Le lent dégonflement de la bulle obligataire repose sur des hypothèses irréalistes. Il est plus probable que les banques centrales réagissent brutalement en cas d’urgence.
Pour mener à bien leur plan de dégonflement de la bulle obligataire sur la longue durée, les grandes banques centrales ont besoin de cinq à 10 ans sans récession ni inflation. Jerome Powell s’est montré inflexible face aux turbulences financières qui ont ponctué le début de son mandat à la tête de la Fed. A l’écouter, tout ne peut que bien se passer. A l’époque où il n’était pas encore assis sur le siège du président, en 2012, il tenait cependant des propos moins rassurants :
« Nous donnons l’impression d’être en train de gonfler une bulle obligataire sur l’ensemble du spectre de crédit, ce qui entraînera de grosses pertes lorsque les taux se redresseront. Vous pouvez presque dire que c’est notre stratégie ».
Rien n’est éternel, et certainement pas la croissance, en particulier dans une économie en voie de soviétisation Certains commentateurs comme le Congress Budget Office promettent une croissance économique quasi-éternelle. Le graphique ci-dessous rappelle assez que si l’on cumule le bilan de l’ensemble des banques centrales, on arrive à un stock d’actifs qui se monte à 20 000 Mds $, soit quasiment 45% du PIB mondial. Et il se trouve encore des plaisantins pour tergiverser sur l’origine des bulles financières…
Notez que l’empilage d’actifs par les banques centrales se fait à un rythme de plus en plus effréné. La normalisation risque de durer un sacré moment ! Par ailleurs, les six plus grandes banques centrales détiennent à elles seules plus de 40% du PIB mondial. « Cela représente « plus du double des 17% qu’elles détenaient avant la crise financière il y a moins d’une décennie », note le site Zero Hedge.
Dès lors, comment croire à une « reprise mondiale coordonnée » que les banques centrales abandonneraient à elle-même ? Comment réellement quitter la partie sans déclencher une récession ? Enfin, ce graphique pose la question plus profonde de la nature du système dans lequel nous vivons. Avec des banques centrales qui détiennent près de la moitié du PIB mondial, « sommes-nous toujours dans une économie de marché ou bien dans un autre système économique : un système où l’économie et les marchés sont dirigés par de magiciens non-élus prétendument indépendants ? »
Même Lloyd Blankfein, le CEO de Goldman Sachs qui pourrait être sur le départ d’ici la fin de l’année, s’est ému lors d’une interview sur CNBC du fait que « lorsque les banques centrales du monde entier achètent tous les actifs risqués, cela ruine la volatilité et les opportunités de performance, ce n’est pas une situation normale ».
Vous noterez au passage que les personnalités pas encore sous les feux de la rampe ou sur le départ se livrent à des déclarations sans langue de bois. Il faut dire que Blankfein cherchait à justifier la sous-performance de la gestion de ses équipes par rapport aux marchés actions US depuis le plus bas sur le S&P 500 à 666 points le 9 mars 2009.
La vraie stratégie des banques centrales : rigueur et laxisme dans un esprit de collusion
Voici encore un autre graphique illustrant les bilans des banques centrales. Je vous ai gardé celui-ci pour la fin :
Cette illustration me semble être la plus éloquente au sens où elle témoigne de la collusion entre les grandes banques centrales.
« Lorsqu’une banque centrale (la Fed) réduit le QE, une autre accélère, maintenant ainsi le taux d’intérêt moyen des pays développés à zéro pourcent et l’augmentation continue de la vague d’achats d’actifs », comme le remarque la journaliste Nomi Prins.
Pour Zero Hedge :
« C’est la raison qui explique pourquoi les grands banquiers centraux se retrouvent tous les deux mois dans la tour de la BRI [Banque des règlements internationaux] de Bâle pour coordonner la politique monétaire mondiale dans la plus grande confidentialité ».
L’idée est donc de se refiler la patate chaude en espérant que la douce musique de la croissance non-inflationniste (selon l’économie « Boucles d’or ») durera suffisamment pour que les bulles obligataires puissent dégonfler en douceur, tout en croisant les doigts pour ne pas être celui qui se retrouvera debout si la musique doit s’arrêter plus tôt que prévu. La dernière hypothèse étant bien sûr probable.
Qu’est-ce qui pourrait mettre à mal le plan des banques centrales ?
Ce qui revient à se demander, comme l’a fait Natixis le 28 mars :
Prenons quelques instants avec l’équipe de recherche de Patrick Artus pour nous demander ce qui pourrait faire trembler la tour de la BRI. Voici ce qu’en dit Natixis :
« Les banques centrales pourraient devenir « brutales » :
– avec la nécessité de régénérer des marges de manoeuvre pour passer en cas de besoin à une politiques monétaire contracyclique ; avec un taux de chômage très faible aux Etats-Unis et des difficultés d’embauche des entreprises très importantes dans la Zone euro, la probabilité qu’un ralentissement cyclique survienne est forte et il faudrait que les taux d’intérêt des banques centrales soient assez élevés lorsqu’il se produira : il faut alors que les banques centrales rattrapent le temps perdu ;
– les banques centrales, alors que la croissance est revenue peuvent maintenant s’inquiéter à nouveau du risque d’inflation, du risque que les salaires accélèrent, du risque d’instabilité financière avec la hausse des cours boursiers et des prix de l’immobilier, avec l’écrasement des primes de risque, d’où le possible choix de normaliser rapidement les politiques monétaires« .
Bref, les raisons ne manquent pas. Pourtant, « la brutalité des banques centrales n’est pas anticipée par les marchés financiers ». Si un tel scénario prenait forme, autant dire que Jerome Powell aurait vite fait de se souvenir de ses réflexions de 2012 !
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