Début mai, Accor Hotels investissait dans Noctis, une société de l’événementiel qui organise des soirées prestigieuses dans la capitale. Six mois plus tard, l’investissement en valait-il le coup ?
La soirée aurait pu virer au drame. Début novembre 2017, une fusillade a éclaté en plein show lors d’une soirée guyanaise organisée dans une boîte de nuit parisienne, filiale du groupe Accor Hotel, le Red Light. Situé au bas de la tour Montparnasse, l’établissement était pourtant considéré comme l’un des plus sécurisés de la capitale. Chaque week-end, les files d’attentes se prolongent loin dans la rue face à des vigiles qui jouent les gros bras. Mais malgré un coût de location peu élevé, il semble que les propriétaires n’aient pas jugé utile d’installer des détecteurs de métaux à l’entrée de l’établissement… Un « oubli » sanctionné par un mois de fermeture administrative.
Ce type d’incidents n’a rien d’un cas isolé dans le monde de la nuit. L’année dernière, un homme, ivre, avait également brandi une arme près de la piste de danse du Pavillon Franklin Roosevelt, rue de Ponthieu, dans le VIIIe arrondissement. L’artère de 400 mètres de long, où se concentrent une vingtaine de discothèques et de bars à enseignes, défraie régulièrement la chronique de la nuit parisienne. Fusillades, bagarres et prostitution rendent l’ambiance électrique une fois la nuit tombée. C’est ici que l’ancien footballeurs du PSG, Serge Aurier, a été arrêté à la sortie d’une boite de nuit après une altercation avec la police. C’est également tout près, au Zaman Café, situé dans une galerie commerciale reliant la rue de Ponthieu et les Champs Elysées, que l’affaire Zahia a éclaté. Cette réputation sulfureuse a fait fuir les anciens habitués qui se pressaient, il y a encore une dizaine d’années, au Mathis bar ou chez Régine, une adresse mythique de la nuit parisienne où le glamour se disputait au standing.
Aujourd’hui, l’endroit n’a plus grand-chose à voir avec la célèbre créatrice qui lui a donné son nom. « Désormais, on sous-loue à une armée mexicaine de prestataires – DA, organisateurs de soirées, relations publiques… Des gens très jeunes essaient de gérer ces endroits, mais 500 personnes qui boivent et 100 autres qu’on a refusées, c’est une lourde responsabilité », déclarait l’entrepreneur Addy Bakhtiar, ancien propriétaire de Régine, au magazine Le Point, en 2016. Difficile de fidéliser, voire protéger, une clientèle dans de telles conditions.
Principal visé par cette accusation, la société Noctis, un entreprise de la fête créé en 2008 par Laurent de Gourcuff, qui pèse aujourd’hui près de 70 millions d’euros. Ses méthodes, basées sur la sous-location et sur des « prêts-brasseurs » pour financer ses fonds de commerce, concentrent les critiques. La société collectionne une trentaine de lieux festifs et plusieurs restaurants, le tout localisé dans les quartiers emblématiques de la capitale. Pour les rentabiliser hors week-end, elle les loue pour tous types d’événements, avec les conséquences que l’on connaît… Et la société ne cesse de s’étendre, notamment depuis que la Mairie de Paris, dans le cadre du programme « Réinventer Paris », a décidé d’ouvrir des bâtiments inutilisés dont Laurent de Gourcuff, 40 ans, entend faire des « centres culturels éphémères » selon ses propres mots. Des concessions sont signées pour dix à douze ans, voire plus si les investissements de modernisation sont très lourds.
Conflits d’intérêts
Mais cet homme pressé est aujourd’hui dans l’œil du cyclone pour une affaire de conflits d’intérêts. En août 2017, raconte le magazine Challenges, Noctis gagnait l’appel d’offre pour la gestion de l’espace situé sous la culée du Pont Alexandre III, où se tenait jusque-là la boite de nuit le Showcase, rebaptisé depuis le Génie d’Alex. Or, au même moment, la société embauchait un certain Pierre Le Goff qui n’est autre que le mari de Bruno Julliard, ancien président de l’Unef, aujourd’hui 1er adjoint d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris et chargé, en tant que tel, de l’attribution des marchés des nuits parisiennes. Selon plusieurs élus municipaux d’opposition, un accord aurait été passé entre Gourcuff et Julliard, ce dernier étant par ailleurs à l’initiative, il y a un an et demi, de la fermeture brutale de la grande roue des Tuileries et du marché de Noël des Champs-Elysées, installés par Marcel Campion et ses forains. Et d’autres scandales couvent. L’hebdomadaire révèle également qu’en octobre 2017 était organisée au Génie d’Alex « une soirée très particulière, pudiquement qualifiée de naturiste, puis de libertine, mais qui était plutôt dans la lignée des soirées berlinoises SM les plus hard et les plus déjantées »…
Pour Accor Hotels, un baptême du feu
Des révélations qui tombent mal pour Noctis au moment où le groupe Accor Hotels vient d’entrer dans son capital et alors qu’il vient de récupérer la terrasse de l’ancien immeuble du Virgin Megastore, le plus haut des Champs-Élysées. Le champion de l’hôtellerie, qui a récemment fait le choix de céder le contrôle de son immobilier, souhaite accélérer sa transformation digitale tout en cultivant une image de « jeune pousse ». Pour ce faire, Accor poursuit depuis quelques mois une stratégie de diversification dans des secteurs nouveaux et à forte valeur ajoutée, comme l’ont démontré les achats récents de la conciergerie John Paul ou le loueur américain de villa de luxe Travel Keys.
Cette stratégie explique, sans doute, le choix d’investir au sein de Noctis en ce début d’année. « Accor a besoin de contenu, et nous d’un partenaire pour accélérer la croissance » s’enthousiasmait, en mai 2017, Laurent de Gourcuff.
Hélas, entre la perte sèche due à la fermeture du Red Light et la mauvaise presse liée aux accusations de conflits d’intérêt à la Mairie de Paris, les débuts d’Accor dans le monde de la nuit semblent moins festifs que ce à quoi le groupe aurait pu s’attendre.