Le manque de perméabilité entre le monde de l'entreprise et celui de la politique vient de trouver une nouvelle illustration. Une étude dirigée par Olivier Costa, chercheur au CNRS pour le compte du think tank En Temps réel, lève le voile : le secteur privé est absent des carrières d'une majorité de députés. Au delà de chiffrer une réalité dont chacun se faisait déjà une petite idée, cette enquête possède un intérêt double, sous-jacent : insinuer que la déconnexion entre politique et entreprise est préjudiciable à cette dernière et, partant, encourager les parlementaires à resserrer les liens qui les unissent aux entreprises. Il était temps.
Portrait-robot de l'homme politique français
Les passerelles d'accès à la charge de député sont étroites. Malheur à celui qui ne les emprunte pas. Elles passent la plupart du temps par la constitution d'un fief sur le plan local. Mais pas que. Instances des partis et cabinets ministériels distribuent aussi idéalement l'Assemblée nationale, de même que syndicats et associations. Autrement dit, on ne prête de siège dans l'hémicycle qu'aux politiciens de formation.
Ce constat en appelle un autre : pour embrasser une carrière de député, il faut, justement, faire carrière, et donc délaisser plus ou moins ses activités tierces. Ce qui fait écrire à Oliver Costa que les députés "sont nombreux à avoir perdue de vue" la profession qu'ils ont inscrite sur leur fiche individuelle, faute de temps ou de motivation.
A titre d'exemple, seuls 3% des députés de gauche sont à l'origine chefs d'entreprises (8,7% à droite), quand il ne sont que 3,5%, à droite, à être salariés (3,9% à gauche).
Cet ensemble de caractéristiques permet de dessiner les linéaments du député ordinaire, qu'Olivier Costa croque en ces mots : « un homme blanc, quinquagénaire, diplômé du supérieur, ayant une longue expérience politique ». Bref, un homme pas très au fait des réalités du terrain. Au grand dam d'un certain nombre de dirigeants et de salariés, représentés sous les ors de la République par des élus dont le point de vue manque de finesse.
Des "stages d'observation en entreprises" pour éduquer nos députés ?
Faut-il, oui ou non, avoir un pied dans l'entreprise pour en comprendre les rouages et s'autoriser, lorsqu'ils sont mal huilés, à les modifier ? La question reste ouverte. Toujours est-il que plusieurs signaux indiquent de façon plutôt cinglante qu'il y a urgence à dilater l'espace de dialogue entre sphère politicienne et entreprises. On pense ici aux mouvements en cascade des "Pigeons", "Poussins", "Tondus" ou autres "Sacrifiés". Le point commun de ces contestataires ? Protester contre le matraquage fiscal dont ils s'estiment les victimes. Comment ne pas déceler, en creux, le sentiment de ces dirigeants ne pas être entendus, encore moins compris ?
Si le collapsus global n'est semble-t-il pas pour demain (quoique), la crispation des relations bilatérales entre hommes politiques et dirigeants d'entreprises inquiète. Diverses initiatives se proposent de favoriser les échanges entre ces entités, en ancrant davantage les élus dans le secteur privé.
Espiègle, le Nouvel Obs suggère par exemple aux députés de réaliser des stages d'observation en entreprises, sur le même mode que les collégiens de troisième. Une proposition qui peut prêter à sourire, mais n'en est pas moins défendue par un certain nombre de think tanks. Président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone n'est pas contre l'idée d'organiser des cessions d'immersion d'un ou deux jours sur le modèle de la Journée défense et citoyenneté (JDC) organisée par l'armée.
Un autre biais consiste à rencontrer régulièrement les acteurs du monde de l'entreprise de façon plus ou moins formelle. C'est tout l'enjeu d'un groupe de parlementaires tel que GEEA, présidé par Olivier Dassault, qui vient de tirer de ses nombreux déjeuners et colloques avec les entrepreneurs un Livre Blanc appelant à un "Big Bang économique, fiscal et culturel". Ou comment puiser dans l'expérience glanée au fil de l'eau les arguments d'un grand chambardement politique, tout en répondant de façon chirurgicale aux attentes des entreprises.
Députés et membres du privé veulent la même chose (des entreprises compétitives, à même d'innover et d'embaucher), mais ne parlent pas la même langue. Les uns pensent recettes de l'Etat, les autres viabilité de leur structure. Ce dialogue de sourds peut s'avérer toxique lorsqu'il sert d'assise à l'élaboration de lois à côté de la plaque. Amenés à légiférer sur tout, les députés n'ont vocation à être spécialistes de rien. Soit. Reste qu'il semble primordial de ménager davantage de "sas de rencontres" entre eux et les acteurs de l'entreprise, pour développer au moins leurs connaissances sur ce sujet, pierre angulaire de l'économie du pays.