Europe où es-tu ?

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Par Jacques Bichot Modifié le 2 août 2016 à 15h11
Europe Fonctions Etat Pouvoir Crise
@shutter - © Economie Matin
750 millionsLa population européenne représente environ 750 millions de personnes.

La défense est la première fonction régalienne.

Ce n’est pas pour rien que l’on ajoute généralement au substantif « défense » le qualificatif « nationale » : dès lors qu’une communauté humaine d’une certaine taille a un sentiment identitaire suffisamment affirmé, elle se dote d’une armée, organe nécessaire pour persévérer dans l’être ; or la nation est devenue, depuis quelques siècles, le type même de la communauté humaine dont la grande taille n’empêche pas qu’elle soit porteuse d’une identité affirmée. Une équipe de foot peut servir à cristalliser ce sentiment d’appartenance à une communauté, de belles célébrations – comme le concert de Paris et le feu d’artifice à la Tour Eiffel qui l’a suivi ce 14 juillet 2016 – également, mais cela ne remplace pas l’armée de la nation.

Pour passer de la Communauté européenne du charbon et de l’acier à une Union européenne digne de ce nom, il aurait fallu à la fois développer le contenu identitaire de cette nouvelle entité – la culture européenne – et sa dimension militaire. Or la construction européenne ne s’est pas assez effectuée à ces deux niveaux, et surtout au second. Aujourd’hui encore on apprend que le F 35 de Lookeed Martin va équiper non seulement le Royaume Uni – le Brexit était entré dans les faits bien avant le référendum – mais aussi les Pays-Bas et l’Italie, deux nations du noyau dur européen, l’Europe des six. Or l’armement, et surtout le plus sophistiqué, n’est pas un bien comme les autres. Ne pas se doter d’un armement européen c’est, en dépit de l’amitié qui lie l’Union européenne aux États-Unis, un déni d’Europe d’importance névralgique.

Peut-on dire que les choses vont mieux dans la dimension « marché commun » ? Hélas non. Pour construire une Europe des entreprises, il est essentiel d’élaborer des règles communes relatives aux dites entreprises, et particulièrement en matière fiscale. Or les taux de l’impôt sur les sociétés varient de 1 à 2, si ce n’est pas à 3, quand on passe d’un membre à l’autre de l’UE ; quant à la détermination du bénéfice imposable, chaque État membre a la sienne. La base même d’une véritable communauté économique a été laissée de côté. Et l’Union s’est donnée comme président de la Commission l’homme qui, comme Premier Ministre du Luxembourg, a le plus misé sur le dumping fiscal pour développer la prospérité de son pays, comme si être un Don Juan vous recommandait pour devenir chapelain d’un couvent de religieuses !

Une communauté humaine doit faire respecter ses règles. Or voilà des années que des dirigeants de pays membres enfreignent allègrement les règles en matière de déficit budgétaire, sans que rien de sérieux ne soit fait pour sanctionner les contrevenants. Pire : la politique de la Banque centrale européenne a pour objectif principal (sous couvert de soutien à l’économie) de rendre le plus facile et le moins coûteux possible le financement de déficits abyssaux. En fait d’indépendance, la BCE est devenue l’institution qui permet aux roitelets des différents pays membres de persévérer dans leurs politiques de gaspillage.

Un économiste, Rémy Prud’homme, vient d’épingler l’un de ces gaspillages, proche de 50 milliards, dans Les Echos du 15 juillet : il y montre comment le programme de développement des énergies renouvelables « revient à substituer à une production d’électricité déjà assurée par le nucléaire le même volume émanant d’installations non existantes. Soit 53 Md€ d’engagements pour 6 Md€ d’économies ». Non seulement l’UE ne sert pas à freiner de telles décisions, mais elle les encourage au nom d’une idéologie à laquelle nous sacrifions la bonne marche de nos économies.

Bref, l’Europe est là dans un grand nombre de domaines où le principe de subsidiarité montre qu’elle n’a pas grand-chose à faire, et brille trop souvent soit par son absence, soit par sa propension à jeter de l’huile sur le feu, lorsque les problèmes relèvent vraiment de son niveau. L’État français se mêle lui-aussi beaucoup de ce qui ne le regarde pas et s’occupe souvent peu et mal de ce qui est véritablement de sa responsabilité. De nombreuses collectivités territoriales font de même. Nous vivons une crise aigüe de la gouvernance politique.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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