Le 15 novembre, une semaine après l’adoption de la loi Sapin 2, des députés et des sénateurs Les Républicains ont saisi le Conseil constitutionnel, estimant que l’article 49 de la loi (ex-21-bis) portait atteinte au droit de propriété et à la liberté contractuelle.
Le Conseil n’a pas usé du mois qui lui était imparti pour délivrer sa décision puisqu’il s’est prononcé dès le 8 décembre. L’ensemble des dispositions relatives à l’assurance-vie ont été validées dans la décision numéro 2016-741 DC. Pour le Conseil, point de contradiction avec l’Article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. » Pour être exact, « l’atteinte portée […] au droit de propriété, à la liberté contractuelle et au droit au maintien des contrats légalement conclus n’est pas disproportionnée ». La raison invoquée est que les mesures pouvant être prises par le HCSF font l’objet d’un caractère « temporaire et limité ».
Le droit de propriété a été consacré en droit français en 1789, mais les protestations des Républicains et de l’AFER – qui jugeaient l’Article 21-bis « économiquement infondé », « socialement irresponsable » et « juridiquement contestable » – et des 180 000 citoyens qui ont signé une pétition contre ce texte ont été balayées. Les Sages ont parlé, et c’est bien un « but d’intérêt général » qu’a poursuivi le législateur. Pour rappel, la loi prévoit que les demandes d’arbitrages et d’avances ne pourront être retardées que de « six mois consécutifs ». Gardons tout de même à l’esprit que ce que le pouvoir politique a fait, il peut le défaire, en l’occurrence au travers d’un décret d’application.
Assurance-vie : Une « mesure de dissuasion »… pour « l’égalité réelle » ?
Pour François Villeroy de Galhau, « il faut éviter que certains épargnants plus malins que d’autres et mieux informés s’en sortent mieux au détriment de la majorité des épargnants. […] C’est une clause de dissuasion ! » Selon le Gouverneur de la Banque de France, tous les épargnants doivent être égaux face à la tonte. On peut en effet douter que « les épargnants les mieux informés » laissent leur épargne sur des contrats d’assurance-vie français, alors qu’il existe des solutions pour échapper aux mesures de la loi Sapin 2 en toute légalité.
La loi numéro 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a donc été publiée au Journal officiel le 10 décembre 2016, avant d’entrer en vigueur le 11 décembre. Dès le lendemain, le HCSF se fendait d’un communiqué de presse pour se féliciter de ses nouveaux pouvoirs… et procéder à un énième rappel à la modération du rendement des fonds euros, quelques jours avant le début de la publication de ces derniers. Fin de cet épisode de la longue série à rebondissements « votre épargne victime de la répression financière » qui avait débuté le 30 mars dernier avec la présentation de la première mouture du texte en Conseil des ministres.
Du côté des rendements des fonds euros justement, ça n’est pas vraiment la joie
cBanque fait remarquer que « les assureurs ne se bousculent pas pour dégainer leurs taux de rémunération 2016 ». Au vu des premiers résultats annoncés, le magazine Capital parle de « dégringolade ». Le Revenu évoque quant à lui des rendements « catastrophiques » et « la fin du modèle de l’assurance-vie 100% euros. » Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du cabinet de conseil Facts & Figures, pronostique sur cBanque des rendements qui casseront la barre du 1% chez certains assureurs. L’Argus de l’Assurance évoque les projections d’AG2R La Mondialequi table sur des rendements en-dessous 2% en 2016 (contre 2,30% en 2015) et de 1,7% en 2017 et ce, alors même que l’inflation « devrait rebondir en 2017 pour atteindre 1,3% en France et 1,6% en Zone euro ».
Ainsi, avec une inflation quasi nulle en 2016 mais qui pourrait donc se monter à 1,7% en 2017 et des rendements plafonnant à 2%, il est peu probable qu’on nous refasse le coup du « rendement réel net » du fonds euros l’année prochaine Ceux qui seront encore positionnés sur les fonds euros en 2017 risquent d’être déçus.
Les Français ne se font pas d’illusions
Un sondage Odoxa-Linxea-Le Parisien révèle que seuls 18% des épargnants abondent leur fonds euros « pour disposer d’un placement rentable ». C’est en effet la préparation de la succession et de la retraite qui priment. Toutefois, les chiffres publiés par la FFSA indiquent qu’en octobre, l’assurance vie a terminé dans le rouge pour la première fois depuis décembre 2013 avec une décollecte de 100 millions d’euros. Et de janvier à octobre, la collecte nette sur les fonds euros s’est montée à 4,2 milliards d’euros soit deux fois moins qu’en 2015, rapporte Le Monde, qui continue au passage à appeler les fonds euros – accrochez-vous – des « fonds non risqués » ! BFMBusiness évoque des conseillers qui reçoivent « des centaines d’appels » pour des transferts au Luxembourg. Mais ne le répétez pas à François Villeroy de Galhau.
Les assureurs continuent à faire payer les pots cassés aux épargnants
Ah, que la vie était douce et les marges confortables à l’époque des taux élevés… les assureurs n’avaient qu’à se baisser pour récolter sur les fonds euros ! Désormais, ils doivent recourir à deux expédients. Le premier consiste à forcer les épargnants à investir en unités de comptes pour pouvoir accéder au fonds euros. C’est déjà le cas chez Spirica, Apicil et Suravenir. Le second repose sur un fonds euros à garantie partielle. On savait depuis début octobre qu’Apicil y réfléchissait, mais c’est Nortia qui a ouvert le bal début décembre en lançant le fonds euros actif garanti à 98%. Et voilà un tabou de plus qui vole en éclats !
Il ne faut néanmoins pas mettre tous les assureurs dans le même panier. Le site Goodmoneyforvalue.eu a publié en décembre son analyse annuelle des fonds euros en fonction de leurs réserves. Les résultats sont très disparates avec des assureurs dont plus de 19% de l’encours correspond à des réserves financières, quand d’autres n’en n’ont que 0,59%. Ce décalage s’explique avant tout par la politique de distribution des réserves – certains assureurs ayant par précaution servi des taux relativement bas –, plutôt que par la flamboyance des gérants. Les autorités de contrôle incitent les assureurs à conserver leurs provisions financières plutôt qu’à les distribuer, à chacun de juger si cela constitue réellement un avantage, la contrepartie étant souvent un taux de rémunération moindre. Avoir des provisions, c’est bien beau, encore faut-il pouvoir les distribuer !
Il n’est pas facile pour les assureurs de construire un nouveau modèle d’assurance-vie post-fonds euros. La Fédération française de l’assurance (FFA) a néanmoins annoncé via son président Bernard Spitz que la profession réfléchit à la création d’une nouvelle provision « pour rendements futurs » (en plus de la provision pour participation aux bénéfices – PBB). L’objectif est à nouveau de « lisser dans la durée les rendements servis aux assurés ». cBanque explique néanmoins que « cette provision ne serait aucunement acquise aux assurés (ni légalement ni contractuellement), à la différence de l’actuelle PPB. Ce dernier point est le plus sujet à polémique car c’est une forme de spoliation de l’épargnant selon une source anonyme citée par L’Argus ». Affaire à suivre…
Du côté des auditeurs, on estime que l’horizon n’est pas au beau fixe
Début décembre, l’agence de notation Moody’s annonçait qu’elle dégradait la perspective des assureurs-vie de stable à négative au niveau mondial. En cause : les taux historiquement faibles, en dépit de leur légère remontée. Au niveau européen, on apprenait mi-décembre que certains assureurs pourraient être contraints de fortement diminuer leurs dividendes. En effet, des stress tests menés par l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) ont fait apparaître un trou de 160 milliards d’euros dans leurs bilans. S’en sont suivies les mêmes recommandations généralistes qu’au niveau national : diminution des taux de rendement servis et annulation voire report du versement des dividendes aux actionnaires. « Généralistes », car les résultats des tests sont bien sûr restés anonymes. Que conclure de tout cela ? Dans une note en date du 12 décembre, Natixis posait la question suivante : « Faut-il maintenir le mythe de l’épargne sans risque ? » Il me semble que nous avons déjà la réponse…
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