Faire des jeunes des acteurs majeurs de la reprise d'entreprise. Tel était le thème de la table ronde, présidé par Danièle Desguées (fondatrice des Boutiques de gestion) et Jean-Marie Catabelle (président d'honneur du CRA), à laquelle j'étais invité la semaine dernière, dans le cadre de l'atelier « Transmission, Reprises » des Secondes Assises de l'Entrepreneuriat organisées par le Ministère du Redressement Productif.
C'est une excellente occasion pour faire un point sur un thème jugé essentiel chez Melcion Chassagne : la transmission de "l'entreprise entrepreneuriale".
La succession familiale est une des principales formes de transmission des entreprises. On peut y voir deux raisons simples : la probabilité (forte) et le risque (faible). Son succès implique la préparation à long-terme de la famille et des cadres de l'entreprise par l'entrepreneur prévoyant (ou soucieux de mettre en cohérence ses sphères privée et professionnelle), et la formation des jeunes à leur rôle de leaders.
Revenons d'abord sur les raisons.
Chaque transmission est un gros risque. Au-delà de l'aspect patrimonial de la transmission, l'héritage spirituel du fondateur et la culture d'entreprise qu'il a créée sont aussi à prendre en considération. A cet égard, la succession au sein de la famille est porteuse du risque le plus faible quand l'entrepreneur a fait l'effort de communiquer avec les siens sur son travail et le sens de celui-ci.
Par ailleurs, plus de 80% des entrepreneurs expriment spontanément avoir un entrepreneur parmi leurs aînés. Par induction, il existe une forte probabilité pour qu'un entrepreneur trouve dans sa famille quelqu'un capable et digne de lui succéder. Cette probabilité augmente lorsque la famille est préparée pour la transmission. Il faut alors que les membres de la famille comprennent que le bénéfice que l'entreprise représente pour eux, est la contrepartie d'une responsabilité et d'un devoir à l'égard de cette entreprise.
La succession doit se préparer au plus tôt afin que la relève soit prête au pied levé et que le devenir de l'entreprise ne soit brutalement remis en question, par exemple, par un accident fatal. Toutefois, la mise en place d'une régence peut permettre d'attendre que la succession puisse compléter sa formation.
Identifier et former les successeurs.
Il faut identifier l'entrepreneur qui va remplacer le fondateur. Le risque dans les succession "dynastiques" est de s'enfermer dans une règle trop limitative comme par exemple celle, improprement nommée1, de la loi salique ("l'aîné des garçons" ou primogéniture mâle comme successeur légitime au lieu du plus capable).
Pour ce qui concerne la formation, Christine Blondel de l'INSEAD dit bien qu'il est important de mettre les jeunes sur des postes à responsabilité verticale (opérationnelle) et non pas horizontale ou fonctionnelle, afin qu'ils puissent construire leur leadership. Par exemple, mieux vaut les placer à la tête d'une filiale autonome ou une division complète plutôt que leur confier des responsabilités transversales comme la gestion financière ou les ressources humaines.
La famille Mulliez du Groupe Auchan (société privée avec 850 actionnaires familiaux du groupe !) en est un parfait exemple. Les entrepreneurs parmi les enfants sont encouragés à construire leurs projets au sein de la structure familiale, d'où la grande diversité d'activités dans le Groupe Auchan. Ils ont capitalisé sur les ressources de la famille.
Gérard Mulliez, entrepreneur de deuxième génération, a orchestré la progression de Auchan du statut de PME au groupe diversifié que l'on connaît aujourd'hui. Il s'est trouvé un successeur légitime en la personne de Vianney Mulliez, un fils de son cousin germain, à l'énorme soulagement de toute la famille. Le 10 mai 2006, le conseil d'administration de l'Association Familiale Mulliez (AFM) l'a ainsi nommé à la présidence du conseil de surveillance du groupe, en remplacement d'Arnaud Mulliez, fils de Gérard.
Ce résultat n'est pas né par hasard. Au sein de l'AFM, ce ne sont pas moins de 8 personnes à temps plein qui assurent la promotion de 'l'affectio sociétatis" au sein de ces nombreux actionnaires familiaux. Les moyens employés sont classiques mais efficaces : deux assemblées générales par an, une newsletter, un intranet, des formations pour ceux qui veulent tenir leur place dans le groupe, des voyages d'étude en compagnie des cadres principaux, la réunion régulière des jeunes pour réfléchir sur le projet, ...
Ajoutons que pour Melcion, le modèle dynastique n'est pas le seul modèle. Certains entrepreneurs lui préfèrent le modèle « monastique » dans lequel le dirigeant n'est pas un leader mais un primus inter pares (« premier parmi les pairs ») qui joue le rôle de facilitateur, de porte-parole et garant des valeurs du groupe.
Dans ce contexte, tous les membres fondent leur identité dans le groupe, y compris le dirigeant. Le groupe produit ses élites via sa gouvernance interne. Le modèle ne fonctionne que si le fondateur a laissé une règle forte— à l'image de St. Benoit, fondateur des Bénédictins en 550 après J.C. et dont l'ordre perdure quelque quinze siècles plus tard. Dans le cadre de l'entreprise, cette règle consiste par exemple en une définition très précise du client ou du service.
Les sociétés coopératives sont de bons exemples de ce modèle, bien entendu. On peut estimer que des multinationales comme IBM ou Nestlé fonctionnent également sur ces principes.
Le dernier cas que je veux évoquer ici est celui du repreneur extérieur. Si l'on écarte le cas du repreneur industriel de type Entreprise familiale, la reprise par un particulier non familial pose un vrai problème. En effet, le prix de vente doit être suffisamment bas pour éviter que le repreneur doive inviter des investisseurs qui vont peser dans le processus de décision et imposer une sortie à cinq ans (ce qui ne fait que repousser le problème). Un prix bas peut néanmoins tenter le repreneur de faire une plus-value rapide en revendant à son tour au plus vite et de tirer partie de cette incroyable négociation qu'il avait "réussi" à l'achat. Pour éviter cette trahison, une solution est d'imposer des clauses dans le contrat de cession, telles que la clause de préemption au profit de la famille en cas de revente, ou de révision du prix attribuant tout surplus aux ayant-droit. Mais le risque demeure...
Pour revenir au schéma "dynastique" le scénario idéal, pour Melcion, est pour le repreneur familial de ne pas racheter les parts de la famille et de chercher à oeuvrer en collaboration avec cette dernière. Bien entendu, cela présuppose l'existence d'une famille ainsi que le désir de celle-ci d'être impliquée dans l'entreprise et d'apporter une contribution positive. Ici encore, je ne saurais souligner assez l'importance d'une préparation précoce, attentive et rigoureuse par l'entrepreneur de ses successeurs.