La situation en Ukraine n’a pas l’air de s’améliorer. Les médias ne manquent pas de rendre compte des 50 000 personnes qui ont occupé le centre de Kiev dimanche à la suite du passage à tabac par la police du manifestant Iouri Loutsenko vendredi 10 janvier 2013. Mais ils n’accordent aucune intention aux manigances juridico-financières qui se jouent en même temps dans les coulisses d’un pouvoir avide de se maintenir en place, coûte que coûte. Pourtant, elles ne sont pas sans conséquence pour l’avenir économique du pays.
La détérioration politique du pays est rendue évidente par les vagues de protestations qui soulèvent le pays depuis que le président Ianoukovitch a renoncé à signer l’accord d’association. L’affaiblissement économique, moins évident, est lui aussi à prévoir. En effet, les manœuvres opérées par la majorité parlementaire pour conserver les rênes du pouvoir se font au profit d’une minorité de députés et dans le mépris absolu de l’avenir du pays. En témoigne l’affaire UkrSibbank et les démêlées judiciaires qui lui sont associées.
A l’origine, il s’agit d’une obligation de dette contractée en 2007 par le Groupe ukrainien AIS à l’égard de son créancier, la S.A française « UkrSibbank », filiale du groupe financier international BNP Paribas. Montant du prêt : 110 millions de dollars. En 2009, quand les premiers remboursements doivent survenir, AIS se défile, évacuant les actifs par le biais d’une série de procédés illégaux (faillite artificielle des entreprises débitrices, évacuation des actifs par l’intermédiaire des sociétés offshore et fictives, vol des biens immobiliers avec des documents falsifiés, etc.) En 2013, toujours rien. L’affaire est donc jugée devant les tribunaux.
Des violations de procédure en série
Les premières décisions de justice donnent raison à UkrSibbank. Mais les propriétaires d’AIS, les députés du Parti des Régions Dmytro Svyatash et Vasyl Polyakov, ont fait jouer leurs affinités gouvernementales pour influer sur les procédures judiciaires. À force de corruption, ils sont parvenus à invalider les contrats de garantie relatifs au remboursement des obligations de crédits. C’est d’abord le Tribunal de l’arrondissement Pecherskyj qui soutient les intérêts des deux fondateurs, puis la décision est confirmée par la Cour d’appel de Kiev. Le montant en jeu s’élève à plus de 75 000 000 dollars.
Les violations de la procédure sont nombreuses, l’avocat d’UkrSibbank, Roman Strotsenko n’a pas manqué de le souligner. La Cour d’appel a par exemple examiné l’affaire sans prendre la peine de consulter les employés de la banque, les seuls à détenir les informations relatives au secret bancaire qui sont nécessaires à la résolution impartiale de l’affaire. En outre, fait plus flagrant du laxisme judiciaire ukrainien, Svyatash et Polyako n’ont pas comparu personnellement. Ils affirment méconnaître les clauses des accords de prêts qu’ils ont pourtant conclus directement avec UkrSibbank. Voilà qui aurait nécessité un témoignage de vive voix. Mais la Cour s’est contentée des informations délivrées par leurs représentants.
Monsieur Strotsenko s’est avisé de mentionner auprès du collège des juges les irrégularités flagrantes ayant ponctué les différentes étapes du procès. Elles n’auraient pas été possibles sans la complicité a priori des juges qui se sont successivement penchés sur l’affaire. C’est pourquoi l’avocat a demandé leur récusation. Mais il semblerait que le système soit gangrené jusque dans ces ultimes instances, car cette requête, elle aussi, n’a pas retenu l’attention du collège.
L’Ukraine : un terrain glissant pour les investisseurs
Comment une telle aberration judiciaire est-elle possible ? Il faut en chercher les causes dans les plus hautes sphères du pouvoir. Les pressions politiques sont fortes au sein du principal parti de la coalition. Le Parti des Régions connaît des dissensions internes et les menaces de schismes sont réelles. Tous les moyens sont bons pour inciter les membres à demeurer au sein du parti et préserver une unité précaire, y compris la manipulation des tribunaux. En échange de ce favoritisme, et pour qu’il se prolonge, les deux députés ont clamé haut et fort que la politique menée par la majorité était irréprochable, crachant au passage sur la membre de l’opposition Ioulia Timochenko sur une chaîne publique.
Cette façon qu’a le pouvoir de maintenir sa stabilité à n’importe quel prix ne présage rien de bon pour le pays. Il se ferme aujourd’hui l’accès à des ressources précieuses pour le développement économique futur et paiera très cher le mépris du droit des investisseurs étrangers. Qui aura encore suffisamment confiance dans la probité des entrepreneurs ukrainiens quand l’affaire sera parvenue aux oreilles d’acteurs désireux de faire fructifier leurs fonds ? Avec quelles ressources le pays compte booster sa croissance ?
D’autant que les autorités ukrainiennes ne semblent aucunement avoir l’intention de changer quoi que ce soit à leurs projets. Elles ont superbement ignoré la demande émise par l’ambassadeur français Alain Rémy de faire en sorte que la filiale d’UkrsSibbank obtienne réparation et d’assurer la protection des droits d’investisseurs français. L’Ukraine compte de bien mauvais jours devant elle.