Les investisseurs détestent l’instabilité des règles fiscales françaises. Ils les fuient comme la peste. Pour notre pays, c’est un danger mortel.
D’expérience, les raisons qui président au choix d’une place financière pour localiser un fond d’investissement, ou un investissement tout court, sont bien plus la stabilité fiscale que la faiblesse des taxes. Les investisseurs ne détestent rien tant que de ne pouvoir prédire leur taxation sur le moyen terme (5 à 7 ans est la durée de leur investissement), laquelle peut transformer complètement la rentabilité de leurs investissement (et de ceux de leurs clients) sans qu’ils n’y puissent rien.
Et c’est, dans le domaine financier, le grand problème de la France et de la place de Paris : elle a la fâcheuse réputation de changer sa fiscalité au gré des élections et des caprices politiques de nos élites. Les politiciens professionnels, qui le plus souvent n’ont jamais rien fait d’autre de leurs vies que du bavardage subventionné, n’imaginent même pas les difficultés qu’ils causent au pays par ces changements incessants. Parce qu’ils ne semblent affecter qu’une partie tout à fait marginale de la population (les odieux traders, les affreux financiers, les méchants banquiers), ils amusent le peuple. Bien au contraire, celui-ci devrait s’en préoccuper sérieusement ; même s’il n’est pas touché directement, c’est sa prospérité qui en meurt et sa misère qui s’y enracine.
Paris : l'anti-modèle
L’activité générée par les fonds d’investissement représente 25% du PIB du Luxembourg. Elle n’est pas due à des astuces ou à des avantages fiscaux, mais à une infrastructure légale et administrative intelligente, ainsi qu’à une stabilité de l’État luxembourgeois en terme de prélèvements. Quand on veut créer un fond d’investissement à Paris, on vous regarde toujours avec des yeux ronds. « Ce n’est plus ici que ça se passe ! » Avec la délocalisation des fonds, les professions annexes se délocalisent elles aussi : analystes financiers, gestionnaires de fortune, family offices, etc. : autant de perte d’activité pour la France.
Et ce n’est pas tout ! Pour financer des activités de recherches, d’innovation, il est assez évident qu’il est préférable d’avoir des investisseurs dans son voisinage, plutôt qu’à des centaines de kilomètres. Visiblement, le Gouvernement français reste, de génération en génération, imperméable à ces considérations de bon sens. Plutôt que de critiquer hâtivement nos voisins tels l’orgueilleux et le jaloux, nous devrions nous en inspirer. Nous préférons ricaner et grincer des dents. Quant aux investissements, ils filent à Londres ou en Rhénanie.
Aussi, qu’une escouade de députés socialistes en déshérence (au nombre de vingt-sept !) ait mis un point d’honneur à modifier la fiscalité des actions gratuites votée dans le cadre de la Loi Macron est-il particulièrement regrettable pour notre pays et pour son image dans le monde. Que vingt-sept députés, qui ne représentent plus personne, tiennent à imposer ainsi une marque négative, c'est tout à fait choquant.
Changements en 4 ans !
Que la Loi Macron soit bonne ou mauvaise importe peu, finalement. Ce qui est grave, c’est que la fiscalité concernant ce domaine ait été modifiée quatre fois en 4 ans ! Nous passons pour une bande de joyeux farceurs chez qui il est dangereux d’entreprendre.
La même semaine, la France, poursuivant le cavalier-seul-kamikaze qui la caractérise, a décidait de faire passer la Taxe Tobin (ou taxe sur les transactions financières, alias TTF) de 0,2% à 0,3% pour les opérations « intraday » (les opérations spéculatives qui se débouclent dans la journée). Un changement de 0,1% direz-vous ? Une augmentation de 50% de la taxe répondrai-je ! Il s’est trouvé des gens pour noter la faiblesse de l’augmentation ! Et des associations pour se réjouir de la manne future, qu’elles ne verront bien entendu jamais.
Là encore, nous assistons à un mouvement unilatéral, soudain, violent, méprisant le marché, alors que lui seul peut encore nous sauver du naufrage définitif. C’est l’attitude d’un Louis XIV, et non celle d’un commerçant sachant qu’il est en concurrence avec ses voisins. Mépriser les règles du marché ne conduit qu’à un seul résultat : le marché se déplace, il s’enfuit vivre sa vie ailleurs, en sécurité. Nos politiciens sont les vrais héritiers, et les derniers, des usages de cour de l’Ancien Régime, laquelle exigeait que la politique ignore les besoins des marchands et qui, plus généralement, méprisait tout ce qui n’était pas de sa caste. On pouvait emprunter de l’argent à un banquier, mais certainement pas le recevoir à sa table. Les financiers restaient entre eux, tels les affranchis que décrit Pétrone.
Le hors-concurrence est une incompétence
Plus profondément encore, notre pays semble se croire au-dessus des tensions concurrentielles qui régissent le monde. La France agit comme si elle avait un supplément d’âme qui la distingue des autres nations, qui lui donnerait le droit de n’en faire qu’à sa guise, qui lui permettrait toutes les fantaisies et toutes les facéties. Comme s’il y avait le long de la Seine un climat spirituel, une supériorité intellectuelle qui nous attache les élites du monde. C’est une position insensée. C’est de l’outrecuidance pure et simple, de la vanité pure, de la bêtise. C’est l’idéologie française imaginée par les derniers rois avant la Révolution, prolongée et rendue implacable par les Jacobins, aujourd’hui soutenue par tous les partis, sans exception : « Toute honneur et toute gloire à l’État français, pour les siècles des siècles. » Quiconque s’y oppose est hérétique. Nous avons grand besoin d’hérétiques. Notre peuple ne pourra les trouver que chez les candidats-citoyens.
Au même moment, une publicité fleurit à Londres dans le métro et sur les bus. On y vante les avantages du quartier de la Défense - on y fait même preuve d’humour pour profiter du Brexit. Mais, de même que le « J’aime l’entreprise » de Manuel Valls n’était qu’un mot vide proféré par un bureaucrate n’ayant jamais mis les pieds dans une entreprise pour autre chose qu’une visite protocolaire menée au pas de charge dans un nuage de journalistes, les slogans qui nous vendent « Paris capitale économique » ne sont que des proclamations vaines, des façades aveugles, des murs dressés entre nous et la réalité.
Les gagnants du Brexit, s’il y en a, seront Dublin, Bruxelles, Luxembourg, Amsterdam, Francfort : des places modestes, des gens sérieux, des intelligences qui ne se prennent pas pour des marquis en perruque.
Quant à nous, drapés dans notre grandeur passée, avec nos vieilles manies, nos députés don quichottesques, notre hussardisme de pacotille, il nous restera, pour toute consolation, le rire des gueux devant le ridicule des seigneurs, quand le palais gigantesque et vermoulu s’effondre d’un coup sur tout le pays.