L'obligation d'audits énergétiques dans l'industrie va-t-elle à l'encontre des objectifs de la politique environnementale et énergétique du gouvernement ?
Suite à la Loi du 16 juillet 2013 (DDADUE n°2013-619) puis le Décret du 4 décembre 2013 (n°2013-1121) transposent une directive européenne stipulant que « les grandes entreprises (plus de 250 salariés ou chiffre d'affaires annuel de plus de 50 millions d'euros ou total de bilan supérieur à 43 millions d'euros) devront réaliser un audit de leurs usages énergétiques » avant le 5 décembre 2015. Ces audits devront être renouvelés tous les 4 ans.
Le gouvernement veut ainsi obliger les grandes entreprises industrielles à prendre conscience de leurs potentiels d'optimisation énergétique en identifiant les leviers d'amélioration de leurs installations. Mais dans la pratique, cette nouvelle contrainte sur les industriels va-t-elle se traduire par une information de qualité et enclenchera-t-elle des optimisations consécutives ?
Le cas du DPE
Penchons-nous sur l'expérience du DPE – Diagnostic de Performance Energétique - obligatoire depuis 2006 pour les ventes de logement et depuis 2007 pour les locations. Il visait à informer le propriétaire d'un bâtiment de sa consommation d'énergie pour l'inciter à agir.
Dans la pratique, 5 ans après la création de l'obligation, en 2011, UFC – Que Choisir continuait de s'élever contre l'inefficacité des DPE. Selon l'enquête UFC les techniques n'étaient toujours pas harmonisées et les écarts entre diagnostics pour un bien immobilier donné étaient très significatifs. Mais est-ce que les propriétaires bâtiments audités ont pour autant mené des actions de réduction de leur consommation d'énergie? Il semble qu'une fois au courant de leur consommation, très peu de propriétaires engagent des actions. L'étude statistique menée par EX'IM sur la base de plus de 150000 DPE en 2011 montre que seulement 13% des bâtiments français ont une note supérieure à D (soit A, B ou C).
L'obligation du DPE a entrainé une guerre des prix entre les acteurs proposant ce service pour capter le volume de ce nouveau marché. Pour être rentables, les cabinets d'études ont standardisé leurs recommandations et sacrifié la qualité.
Ainsi, une fois le diagnostic rendu, même pour un bâtiment classé F ou G, le propriétaire se sent peu concerné par des préconisations faiblement personnalisées et considère souvent que l'obtention du DPE est une fin en soi.
Un « mauvais audit » peut freiner l'action au lieu de l'enclencher
Analyser la consommation d'énergie d'une usine va bien au-delà des recommandations classiques sur l'éclairage, l'isolation et le chauffage/climatisation d'un bâtiment. Si l'apparition d'un nouveau marché de l'audit énergétique obligatoire dans l'industrie entraine, comme avec le DPE dans le bâtiment, une course à la baisse des coûts des audits pour capter les volumes, nous courrons un grand risque de livrer aux industriels des conclusions inapplicables par manque de profondeur de l'analyse.
Un audit énergétique n'a d'effet sur la consommation énergétique que s'il est suivi d'une série d'actions concrètes d'optimisation. Si les préconisations d'un audit trop superficiel lui paraissent peu fiables, un industriel ne se mobilisera pour mettre en œuvre les résultats d'un audit qu'il a fait sous contrainte. Si un audit trop rapide se limite à quelques recommandations standards mais peu motivantes (temps de retour sur investissement trop long, gains trop faibles...), un industriel pourra conclure qu'il n'a y plus rien à optimiser dans l'énergie de son usine.
Quel est l'alternative ?
Pourquoi rajouter aux entreprises encore une nouvelle contrainte réglementaire dont nous avons vu ci-dessus que les effets bénéfiques ne sont pas assurés ?
Pourquoi ne pas concentrer les efforts publics sur le soutien à ceux qui ont pris la décision d'avancer sur un programme de performance énergétique ? En favorisant par exemple la formation des équipes ou le financement des investissements (deux des obstacles majeurs au progrès continue de l'efficacité énergétique dans l'industrie) ?
L'énergie est devenue un enjeu de compétitivité pour tous nos industriels. L'Europe et le gouvernement ne devraient-ils pas privilégier le soutien à ceux qui progressent au lieu de rajouter une nouvelle contrainte aux effets incertains?