On attendait de la BCE des mesures spectaculaires en réponse au double risque de l'euro trop fort et de l'inflation trop faible et nous avons pas été déçus. Pour la première fois de son histoire, la BCE annonce en effet un taux de facilité négatif (et plus précisément à -0.10% alors qu'il stagnait depuis 2012 à 0%), ce qui signifie qu'un établissement bancaire qui souhaiterait laisser ses euros à la BCE plutôt que d'en irriguer le circuit économique devrait payer. En outre la BCE a abaissé son taux de prêt marginal de 0.75% à 0.40% et son taux directeur, pour les banques en quête de refinancement, de 0.25% à 0.15%, ce qui devrait rendre le crédit plus facile et augmenter la masse monétaire en circulation.
Si la plupart des états membres de la zone euro se réjouissent de cette nouvelle, ce n'est pas le cas de l'Allemagne qui milite au nom de ses intérêts économique pour cet euro fort et cette inflation faible. Et c'est peut-être là l'intérêt principal de cette nouvelle. Elle nous rappelle une fois de plus le problème fondamental de la monnaie unique qui s'applique à des économies aux intérêts, non pas seulement différents, mais aussi contradictoires.
L'Allemagne a besoin de l'euro fort pour profiter de faibles coûts d'importation (tandis que ses exportations en souffrent peu étant donné que, soit elles s'orientent vers des pays également membres de la zone euro, soit elle concerne des produits de renommée mondiale dont la demande est faiblement influencée par le prix). De plus, du fait de sa démographie, l'Allemagne présente un grave problème de vieillissement de sa population, ce qui implique l'adoption d'une politique économique de rentiers qui puisse assurer aux très nombreux retraités allemands des revenus pérennes. Or, une telle politique de rentiers, en nécessitant justement une monnaie forte et une inflation basse a tendance à étouffer l'économie de production et à pénaliser les actifs, c'est-à-dire à favoriser l'épargne au détriment du travail.
D'ailleurs, les pays du sud de la zone euro, qui ont, comparativement à l'Allemagne, une population plus jeune subissent de plein fouet ces choix allemands. Et si la BCE a le canon de la déflation sur la tempe, c'est notamment à cause de deux phénomènes ; la déflation salariale et la rigueur budgétaire.
En effet, pour retrouver une meilleure productivité du travail dans les pays du sud de l'Europe qui l'ont perdu pendant les années 2000, dans le cadre d'un processus de réajustement salarial, au mieux les salaires stagnent, au pire ils baissent fortement, ce qui a bien sûr pour conséquence de diminuer le pouvoir d'achat des ménages, puis la consommation et enfin la production. De son côté, la production peut difficilement s'orienter vers l'export à cause de l'euro fort qui renchérit les prix des produit, et donc annihile les douloureux efforts de modération salariale. Ce mécanisme schématique explique en partie la difficile reprise économique de la zone euro, un autre facteur important étant, notamment en France, la frilosité de banques qui prêtent peu aux ménages et aux entreprises (surtout les PME et TPE), c'est-à-dire que le crédit ne joue plus son rôle de stimulateur pour la consommation et l'investissement.
Le risque déflationniste vient également de cette modération salariale forcenée qui empêche l'augmentation normale des prix sous peine de définitivement condamner la croissance par la chute de la consommation. Or, le risque est le même en cas de spirale déflationniste. Si les salaires baissent, les producteurs suivent en faisant baissant leurs prix, ce qui incite les consommateurs à attendre que les prix baissent au maximum pour consommer à nouveau. A nouveau la croissance économique s'effondrerait.
Le risque de déflation et d'asphyxie de nos industries du fait de l'euro fort est donc réel et c'est pourquoi la BCE a bien raison de tout mettre en œuvre pour inciter les banques à réinjecter leurs liquidités dans le circuit économique. Ce ne sera certainement pas suffisant pour relancer la croissance dans la zone euro, mais il s'agit d'un premier pas encourageant.
Quant à l'Allemagne, elle doit abandonner son obsession de l'aléa moral et cesser de considérer que toute mesure de relance est une incitation à ne pas se réformer, car c'est son inflexibilité à l'encontre des états du sud qui a obligé Mario Draghi à réagir en tant que banquier central indépendant. Bossuet aurait fort justement fait remarquer à nos partenaires allemands que « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences dont ils chérissent les causes. »
Avec Gwenaël le Sausse