais l'Etat a déja commencé à acheter des actions d'Alstom en Bourse et qu'additionné aux parts de Bouygues, il dépasse le seuil des 30 %, il va falloir ruser. C'est un scénario tout à fait envisageable, puisque le seuil de notification d'entrée au capital d'une entreprise est fixé à 5 % : l'Etat a peut-être déjà 1, 2 ou ... 4,9 % du capital ! Et s'il est démontré un jour prochain que l'Etat (et Bouygues) ont triché avec les seuils de 30 %, obligeant à déclencher une OPA, ou même celui de 5 %, pour rester discret, ce serait un signal envoyé à tout ceux que ces seuils ennuient : trichez, vous ne risquez rien !
Prochaine étape : la réaction de l'Etat, et plus particulièrement d'Arnaud Montebourg, le forgeron de ce montage, dont il s'était glorifié, et pour lequel Manuel Valls l'avait félicité. On attend la réaction de Ségolène Royal, ministre de l'Energie dont Alstom est un des acteurs majeurs avec ses turbines, quant à sa bancalitude....