Chère Najat,
Normalement je tutoie tout le monde quand je suis sur mon blog, car il y a un je-ne-sais-quoi qui nous rapproche malgré le fait que nous soyons derrière nos écrans. Mais là, ça ne va pas être possible. Je me sens particulièrement éloignée de vous, de votre envie de changer le monde des femmes.
Vous nous trouvez ringardes, nous qui sommes chez nous, à nous occuper de nos enfants. Vous êtes pourtant venue le 4 décembre à l'Espace Richelieu pour le Spot Efluent... une grande partie des femmes que vous avez rencontrées, sans compter les pères (!!!), sont au foyer... chez elles. Pour s'occuper de leurs enfants. Vous nous avez trouvées si ringardes que ça ? est-ce que nos sommes hors-sujet ? vous lisez nos blogs, c'est ce que vous avez dit, vous trouvez que nous sommes hors du temps ? Nous ne faisons pas avancer les choses ?
Dans notre société on discrédite beaucoup les parents en leur disant que "les enfants n'ont pas de repères"... contrairement aux générations précédentes. IL EST VRAI qu'à mon époque, quand nous étions petits, nous n'avions pas la même façon de voir les choses, de respecter l'aîné, voire la hiérarchie. Les enfants et les jeunes de maintenant grandissent plus vite, la vie numérique y est pour beaucoup. A l'époque de nos parents, quand eux étaient enfants, ils n'osaient certainement pas le quart de ce que nos propres enfants osent maintenant.
Pourquoi tout s'est dégradé en 3 générations ? l'arrivée du numérique, l'augmentation du nombre de femmes dans le monde du travail, le changement du modèle familial (mamans solos, divorces, familles recomposées, famille homo-parentales)...
En 1969, Pierre Daninos a écrit "le pouvoir aux enfants". J'ai ce livre depuis peu. Ma Grand-Mère maternelle est décédée cette année et j'ai récupéré une partie des livres, dont celui-ci. Je vous conseille de le lire, je peux même vous l'envoyer si vous me promettez de me le rendre. Je l'ai lu et deux choses m'ont frappées. Les enfants de l'époque ne considéraient pas le fait d'avoir beaucoup d'argent comme nécessaire. Ils voulaient juste en avoir suffisamment pour vivre. La seconde chose, ils considéraient le rôle des femmes comme important dans l'éducation des enfants, et ils fallait que les parents soient strictes.
Maintenant avec cette réforme, vous voulez quoi exactement... dévaloriser ces femmes ringardes qui veulent élever leurs enfants ? Confier ses enfants à d'autres personnes ? seront-elles mieux que nous ?
Financièrement vous pensez que ça va se passer comment ? prenons mon propre exemple, puisque c'est celui que je connais le mieux. Nous avons 4 enfants. 4 filles plus précisément. Elles ont en moyenne 2 ans d'écart.
Après ma première grossesse, j'ai repris le travail et la moitié de mon salaire passait dans la garde de ma fille, mais on pouvait en déduire une partie. Je la posais le matin à 7h45 chez une nounou et je la récupérai le soir entre 18 et 18h30... elle s'endormait dans la voiture et je la couchais à peine son dîné terminé (wouhou vie de famille).
Après ma seconde grossesse s'est posé la question de reprendre (ou pas) le travail. Financièrement, avec mon salaire de 1200€ nets mensuel, j'y gagnais moins de 100€ en retournant travailler (mazette).
Par contre voici ce que je gagnais : du stress, des journées de dingue, de l'usure sur la voiture (et oui, vous pensez juste à remettre des gens au boulot, mais ya beaucoup derrière tout ça). Je ne perdais pas d'argent, mais voici ce que je perdais : des années précieuses avec mes filles, du temps pour m'occuper sereinement de leur éducation (ce sont elles qui sont notre avenir). J'ai donc décidé de prendre un congé parental d'éducation. Nous avons eu ensuite deux autres enfants, mais ne vous méprenez pas, nous ne les avons pas "faits" pour profiter des allocations familiales. Non, nous les avons eu parce que nous imaginons notre vie entourée d'enfants, ces êtres en devenir. Ils ne sont pas notre propriété, ce sont des êtres à part entière que nous avons pour devoir d'élever, d'accompagner au mieux jusqu'à en faire des adultes responsables. C'est notre devoir. D'ailleurs, si nous avons quelques faiblesses en la matière, il se peut que ces enfants nous soient enlevés.
Maintenant imaginons que je sois obligée de reprendre le travail à la fin de mon congé parental. Cela fera 7 ans qu'une personne est à mon poste. La publicité a évolué (je bossais dans une agence de pub), les programmes ont évolué, les clients ne sont plus les mêmes. Pas grave je m'adapte !
Imaginons je trouve un autre emploi. Je n'aurai pas le droit de travailler moins de 24 heures par semaine (merci la nouvelle loi).
Les filles devront certainement manger tous les jours à la cantine puisque je ne pourrais certainement pas trouver un emploi me permettant de les avoir le midi (le temps sera compté). BIM ! D'ici là le menu sera peut-être à 5€ par personne. X4... sur 4 jours. Ah non pardon, 4 jours 1/2 ! (merci la réforme des rythmes scolaires).
Le péri-scolaire est payant aussi.
Les filles ont en moyenne 18 semaines de congé pendant l'année... un salarié lambda en a 5. Il reste donc 13 semaines à payer. Disons 10 si on arrive à les caser une fois de temps en temps chez les grands-parents, et si on prend chacun une semaine sans l'autre. Bref, ça nous enlève du temps de vacances en famille. (youpi fête du slip)
A quel moment considérez-vous que rester à la maison est un luxe. C'est une vraie question ? Si vous considérez que reprendre un emploi réduit notre temps en famille et nous coûte en fait de l'argent en temps de garde, cantine, péri-scolaire ? A quel moment est-ce un luxe de se dire, je ne travaille pas, je m'occupe de ma famille, je serre la ceinture de tout le monde, mais je suis là... oui, Madame, ce mode de vie peut aussi être un choix réfléchi.
Et parlons des enfants malades. Cette année jusqu'ici tout va bien, si on évite de parler de l'épisode de gastro entérite que les filles se sont refilée sur 3 jours. Dans quelle entreprise peut-on bénéficier de jours d'enfants malades ? pas dans toutes. Et quand bien même, cette année 2 de mes filles ont subi une opération des oreilles (1 jour à chaque fois) sans compter les rdv avec les médecins et les anesthésistes, les visites après (tous les 2 mois). L'année dernière, elles ont enchainé la grippe, chacune à leur tour, sur 15 jours. Ne me dites pas que mon mari aurait pu prendre le relai, il est resté allité pendant plus d'une semaine pour la même raison (pas d'bol, pas d'bol).
Imaginons que je reprenne un emploi malgré tout. Avez-vous idée de mes journées ? avec 4 filles, le linge et la nourriture ET LE TEMPS QUE JE PASSE AVEC ELLES, ne serait-ce que ça. A quel moment faudra-t-il que je m'en charge ? me faudra-t-il me lever à 5 heures du matin pour avoir le temps de boucler "les corvées" ? ou alors les faire le soir ? je suis désolée, mais j'ai besoin d'un minimum de repos, et j'ai également besoin de me retrouver avec mon époux le soir, une fois que les filles sont endormies. Et qu'elles ont été couchées non pas en plein stress "dépêchez-vous maman doit faire le repassage", mais que nous aurons pris le temps de lire l'histoire. C'est cela que vous voulez aussi nous enlever ? l'argent ET la vie de famille ?
Je me me permets de vous mettre mon Curiculum Vitae, que vous vous rendiez compte par vous-même si ce que je fais est un luxe (je ne le pense pas ceci dit), un sacerdoce, ou autre (je vous laisse le choix). Sachez juste que pour le moment c'est MON CHOIX, que je ne le vis pas mal, mais que je ne vis pas mieux qu'un couple sans enfant, celui-là même que vous voudriez privilégier.
Je commence cette année 2014 en étant profondément blessée et triste de votre manière de considérer la femme. Vous ne parlez que de féminisme. Mais je trouve que le féminisme comme vous le pensez est une forme d'intégrisme. Je n'ai jamais demandé à être l'égal de l'homme. Je n'ai pas sa force physique, je porte les enfants et je les élève. Je ne demande pas à avoir un salaire de maman. Mais je demande à ne pas être taxée, je ne veux pas que sous prétexte de vouloir remettre des gens au travail juste pour faire des chiffres, vous m'empèchiez de faire ce que je considère comme mon métier à l'heure actuelle : celui de maman. Je donne des repères à mes filles.
Je ne considère pas mon rôle "par défaut", je ne me sens ni rétrograde, ni hors du temps, ni "à la ramasse".
Et puis soyons sérieux juste 2 petites minutes... vous allez les trouver où ces emplois ? (rire sarcastique) dois-je vous rappeler combien de chômeurs compte la France ?
Article écrit par Catongg initialement publié sur son blog et reproduit ici avec l'aimable autorisation de l'auteure. Catongg participe également au blog participatif sur la question : https://www.parents-au-foyer.com
La pétition contre cette réforme sur change.org : https://www.change.org/fr/p%C3%A9titions/najat-vallaud-belkacem-ministre-des-droits-des-femmes-mere-au-foyer-est-un-metier