Le big data envahit le monde. Si l'on s'en tient aux fournisseurs technologiques et prestataires de service, le marché du Big Data est évalué à plus de 2 milliards d'euros annuels en Europe et devrait avoir triplé à l'horizon 2018.
Mais si l'on s'intéresse plus largement aux entreprises data-driven, celles qui misent sur leur capital informationnel pour se différencier, tels les Google, Amazon, Twitter, Facebook, on atteint d'ores et déjà le chiffre pharaonique de 100 milliards annuels dans le monde. Certains secteurs comme les médias ou le tourisme, les transports ou les medias, ont déjà été directement bousculés par ce phénomène, et les autres en ressentent d'ores et déjà les secousses.
Big Data : optimiser l'existant
Dans un premier temps, le Big Data a été perçu comme un moyen d'optimiser l'existant : si l'âge de bronze de l'analytique reposait sur les techniques de business intelligence, l'âge de fer est désormais marqué sous le sceau des big data. En collectant des sources de données plus diverses et exogènes, le Big Data améliore la pertinence et la précision des analyses. En traitant ces grandes masses de données plus rapidement, il peut drastiquement améliorer certains processus, comme par exemple le pricing devenu dynamique et ajustable en permanence à la demande. Il permet aussi de démocratiser le prédictif, et donc de mieux planifier et anticiper l'avenir, en permettant de travailler sur des données réelles plutôt que des échantillons et de s'appuyer sur des technologies open source plus accessibles sur un plan économique.
Créer la connaissance, s'adapter en permanence à l'environnement, affiner les prévisions. Tout ceci est indispensable. Mais le potentiel du Big Data ne s'arrête pas là. Symbole de cette évolution, les systèmes de recommandation d'Amazon ou de Netflix, qui proposent en temps réel des conseils d'achat à leurs clients, ou encore les applications mobiles telles que Uber ou Waze concues pour proposer l'action la plus pertinente en fonction du contexte. Plutôt que de se situer en aval des processus opérationnels, afin de les améliorer, le big data se place désormais en amont de ceux-ci, pour les influencer ou les déclencher. Ces cas d'usages innovants débouchent même parfois sur de nouveaux produits ou services, ou permettent de faire évoluer le business model.
Vers l'"Industrial Internet"
C'est le domaine industriel, qu'on pensait pourtant en retrait de cette transformation numérique, qui semble donner désormais le la, par exemple dans le domaine de la maintenance préventive. Accenture, dans son récent "Industrial Internet Insights Report for 2015" décrit les promesses de ce nouveau monde - l'"Industrial Internet" - combinant les forces de l'analyse de données à grande échelle avec celles de l'Internet des objets. Les auteurs du rapport allant même jusqu'à préciser que "les données créées via des équipements industriels, tels que des turbines d'éoliennes, des moteurs d'avion et des systèmes d'imagerie par résonnance magnétiques (IRM), recèlent une valeur potentielle supérieure à d'autres types de big data associées au Web social, au e-commerce et d'autres sources".
L'enjeu économique lié à la maintenance est de taille. Il suffit de comparer le coût d'une panne et d'une indisponibilité, à l'investissement nécessaire pour anticiper et éviter cette panne. Le rapport d'Accenture cite par exemple les chiffres suivants issus d'une recherche de l'US Department of Energy : la maintenance prédictive permet de réduire de 12% le nombre de réparations planifiées, ce qui se traduit par une baisse de 30% des coûts de maintenance et l'élimination de 70% des pannes.
Dans le domaine des transports, de nombreuses applications ont déjà vu le jour. Par exemple, en régulant la vitesse d'un train pour lui éviter de faire un arrêt complet à un prochain feu, on peut éviter les à-coups lors des freinages pour préserver le matériel et économiser drastiquement les coûts liés à l'énergie. Boeing s'intéresse de son côté au Big Data pour aider les compagnies aériennes à limiter, voire éviter, les périodes pendant lequel les avions restent au sol, car c'est quand l'avion est à l'arrêt à l'aéroport ou dans un hangar pour maintenance qu'il coûte le plus cher. D'autres applications pourraient contribuer à éviter les accidents dramatiques. Le domaine de la santé est également en pointe avec de réelles avancées dans la prévention des maladies, calquées sur le modèle de la gestion des risques.
Le fonctionnement de ce type d'application est finalement assez simple : les capteurs détectent le comportement de l'équipement et l'application compare ce comportement avec la situation "normale" qui a été pré-décrite. Puis, l'application affine la segmentation des types de comportement grâce à des fonctions d'apprentissage. Au final, ces informations sont analysées pour anticiper le comportement à venir, en fonction de différentes variables. Lorsque les premiers signaux de défaillance sont répertoriés, une opération de maintenance préventive permet d'éviter la panne. Tout cela s'effectue en temps réel, car les capteurs permettent non seulement la collecte d'information, mais aussi le déclenchement d'action. C'est toute la différence entre réagir à un événement et se montrer proactif, avec tous les avantages que cela procure, notamment en termes financiers.
Les industriels comme General Electric ont bien compris le potentiel de cette évolution. Lorsque l'optimisation leur permettait d'éviter telle ou telle situation, l'anticipation les aide à faire évoluer leur business model. D'ailleurs GE ne vend plus de turbines, mais des heures de disponibilité dans une usine. La SNCF n'est plus la société des chemins de fer que nous connaissions, mais un "opérateur de mobilité" qui propose des alternatives aux parcours en train (covoiturage, cars, etc.). Tesla enfin, a fait le choix de ne pas déployer de réseau de concessions, mais plutôt d'investir dans la maintenance prédictive : le constructeur de véhicule électrique considère que ce n'est pas dans son intérêt de créer un business autour de la maintenance, mais qu'il est surtout essentiel que la voiture fonctionne bien !
Reposant historiquement sur des systèmes batch, les applications de big data, on l'a vu, sont de plus en plus employées dans l'opérationnel. Ceci implique bien entendu une évolution des pratiques analytiques de l'entreprise (dimension temps réel, mise à disposition de l'information sur le terrain), de son architecture technologique (base de données en mémoire, stream processing) et de son organisation (avec des aspects de gestion du changement extrêmement importants, comme la définition des cas d'usage, mais aussi des conséquences sur l'emploi comme l'évoque Nicholas Carr dans son dernier pamphlet). C'est l'occasion, une fois pour toute, de rapprocher l'informatique des métiers et de leurs problématiques quotidiennes, pour permettre à l'entreprise de créer encore plus de valeur.