La France connaît actuellement une période charnière de son histoire entre un monde qui se meurt et le nouveau qui se cherche. La capacité de ce pays à s'adapter à ce changement déterminera grandement son avenir économique, démographique, social et sociétal. Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective émet à ce titre son appréciation de la situation dont les grandes lignes sont reprises dans cette analyse.
Vieillissement de la population
La France sera tout d'abord plus vieille à l'horizon 2023. En effet, en dépit d'une démographie plus dynamique que celle de ses voisins européens, elle va connaître au cours de la prochaine décennie un vieillissement d'autant plus rapide que les générations du baby-boom finiront de sortir de la vie active. Par conséquent, cette évolution entraînera une vive remontée de la proportion d'inactifs dans la population totale via l'augmentation du nombre des retraités. En 2023, le taux de dépendance, c'est-à-dire le rapport du nombre d'inactifs (enfants et seniors) au nombre d'actifs, aura retrouvé son niveau des années 1960 mais cette fois ce seront les aînés qui se seront substitués aux enfants.
Le vieillissement de la population aura des conséquences inévitables. Tout d'abord, concernant les revenus, sans mesures capables de stimuler la croissance économique, ni report de l'âge légal de départ à la retraite et ni diminution des pensions de retraites, cela impliquera nécessairement une hausse très sensible des prélèvements (sur les actifs, les retraités et les entreprises). Ensuite, cette évolution représentera également un défi pour le système sanitaire. En effet, les besoins en personnel d'accompagnement seront importants et nécessiteront un développement qualitatif de l'offre de services adressée aux personnes âgées.
Baisse du poids économique dans le monde
La décennie passée a vu la France perdre progressivement de son importance au niveau mondial. En effet, la croissance française a été particulièrement faible au cours de la dernière décennie, en partie sous l'effet de la crise globale (financière, zone euro et dettes souveraines) mais également suite au ralentissement des gains de productivité, lui-même conséquence d'un moindre investissement et d'un freinage des processus permettant de stimuler la production des entreprises et la concurrence.
Néanmoins, la France dispose de réserves de croissance. En effet, la raison première est le niveau de son sous-emploi (chômage) et de la persistance de réglementations anti-concurrentielles dont la levée pourrait induire des gains de productivité substantiels. En outre, le manque passé de réformes structurelles bride le potentiel de croissance qui se situe probablement aux alentours de +1,5% par an. Dès lors, la suppression d'un certain nombre d'entraves pourrait permettre de stimuler cette croissance potentielle de 0,5 points et ainsi atteindre +2% par an.
Economiquement, la France pèsera sensiblement moins dans dix ans qu'il y a dix ans. En effet, un hypothétique redressement de la croissance économique conditionné à la mise en place de mesures aptes à stimuler l'activité économique permettrait certes de limiter la dégradation de la part de la France dans le PIB mondial, mais la diminution demeure inéluctable. La France devrait ainsi représenter en 2023 un peu moins de 3% du PIB mondial. Elle fera toujours partie des pays riches, mais son revenu réel par tête, autrement dit par habitant, s'élèvera à deux fois le revenu mondial moyen contre près de trois fois il y a dix ans (voir graphique ci-dessus). Son poids économique sera grosso modo celui de l'Espagne de 1980.
Parmi les nombreuses implications de cette évolution, plusieurs sont à souligner. Tout d'abord, la baisse tendancielle du poids économique relatif aura des conséquences évidentes dans le jeu des grandes puissances de ce monde. Ensuite, une taille relative plus faible implique une nécessaire spécialisation productive plus étroite et être capable de ne pas soutenir inutilement des activités appelées à disparaître car non compétitives: si la France des années 1980 était assez peu spécialisée, celle des années 2020 devra l'être davantage. Enfin, le développement du monde émergé et émergent va progressivement accroître sa concurrence sur les productions intensives en capital humain. Toutefois, il ne faut pas envisager ce phénomène comme un obstacle mais comme une opportunité d'acquérir de nouveaux clients et de bénéficier de nouvelles sources supplémentaires de pouvoir d'achat pour les consommateurs français.
Meilleure formation et équipement
Parallèlement, la France sera plus et mieux formée. En effet, avec la substitution de générations nouvelles bénéficiant d'un allongement de la durée moyenne de la scolarisation, la population active aura gagné en qualification moyenne du fait d'efforts poursuivis sur plusieurs décennies présentant un réel avantage vis-à-vis des pays émergents.
La France sera ensuite très bien équipée. En effet, en matière de stock d'équipements, la France est classée 5ème sur 144 pays pour la qualité de ses infrastructures (routes, chemins de fer, ports, transport aérien, télécoms...). En revanche, il convient de souligner que cet atout est certainement que temporaire au vu des efforts d'investissements permettant un rattrapage de la part des pays émergents. Mais dans l'ensemble, le niveau d'équipement restera un avantage important à l'horizon dix ans.
La France bénéficie d'autres atouts qu'il convient de pouvoir exprimer. En effet, la France peut être un pays remarquablement attractif pour les investissements étrangers. Si elle sait en jouer, sa situation géographique, ses infrastructures matérielles et techniques, la qualité des services publics, le cadre urbain et culturel, ainsi que son mode de vie en feront un territoire de choix pour l'implantation d'entreprises intensives en emplois qualifiés, conscientes que la qualité de vie de leurs employés est un facteur de productivité et de compétitivité. Toutefois, pour cela, il est fondamental que le cadre fiscal, le poids des réglementations et les lourdeurs administratives soient revus considérablement à la baisse, sans quoi ce potentiel demeurera largement sous-exploité.
Urbanisation
L'urbanisation du territoire français devrait se poursuivre. En effet, les grandes villes et aires métropolitaines sont des sources importantes de richesses, d'emploi et de gains de productivité grâce aux effets d'agglomération et à la concentration des facteurs de production et d'innovation. Elles sont attractives tant pour les activités économiques que pour la population. Les villes permettent par exemple les économies d'agglomération en concentrant les ressources humaines, les entreprises (industrie, commerce...), et les pôles de financement, d'information et de savoir. Elles attirent les jeunes et la main-d'œuvre hautement qualifiée grâce à l'offre culturelle et à leur réseau d'universités et de grandes écoles. Elles disposent également d'infrastructures et de réseaux de transports et télécommunications sophistiqués et attractifs.
Cependant, la nature de cette urbanisation a sensiblement évolué en dix ans, et pourrait continuer. En effet, en une décennie, la superficie de l'espace urbain a progressé de 19%, les villes françaises abritant désormais 77,5% de la population. Néanmoins, cet accroissement s'explique davantage par la périurbanisation que par la densification. Autrement dit, les villes se sont étendues plus qu'elles n'ont accru leur capacité d'accueil à superficie égale. Ainsi, l'étalement des villes est source de dégradation de l'environnement en raison de l'artificialisation des sols (réduction de la biodiversité, pollution des eaux...) et de la congestion des réseaux de transports. Socialement, il est source de dissociation entre les habitants des centres urbains, qui appartiennent souvent aux couches aisées qui vivent dans une forme "d'entre soi" protégé des maux du pays ; et les couches sociales paupérisées de la zone périurbaine, avec pour conséquence un fractionnement des comportements et des choix électoraux liés à un ressenti et un prisme de lecture différent des problèmes économiques, sociaux et sociétaux.
Mutation de la sphère du travail
La France va connaître des changements majeurs au cours de la prochaine décennie. Le pays connaît actuellement un niveau de chômage proche de ses records historiques. La réduction de ce niveau de chômage dans les dix années qui viennent dépendra de la capacité du pays à améliorer le fonctionnement de son marché du travail et plus largement de sa capacité à s'adapter à un environnement économique globalisé. Dans dix ans, cadres et professions intermédiaires représenteront plus de 40% des actifs, contre 35% en 2000 et 30% en 1990. Ainsi, en à peine plus d'une génération, la France va vivre une mutation sociologique très importante.
La montée en gamme des emplois ne sera pas uniforme. En effet, en France comme dans les autres économies avancées, la proportion des postes d'ouvriers et d'employés qualifiés sera probablement en baisse, tandis que la part des emplois les moins qualifiés devrait se maintenir, soutenue par la demande de services à la personne ou le secteur du tourisme. In fine, cette évolution tendra à induire une certaine polarisation des emplois en haut et en bas de l'échelle des qualifications. Il conviendra donc de faire des efforts pour empêcher que le dualisme de la demande de travail induise un dualisme social permanent et l'enfermement d'une partie de la population au travail dans des emplois instables et non qualifiés. Pour ce faire, il faudra revoir les politiques de revalorisation de l'emploi, de formation, d'accompagnement des transitions et de fluidification du marché du travail.
Autonomie accrue des individus
Les structures familiales vont évoluer. En effet, tous les indicateurs amènent à anticiper que la transformation à l'œuvre depuis 30 ans se poursuivra dans la décennie à venir : augmentation du nombre de divorces, des unions libres et des familles monoparentales. D'après les projections, la taille des ménages devrait continuer à diminuer pour passer de 2,6 personnes par ménage en 1990 à 2,1 en 2025, ce qui se traduira notamment par une hausse de la demande de logements, et posera la question du soutien aux populations fragilisées et paupérisées par cette évolution. Parallèlement, sur une longue période, la baisse de la pérennité des couples est une tendance lourde : en 1982, près de 85% des femmes de 40 ans vivaient en couple, elles ne seront que 64% en 2030. Dès lors, et malgré des structures familiales qui ne sont pas homogènes sur l'ensemble du territoire, le mouvement sociologique vers une société d'individus valorisant l'autonomie est appelé à se poursuivre. Dans ce cadre, cette société transformée attendra inévitablement une évolution de ses relations avec l'Etat et les institutions sociales : le paternalisme étatique évoluera vers un accès aux services publics qui sera vu comme un support à l'autonomie individuelle.
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