Récemment, un chroniqueur financier australien Phil Anderson dans un papier intitulé What if interest retes stay low for the next 70 years expliquait que les taux allaient rester bas pendant encore des décennies. « Chaque grande vague d'inflation a été suivie par un siècle de stabilité des prix durant laquelle l'inflation était faible et les taux d'intérêt relativement bas. ». L'argument mis en avant est une périodicité, un aspect cyclique qui régirait l'économie et la monnaie. La dernière période de hausse des taux date de la fin des années 1970 et un siècle de taux bas serait écrit.
A l'appui de ces propos, l'auteur présentait deux graphiques ; d'un côté nous remarquons des périodes quasiment sans inflation qui peuvent durer plus de 100 ans, précédées par un bref épisode inflationniste. De l'autre nous constatons que l'évolution des taux d'intérêt des obligations d'Etat est régulière, cyclique.
Pourtant, les choses ne sont pas si prédictibles et l'avenir ne semble pas écrit.
Le dernier épisode inflationniste de 1970 était particulièrement intense. Les prix ont alors été multipliés par 50 environ, alors que cette augmentation n'était « que » de 5 à 10 fois environ lors des cas précédents. Ce caractère exceptionnel montre ainsi que les conditions économiques étaient différentes engendrant des réactions des intervenants sur le marché également différentes. Le lien entre le dollar et l'or a été coupé avec la fin des accords de Bretton Woods puis la monnaie papier a fait place à la monnaie dématérialisée et à la création de crédit. Ce sont de grands bouleversements concentrés dans la seule moitié du XXème siècle.
Ensuite, nous constatons une accélération du rythme des cycles économiques. Les NTIC des années 2000 ont augmenté la vitesse de circulation des données et capitaux. Ce gain de rapidité a naturellement eu pour conséquence une fréquence plus élevée des événements autrefois jugés rares.
La mondialisation a également eu pour effet de propager les risques entre les acteurs financiers qui au départ étaient cloisonnés mais qui sont désormais liés par des risques partagés. Dès lors, une crise n'est plus isolée mais contamine l'ensemble du système financier planétaire. Les probabilités que des événements extrêmes (crises ou krachs) surviennent est donc accrue.
Spéculer que l'inflation restera plate pendant un siècle alors que les taux d'intérêt directeurs des banques centrales sont historiquement bas repose sur une logique bancale semble hasardeux.
Trois facteurs de long terme qui pèsent pour une hausse des taux
En 1985, les Etats-Unis ont commencé à émettre de la dette publique bien plus rapidement qu'auparavant, la balance commerciale se dégradant suite aux chocs pétroliers. Théoriquement, l'abondance de l'offre aurait dû faire baisser les prix (et donc pour l'obligataire faire monter les taux qui varient en sens inverse). Pourtant les taux ont baissé.
En vendant leurs productions aux Etats-Unis, les pays producteurs de pétrole puis les pays émergents se sont retrouvés avec énormément de dollars sur le bras, plus qu'ils n'en voulaient. Grâce à la dette publique croissante (émise en dollar), ils ont trouvé un moyen très simple de s'en débarrasser.
Mais ce recyclage devient fragile, même s'il a tenu plusieurs décennies. Et de plus en plus à mesure que le temps passe :
- ces acteurs pourraient très bien ne plus vouloir plus échanger leurs dollars aux Etats-Unis sous forme de créance, mais en investissant dans autre chose que l'obligataire. Plus simplement même, s'ils décidaient d'acheter des biens produits aux Etats-Unis, le retour en masse de dollars entrainerait une inflation forte qui mettrait en péril les faibles taux d'intérêts.
- l'attrait de la dette américaine s'estompe: la Fed (banque centrale des Etats-Unis) participe activement à la demande de dette américaine pour faire baisser les taux d'intérêts. C'est le but de l'opération Twist : la Fed vend des obligations court-terme et achète ensuite des obligations long-terme (10 à 30 ans). Ici, le tapering de la Fed ne devrait pas contribuer à maintenir la situation actuelle étant donné qu'il concerne en partie le fameux Twist.
- la Chine se recentre sur sa consommation intérieure, et commence à investir ses dollars des actifs autres que de la dette américaine. Cette nouvelle tendance conduit à la « dédollarisation » de certains échanges commerciaux. Ce processus est très lent et prendra très probablement des décennies. Mais c'est une menace s.
Les taux restent bas en raison d'une perception erronée des risques par les acteurs. Mercredi 18 juin, The Wall Street Journal se faisait l'écho du réveil de l'inflation aux Etats-Unis (Uptick in Inflation Could Pressure Fed). La Fed pourrait se retrouver à la croisée des chemins plus vite que ce que tout le monde pense. Plus d'analyses de ce genre ? C'est ici et c'est gratuit