Trois grandes questions qui préoccupent les économistes

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Par Guillaume Chevillon Modifié le 8 octobre 2014 à 8h30

Le Bureau national pour la recherche en économie (NBER) est une association américaine à but non lucratif qui participe au financement de la recherche en Sciences Economiques. On pourrait même dire que le NBER est pour l'étude de l'économie ce que la NASA est pour l'exploration de l'espace – pour les économistes, c'est une organisation de première importance, alors quand le NBER organise leur institut de recherche annuel à Boston, il est évident que les tous les économistes de grand renom y sont.

Leur institut d'été se déroule sur une période de trois semaines à Boston, et pendant ce temps, les participants (moi-même y compris) présentent leurs dernières recherches, s'engagent dans une série d'ateliers et échangent avec leurs pairs.

Cet été, de nombreuses questions ont été l'objet de discussions - des sujets plus généraux à ceux spécifiques à la méthodologie. Cependant, trois grandes questions semblent capter l'imagination du groupe. Sans surprise, ce sont aussi des problèmes avec une forte résonance dans le débat public.

1. Nos politiques de stimulus à court terme et de stabilisation à long terme sont elles efficaces ?

Le sujet le plus important aujourd'hui concerne l'efficacité des politiques budgétaires et monétaires pratiquées aux Etats-Unis et en Europe depuis le début de la crise. Les autorités ont-elles pris les bonnes décisions ?

La mesure de cette « efficacité » est frustrante. Pour une part parce qu'elle ne peut être mesurée qu'a posteriori, quand les dés ont été jetés. Aussi parce que les autorités ont fait preuve d'innovation ces dernières années : comme ces mesures n'avaient jamais été utilisées leur impact n'est pas certain, les chercheurs ne sont pas sûr des effets à long terme.

Pourtant, cette question est plus importante que jamais. Nous devons comprendre pourquoi les économies américaine et de la zone euro divergent : la première connaît une forte baisse du chômage tandis que la seconde persiste dans la stagnation.

Le consensus semble établi parmi les chercheurs présents pour confirmer que la politique monétaire non conventionnelle -- le « quantitative easing », QE, ou injection de liquidités -- pratiquée aux Etats-Unis et au Royaume-Uni a porté ses fruits et n'a pas eu de conséquences néfastes. Mais est-il encore trop tôt pour juger ?

Dans une certaine mesure, ce stimulus a permis de soutenir les secteurs en difficulté qui auraient sinon été affectés par des taux d'intérêts encore trop élevés bien que proche de zéro (il est malheureusement difficile de fixer des taux négatifs !). Pourtant la politique monétaire non conventionnelle de la Réserve Fédérale a permis de réduire le taux de chômage. Mais elle a aussi entraîné des prises de risques un peu trop importantes dans certains secteurs. Certains s'inquiètent de ce que des bulles immobilières et financières recommencent à poser problème.

Des auteurs ont également montré que les règles monétaires conventionnelles (dérivées de la fameuse règle de Taylor) permettent de stabiliser la suractivité économique, même à la suite de Quantitative Easing. Le rôle d'une épargne des ménages abondante a toutefois été questionné car elle présente des effets contradictoires. A plus long terme, plusieurs économistes ont montré que le stimulus monétaire peut avoir des effets pernicieux. En particulier, il peut générer des fluctuations économiques trop importantes (une croissance trop rapide suivie d'un krach). Sommes-nous en train de nous préparer des lendemains qui déchantent ?

Le Vice-Gouverneur de la Réserve Fédérale, Stanley Fisher, a décrit à travers son expérience passée de Gouverneur de la Banque Centrale d'Israël le nouveau type de mesures atypiques que les autorités peuvent être amenées à prendre pour dynamiser l'économie, par exemple pour faciliter l'accès des jeunes à la propriété. Un article de Tao Wu du Fonds Monétaire International démontre également les bénéfices pour l'économie d'un accroissement de la l'explication, de la transparence et de la prévisibilité des décisions des banquiers centraux (communément appelé « Forward Guidance »).

L'article que j'ai présenté propose une méthode pour détecter et prévoir les bulles et retournements. Avec mes coauteurs, nous proposons une technique qui permet d'anticiper les chutes bien en avance. De fait, nous montrons qu'il était possible de prédire le retournement du marché immobilier américain dès mars 2006, un an avant les autres méthodes !

2. Comment expliquer l'asymétrie de l'économie ?

Cette année, nombre de chercheurs ont proposé des modèles pour détecter et comprendre les phénomènes d'asymétrie : pourquoi les lois économiques diffèrent-elles dans les expansions ou récessions. D'un point de vue statistique, les nouveaux modèles tâchent de distinguer l'effet des chocs spécifiquement positifs ou négatifs, de la variation de la confiance (ou du scepticisme) des entreprises et ménages. Certains économistes ont également tâché de quantifier le rôle joué par l'incertitude économique.

En fait, la crise de 2008 et ses conséquences ont été si forte qu'elle offre un point de vue parfait pour l'analyse des comportements des entreprises diffère entre les périodes de récession et d'expansion. En d'autres termes, nous avons mieux compris à quel point la récession empêche l'économie de réagir aux « bonnes nouvelles » et réduit ainsi leur impact. Il est essentiel de bien comprendre combien les lois économiques dépendent de la situation économique : c'est une des raisons du retour sur le devant de la scène des fameux multiplicateurs fiscaux (dits « Keynésiens »). Aujourd'hui, les économistes du FMI ont montré que la consolidation fiscale, bien que bénéfique en période d'expansion, peut détruire davantage de richesse pendant les récessions qu'elle ne prétend économiser.

3. Comment les récessions commencent ... et se terminent ?

L'origine et la cause des récessions ont également fait l'objet de débats. Frank Portier de l'Ecole d'Economie de Toulouse et ses coauteurs se sont attelés à réconcilier deux arguments -- l'un attestant d'un surinvestissement des firmes (à la Hayek) ou d'une demande insuffisante des ménages insuffisant (à la Keynes). D'autres ont montré comment les firmes multinationales amplifient les effets de contagion d'un pays à l'autre.

Mais la question principale est : comment sortir de la récession ? G. Eggertsson et N. Mehrotra de l'université Brown ont montré qu'on ne peut sortir d'une stagnation de longue durée (telle que le Japon connaît depuis une vingtaine d'années ou que la zone euro pourrait subir) par une baisse des taux d'intérêt ou une augmentation temporaire des dépenses publiques. Ils montrent en revanche qu'une augmentation légère de l'inflation ou une dépense publique maintenue sont efficaces. Une des analyses surprenantes de ces auteurs tient aussi en ce qu'ils montrent qu'une réduction de l'inégalité des revenus entre les ménages constitue également un des outils à promouvoir pour sortir de la récession. Cet article sera sans doute critiqué et le débat n'est pas clos sur le sujet, mais il fournit des arguments nouveaux à méditer.

Enfin Emannuel Farhi d'Harvard et Jean Tirole de l'Ecole d'Economie de Toulouse, ainsi qu'Olivier Blanchard du Fonds Monétaire International et ses coauteurs se sont intéressés à la sortie de la récession en zone euro. Farhi et Tirole ont montré qu'il ne faut pas dissocier les problèmes de solvabilité du secteur bancaire et des états souverains mais qu'il faut les résoudre en même temps. Blanchard, Erceg et Lindé ont quant à eux montré les bénéfices qu'apporterait une augmentation de la dépense publique dans les états au cœur de la zone euro. Les effets positifs d'un tel stimulus sur les économies « périphériques » permettraient aux économies « centrales » de réduire leur excédent de compte courant et de voir leur inflation augmenter légèrement. Malheureusement, les capacités productives sont plus contraintes au centre qu'à la périphérie et c'est sur le centre que reposerait le coût initial d'une telle politique. Par conséquent les gains en termes d'activité économique à court terme dans les états centraux n'apparaissent pas suffisants pour les convaincre d'initier ce stimulus.

Bien d'autres sujets ont été débattus au cours de l'Institut d'été et ne sont pas clos. Il est toutefois réassurant de voir que les économistes travaillent tous ensemble pour comprendre la récession actuelle. Puisse l'avenir nous montrer que nous apprenons effectivement de nos erreurs passées.

Source : ESSEC Knowledge, le portail en ligne de l'ESSEC dédié à la recherche, à l'expertise et au leadership académique de son corps professoral

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Guillaume Chevillon est professeur d'économétrie et de statistique à l'ESSEC. Ses intérêts de recherche portent sur la dynamique (c'est à dire le lien entre passé, présent et futur) en macroéconomie et en finance. Il a publié dans le Journal of Monetary Economics, the International Journal of Forecasting et Energy Economics. Il a été chercheur ou professeur invité dans les départements d'économie de Brown, Oxford, New York University et à la Réserve Fédérale de New York. Il est titulaire d'un diplôme d'Ingénieur des Mines et d'un doctorat en économie de l'Université d'Oxford.

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