Le Président et les pauvres

Par Bertrand de Kermel Modifié le 17 juin 2018 à 11h49
Emmanuel Macron Pauvres Aides Sociales
@shutter - © Economie Matin
10%Les personnes vivant dans la très grande pauvreté représentent 10% de la population mondiale.

L’Elysée a fait « fuiter » une vidéo du Président sur les pauvres, dans le but de faire réagir. Réagissons.

Que nous a dit le Président dans cette vidéo et dans son discours à la Mutualité ? Que les minima sociaux ne font pas sortir les gens de la pauvreté (ce qui est vrai). Qu’il donc faut réformer en s’appuyant sur la prévention (pour s’attaquer aux inégalités avant qu’il soit trop tard), sur l’universalité (donner les mêmes droits à chacun) et sur la dignité, grâce à un accompagnement qui permette à chacun l’émancipation par le travail. C’est peut-être plus compliqué.

Selon le Secours Catholique, Emmaüs, ou encore ATD Quart Monde (et bien d’autres ONG) le travail ne protège plus de la pauvreté. Les travailleurs pauvres et les précarités sont une réalité cruelle partout dans les pays riches. Beaucoup travaillent dur et ne parviennent pas à s’émanciper. Il n’y a pas, en France, suffisamment de travail disponible pour que tout un chacun trouve un emploi lui permettant de nourrir sa famille et d’avoir un projet à terme. La mondialisation n’est pas étrangère à ce phénomène.

Il faut donc aller plus loin, et s’attaquant parallèlement aux causes structurelles et fondamentales de la pauvreté et des inégalités, car les deux sont étroitement liés. Que nous dit Bercy (en langage très policé) dans son « Trésor-Eco » N° 210 du 20 novembre 2017 ? A propos de la mondialisation, on peut lire : « Dans les pays avancés, les hauts revenus semblent avoir davantage bénéficié de l'ouverture que les classes moyennes-basses, ce qui a accru les inégalités ». OXFAM a dit la même chose à Davos en janvier dernier, mais en plus cru : « 82 % des richesses créées dans le monde l’année dernière ont bénéficié aux 1 % les plus riches, alors que la situation n’a pas évolué pour les 50 % les plus pauvres ». En fait, tout le monde le dit à Davos depuis des années et rien ne change.

Bercy ajoute : «Il faut que nos économies apprennent à mieux accompagner les évolutions commerciales et technologiques, sans renoncer aux gains qu'elles apportent », et termine par : « y contribueraient aussi une mondialisation mieux régulée et des conditions de concurrence internationale plus équitables ». Les mondialistes contestent le caractère déséquilibré et injuste de la mondialisation économique en s’appuyant sur un fait incontestable : le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté est passé sous la barre des 10 % de la population. Cette proportion était de 36 % en 1990. Oui mais …. qui a payé et paye encore pour ce résultat effectivement très positif ? Les classes moyennes et pauvres des pays développés.

La pauvreté a diminué dans les pays en développement grâce à l’implantation d’usines dans leurs pays, usines qui ont été fermées dans les pays développés, créant chômage précarité et pauvreté, les nouveaux emplois n’étant pas suffisants en nombre pour remplacer ceux qui étaient supprimés. Enfin, le défi de la concurrence est très difficile à relever, puisqu’il s’agit souvent de dumping social, environnemental et fiscal. C’est en partie ce qui a conduit les Etats des pays développés à se surendetter, pour pallier (sinon cacher) ces conséquences en distribuant des aides sociales. Ceci nous amène au deuxième problème. La mondialisation (et l’Europe) ont été tellement mal construites qu’elle sont devenues des passoires fiscales, permettant tous les abus et tous les excès. Cela crée d’énormes pertes fiscales pour les Etats, et l’impossibilité de redistribuer correctement les richesses.

Voilà pourquoi les solutions du Président de la République sur les aides sociales et l’émancipation des pauvres par le travail ne donneront pas de résultats tant que les réformes de fond n’auront pas été apportées à la mondialisation économique et à l’UE, car le système actuel crée mécaniquement inégalités et pauvreté. Dans son « Trésor Eco » précité, Bercy insiste et préconise d’utiliser la politique commerciale comme levier pour « faire respecter certains engagements internationaux dans le but de favoriser une concurrence plus équitable avec les pays tiers, notamment sur les accords environnementaux (Accords de Paris), les conventions de l'Organisation Internationale du Travail et la lutte contre l'évasion fiscale ».

Que peut faire la France ? Elle le sait. La seule façon d’obtenir enfin les réformes les plus cruciales de la mondialisation , consiste à être très précis sur ce point dans les mandats donnés par les Chefs d’Etats à la Commission Européenne pour les négociations d’accords de libre-échange. Depuis 20 ans, tous les mandats sont flous, d’où le développement d’une mondialisation inéquitable, sous la pression des lobbies. Le précédent gouvernement avait beaucoup insisté sur ce point. Un mandat vient d’être signé par la France pour une négociation avec l’Australie et la Nouvelle Zélande. Il n’y a pas eu de communiqué de presse victorieux et ce mandat n’est pas public, contrairement aux engagements pris par la France et l’Europe. Attendons de le lire.

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Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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