Les médicaments contre le cancer sont mal remboursés par la sécurité sociale alors que le Doliprane l’est intégralement! Et tout le monde semble s’en féliciter. C’est le paradoxe le plus stupéfiant d’un système auto-proclamé « le meilleur du monde ».
Il fallait lire la presse subventionnée aujourd’hui et sa façon d’évoquer la décision de rembourser le Keytruda et l’Opdivo par le régime général. Ces deux anti-cancéreux révolutionnaires permettent d’améliorer fortement l’espérance de vie des malades.
Les Échos ont titré: « Sécurité sociale : la facture des nouveaux anticancéreux sera contenue ». La Tribune, qui défendait beaucoup à une époque la Grèce martyrisée par l’Allemagne, a offert un titre encore plus direct: « L’immunothérapie va continuer à peser sur les comptes de la Sécu ».
On rêve! Il existe donc des titres qui revendiquent ouvertement l’intérêt de limiter le remboursement des anti-cancéreux… Il paraît pourtant que la sécurité sociale est le meilleur système de protection sociale du monde.
La sécu française en retard par rapport aux autres pays
On lira avec intérêt la dépêche AFP sur le sujet, curieusement publiée par la presse étrangère, mais peu reprise en France. La dépêche commet cette phrase révélatrice:
La France rejoint désormais la majorité des pays d’Europe de l’Ouest où ce traitement est remboursé en « première ligne » (c’est-à-dire en tant que premier traitement administré) pour le cancer du poumon.
Autrement dit, notre sécurité sociale, présentée comme un modèle de perfection, est en retard sur la plupart des pays européens en matière de remboursement de Keytruda dans le traitement contre le cancer du poumon. Aucun des défenseurs de la « sécu », synonyme paraît-il d’intérêt général et de protection des assurés, ne semble s’indigner de ce décalage par rapport aux pays qui n’ont pas la chance d’avoir la même sécu que nous.
Pourtant, ce cas de figure montre bien que notre sécu prend très mal en charge le cancer. Il montre aussi que les pays qui ne sont pas handicapés par une sécurité sociale publique et monopolistique soignent mieux leurs assurés.
La tarification des actes par la sécu menace-t-elle la santé des assurés?
Merck, qui produit le Keytruda a, au passage, cette réflexion intéressante: le médicament coûte cher, mais il consomme peu de prestations hospitalières. Cette immunothérapie demande une simple injection intraveineuse de 30 minutes toutes les trois semaines. On est loin de l’infrastructure lourde de la chimiothérapie.
Autrement dit, le coût des soins profite aux laboratoires pharmaceutiques, mais ne rapportent pratiquement rien aux hôpitaux qui doivent remplir leurs lits et occuper un personnel coûteux. Les mauvais esprits liront donc entre les lignes les raisons du retard à l’allumage de la sécurité sociale face à l’immunothérapie: elle pose un problème social et économique, dans la mesure où elle met en péril la rentabilité hospitalière.
La technique de tarification à l’activité se retourne ici très clairement contre la santé des patients.
Pendant ce temps, le Doliprane est remboursé intégralement…
La même édition des Échos proposait un article (citant le Monde) sur les médicaments les plus remboursés par la sécurité sociale. On y découvre que le remboursement du Doliprane (dont la boîte est vendue 1 euro…) coûte à la sécurité sociale environ 200 millions d’euros par an. Rappelons que le Doliprane, produit par Sanofi, est en vente libre.
On parle de 200 millions de remboursement pour ce médicament. Le montant n’intègre pas le coût des consultations que certains mauvais coucheurs sollicitent pour se faire prescrire un médicament qui ne coûte pas plus cher qu’une baguette. Selon toute vraisemblance, la chaîne de remboursement du Doliprane doit coûter à peu près aussi cher que les 460 millions prévus pour rembourser le Keytruda.
La sécurité sociale, instrument démagogique ou sanitaire?
Dans ces conditions, on se pose forcément la question: pourquoi rationne-t-on le remboursement de médicaments qui sauvent des vies, et pourquoi continue-t-on à rembourser des médicaments à un euro qui relèvent de la bobologie? Pourquoi, alors que la sécurité sociale est en déficit permanent, mobilise-t-on beaucoup de moyens pour des risques insignifiants en sacrifiant les moyens consacrés au risque lourd?
La raison est simple, mais elle n’est pas ni médicale ni sanitaire. Elle est politique. Dérembourser le Doliprane, c’est montrer à des centaines de milliers d’électeurs qu’on dégrade leur confort. Ne pas rembourser l’immunothérapie contre le cancer du poumon, c’est tuer 3.000 personnes, ce qui, électoralement, correspond seulement à un ou deux bureaux de vote.
Ici, on touche le mécanisme profond qui explique l’attachement de nombreux élus à la sécurité sociale telle qu’elle dysfonctionne. Il ne s’agit pas de protéger les assurés contre la maladie. Il s’agit de soigner sa popularité en vue des prochaines élections.
La sécurité sociale n’assure pas les citoyens. Elle achète seulement leurs voix.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog