Précédemment, nous avons vu que la trajectoire budgétaire américaine n’est plus considérée comme soutenable. Qui va acheter toute cette dette américaine ?
La Fed projette de diviser son bilan par deux d’ici 2022. Comme l’expliquait le blog Economica le 21 février, la Fed a prévu de diviser la taille de son bilan par deux afin qu’il passe de 4 500 Mds$ à 2 200 Mds$ d’ici 2022. Par conséquent, la Fed sera vendeuse nette d’obligations américaines, et l’ensemble de la dette nouvellement issue sera mise sur le marché.
La demande étrangère est « en grève » depuis fin 2014
Les investisseurs étrangers ont été très demandeurs de dette fédérale au cours des dernières années et en détenaient pour 6 300 Mds$ en décembre 2017 Cependant, « depuis que le QE s’est terminé fin 2014, les étrangers se sont fondamentalement mis en grève, n’ajoutant que 150 Mds$ de dette à leur stock en un peu plus de trois ans », commente Economica.
La Chine et le Japon sont vendeurs nets de dette US depuis 2011 et 2015
Dans le détail, trois groupes d’investisseurs détiennent chacun autour de 18% (55% au total) du total des 6 300 Mds$ de dette US aux mains des investisseurs étrangers.
La Chine a frénétiquement acheté de la dette US jusqu’au débat sur le plafond de la dette en juillet 2011, après quoi elle est devenue (légèrement, pour le moment) vendeuse nette. A cette époque, le Japon a dans une certaine mesure pris le relais de la Chine dans l’absorption de la dette US, mais le pays est devenu vendeur net depuis 2015, pour finalement revenir à sa position de juillet 2011 avec 1 100 Mds$.
Il y a enfin le groupe des BLICS (Belgique, Luxembourg, Irlande, Île Cayman, Suisse), au sujet duquel il précise que « c’est l’augmentation de 800 Mds$ d’achat de dette US par les BLICS depuis juillet 2011 qui a maintenu la demande étrangère en vie ». Et si les pays étrangers dégainaient l’« option nucléaire » en réponse à la guerre commerciale américaine ? Comme le fait remarquer Zero Hedge, le déclenchement de la guerre commerciale par Donald Trump fait ressurgir le vieux serpent de mer de la cession des titres de dette US par les banques centrales étrangères.
Voici le détail de l’évolution des positions étrangères sur un an, de décembre 2016 à décembre 2017. Comme vous pouvez le constater, la France ne pèse pas lourd avec seulement 80 Mds$ dans la balance. La Russie – qui a été vendeuse nette sur les trois premiers mois de 2018 – n’arrivait qu’en 15ème position avec 102 Mds$. Au total, 4 000 Mds$ (soit presque les deux tiers du montant total détenu par l’étranger) sont détenus non pas en direct par les particuliers mais par des banques centrales, des fonds souverains, etc.
Rappelons que ce stock accumulé au fil des ans correspond à des importations payées à crédit par les Etats-Unis. Un système bien rodé sur lequel repose le modèle économique américain. Inutile de préciser que si les plus gros détenteurs de dette US décidaient d’en vendre une partie, il se passerait des choses intéressantes au niveau des taux longs, comme l’explique Natixis.
Même si les velléités chinoises ne sont jusqu’à présent restées que des mots, « la menace est réelle », estime Kristina Hooper, Chief global market strategist chez Invesco. Elle est d’autant plus grave que les Etats-Unis ne se sont jamais trouvés sur une trajectoire budgétaire aussi insoutenable. L’équipe de recherche de Patrick Artus prend moins de gants pour exprimer son opinion : « Cet équilibre coopératif est clairement en train de se rompre aujourd’hui, ce qui sera surtout coûteux pour les Etats-Unis ». D’ailleurs, comme le montrait Deutsche Bank au mois d’avril avril, la demande étrangère pour les bons du Trésor tend globalement à s’affaiblir depuis 2016.
L’appétit des étrangers pour la dette fédérale américaine décline
Cependant, déverser des quantités énormes de titres de dette US sur les marchés reviendrait par exemple pour la Chine à se tirer une balle dans le pied, faisant mécaniquement augmenter les taux et diminuer la valeur des titres en question. Voici ce qu’analyse Zero Hedge :
« Les étrangers n’ont pas besoin de liquider l’intégralité de leurs avoirs, ni même la majorité : tout ce qu’ils doivent faire, c’est s’engager dans une liquidation tranchante et aiguë qui enverrait les taux à un niveau nettement plus élevé, ce qui – comme l’ont montré les événements de début février – pourrait bien conduire à un krach boursier. Trump évaluant de plus en plus sa performance à l’aune des mouvements quotidiens sur le S&P, une chute brutale du marché pourrait bien être tout ce que les étrangers ont besoin d’accomplir pour forcer Trump à reculer [au sujet de la guerre commerciale] ».
L’histoire montre en effet que les marchés actions auraient sans doute beaucoup de mal à digérer une hausse des taux longs…
Les marchés actions ne performent pas lorsque les taux longs montent
On notera aussi que, comme le soulignait Bloomberg début mars, la part des titres du Trésor détenus par les banques centrales étrangères (et la Fed) est passée de 45% en 2015 à 40% début 2018, et ce alors même que la dette US continue d’augmenter.
En résumé, les Etats-Unis comptent sur les acheteurs étrangers mais seront-ils au rendez-vous ? C’est ce que nous verrons très prochainement.
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