Politique économique, renouer avec l’essentiel (I) – Une politique économique tire vers le haut le débat public si l’exposé de ses motifs se prononce sur ce qu’il y a de plus sain et de plus important à construire ou reconstruire en matière d’échanges marchands et de transferts de termes de ces échanges.
Les motifs, ou comme on voudra les attendus d’une politique économique de haute tenue exposent ou évoquent les principaux points de doctrine économique d’où découlent les orientations majeures retenues (Economie Matin du 8 décembre 2016), notamment à raison des attentes que le corps électoral n’est pas en mesure de formuler (Economie Matin du 24 novembre). À cette condition, une offre de gouvernement économique augmente sa chance d’être cohérente et pertinente, puis de le rester à l’épreuve de l’exercice du pouvoir. C’est aussi parce qu’elle sollicite l’intelligence des citoyens avec ce qui lui paraît être en ce domaine essentiel et impartial. Le suffrage universel préjugé inapte à de la politique ainsi conçue est rabaissé à ce que des préparateurs de campagne électoral ont trop vite cuisiné.
La croissance des revenus et de l’emploi stable
En analyse économique conceptuellement rigoureuse, lorsqu’il est question des revenus il s’agit exclusivement d’une part des rendements des placements d’épargne par les particuliers et leurs associations non commerciales, d’autre part des rémunérations du travail (dont la masse dépasse d’autant plus les revenus de placement que l’économie est développée) ; il s’agit donc exclusivement de ce qu’en son état actuel l’économétrie appelle les « revenus primaires ». La croissance de ces gains avant tout transfert, y compris par de la plus-value, occupe une place centrale dans une politique en adéquation avec ce que le système des échanges marchands produit de plus nécessaire à la prospérité collective.
Ce but n’est toutefois assez sainement poursuivi que sous l’empire de deux exigences, particulièrement importantes pour qu’une nation rende au travail tout ce qu’elle lui doit. La croissance du salaire minimum doit être maintenue plus rapide que celle des autres revenus du travail tant que la subjectivité collective nationale juge que l’écart entre les plus hautes et les plus basses rémunérations du travail est trop grand (Economie Matin du 14 septembre). Contrairement à un lieu commun facile à entretenir dans le patronat et dans des cercles d’économistes partout dans le monde, l’obtention d’un solde positif entre la création et la suppression d’emplois en vient vite à être favorisée plutôt que pénalisée par la renonciation à lier la croissance et la compétitivité à la précarisation de l’emploi et à la baisse du coût du travail (cinquième orientation de politique économique). Qu’on dise de ces deux exigences qu’elles sont sociales ne présente pas d’effet pervers s’il est entendu qu’elles sont aussi à part entière économiques.
Les placements directs en capital
La cohérence de ces deux lignes de conduite saute aux yeux de ceux qui veulent la voir. Elle implique de ne pas sanctuariser des défauts d’organisation générale du marché du travail et des sécurités économiques, notamment pour ceux de ces défauts qui réduisent la probabilité du plein-emploi structurel (lequel n’est pas forcément celui que l’économétrie d’aujourd’hui quantifie). Elle implique tout autant de ne pas sanctuariser des défauts d’organisation générale du marché du capital et des autres financements, là aussi notamment pour ceux de ces défauts qui réduisent la probabilité du plein-emploi. Une politique économique n’est d’assez haute tenue que si elle se prononce sur la meilleure organisation générale d’abord de chacun des marchés primaires (marchandises élémentaires, Economie Matin du 26 janvier), ensuite du marché final, celui sur lequel les entreprises font leurs chiffres d’affaires (marchandises composées).
Les placements directs en capital de sociétés commerciales de toute sorte ont des vertus systémiques bien plus grandes que celles de l’autofinancement par non distribution de bénéfice. Ils dotent l’économie de marché d’un dispositif de relance permanente dont on ne dit pas encore assez qu’il est potentiellement plus sain et plus efficace que tout autre, quoique possiblement trop encalminé pour bien fonctionner. La confiance de principe dans ce mode de relance prend à revers les laxistes qui voient un maléfice dans ce qu’ils disent être l’austérité. Souvent, un assainissement des finances publiques, et de beaucoup de finances privées, se peut avant même que le surendettement public commence à reculer. Mais cette possibilité n’est saisie que si la politique économique en vigueur admet qu’il convient en tout temps de lier premièrement la croissance aux placements directs en nouveau capital social. La mentalité ambiante s’y prêtera lorsqu’elle aura été débarrassée de ce qui l’empêche de croire en l’existence d’un instrument de relance permanente plus sain que tout autre.
Le congédiement scabreux de la rigueur
Lier premièrement la croissance à tel moyen, c’est se tourner avant tout et systématiquement vers ce moyen sans exclure qu’au moins un autre est à utiliser : un premièrement appelle au moins un deuxièmement. Surtout alimentée par un excès croissant des charges de fonctionnement et de service de la dette par rapport au produit des impôts, l’augmentation chronique de l’endettement public conduit à franchir le seuil à partir duquel l’état des finances publiques nuit à l’emploi.
C’est en soi un échec politique que l’incapacité de la rhétorique économique prévalente à convaincre le corps électoral et les autorités morales que le manque de rigueur de la gestion des finances publiques freine la marche générale des affaires. La problématique réelle de cette rigueur n’est pas foncièrement différente de celle qui s’impose en bonne gestion de toute entité non commerciale. Là, comme en entreprise aussi, la distinction entre charges et investissements s’impose, sans aucune bonne raison d’en affranchir la gestion des affaires publiques et l’analyse macroéconomique. Dire non à la rigueur conceptuelle pèse sur la vigueur de la marche des affaires.
La maîtrise collective du prélèvement public
De toute façon, les parlementaires qui plaident pour ou contre davantage ou autant de dépenses publiques ont tort à cause de la distinction qui vient d’être rappelée. Les charges publiques sont une chose, les investissements publics en sont une autre. Les citoyens les plus volontiers désinvoltes dans la gestion de leurs affaires d’argent n’en attendent pas moins que les politiques et les fonctionnaires n’en fassent pas autant dans la gestion des affaires publiques.
Les distinctions à utiliser pour entrer de plain-pied en gestion bien conçue des deniers publics n’exigent plus de hautes études. Elles sont désormais assimilables par la plupart des électeurs, et partant par la totalité des élus. La confiance que l’opinion publique accorde à la classe politique sera moins entachée lorsqu’il sera enfin devenu monnaie courante de lier deuxièmement la croissance au respect de deux règles de gestion des finances publiques. La mentalité ambiante s’y prêtera lorsqu’elle aura été débarrassée de ce qui l’empêche de croire en l’existence d’une politique budgétaire plus saine que toute autre.