Si José-Manuel Barroso a suscité tellement de commentaires après avoir traité la gouvernance française de réactionnaire, c'est bien parce qu'il a visé juste. Il a touché là où ça fait mal. « Et celui qui dit la vérité...doit être exécuté », on connaît la chanson de Guy Beart.
Bien sûr, ça n'est peut-être pas le rôle d'un super haut fonctionnaire européen que d'émettre un avis aussi politique sur un des chefs d'État. Mais il faut dire que Barroso est excédé comme la plupart des Européens. Excédé par les attaques permanentes contre la prétendue omniprésence de la commission. Excédé par les reproches et les procès faits par la France à Bruxelles et aux Allemands. La commission n'est rien d'autre que le bras d'exécution du conseil des ministres. Elle ne fait rien qui n'ait pas été commandé par les pouvoirs politiques. Quant aux Allemands, ils ont fait les efforts que chaque européen aurait du faire pour que la maison soit tenue.
José-Manuel Barroso n'a rien fait d'autre que de dire tout haut ce que les dirigeants européens affirment tous les jours. Oui, le gouvernement français est réactionnaire, oui la politique française est archaïque. Elle conduit au déclin et tire l'ensemble européen vers le bas.
Si on se réfère au dictionnaire, un gouvernement réactionnaire est un gouvernement qui prône et défend le retour à une situation passée, réelle ou fictive sous le prétexte que le changement serait pire. Un gouvernement réactionnaire révoque ou refuse tous changements sociaux, moraux et économiques. Ce terme s'oppose à progressiste, révolutionnaire.
Les cadres du PS ont beau jeu d'insister sur la grande réforme du mariage pour tous. Sans doute est-ce aujourd'hui considéré par la gauche comme un grand progrès ! Sauf que la gauche défend-là une des institutions –le mariage –parmi les plus bourgeoises et les plus conformistes, alors que cette même gauche s'est battue jadis pour l'union libre. En 1968, le mariage était ringard de chez ringard. Autrement dit, réactionnaire et archaïque. Aujourd'hui, on a voulu nous faire croire que c'était progressiste, moderne, tendance mais passons.
Là où Barroso a raison, c'est dans le domaine économique et social où la gouvernance française est particulièrement réactionnaire. C'est à dire repliée sur elle-même dans le déni de la réalité.
Rien de ce qui a été fait ou annoncé ces derniers jours ne s'inscrit dans la modernité... Sur la mondialisation, par exemple, le discours officiel français est irresponsable. La mondialisation est un fait, on devrait tout faire pour en assumer les contraintes afin d'en toucher les dividendes. C'est par la mondialisation que l'on retrouvera de la croissance, donc de la vitalité, des emplois. Faute de créer un écosystème favorable à l'activité et aux échanges, on se coupe en permanence des marchés étrangers.
Quand un ministre de l'Industrie interdit la vente de Dailymotion à l'américain Yahoo, il met Orange en difficulté. Il décourage les investisseurs étrangers à venir en France. Quand la France fait le bras de fer avec la Chine en bloquant les importations de plaques solaires en Europe, elle prend le risque de représailles qui feront beaucoup plus mal mais surtout elle se trompe de cible. Le problème n'est pas avec la Chine. Cette affaire souligne que le problème est en Europe. Le clash s'est produit parce que la France et l'Allemagne ont été incapables de négocier une position commune. Quand la France disait non, l'Allemagne disait oui. Quelle cacophonie !
Pour des Chinois et des Américains, la France, l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne comptent peu. Ce qui compte pour les Chinois ou les Américains, c'est l'appartenance à un ensemble européen. Cet ensemble européen n'existe pas assez. Plus grave, la France n'arrête pas de considérer l'Allemagne comme étant responsable de la crise. Ce qui est évidemment complètement faux. La France fissure du coup la solidarité européenne.
Ne nous y trompons pas. Derrière ce type de tergiversations, il y a l'idée caressée par les courants populistes français à droite comme à gauche que le souverainisme, la fin de l'Euro, le retour du protectionnisme offriraient des alternatives crédibles. Si ca n'est pas de l'archaïsme qu'un tel retour en arrière, il faudra entreprendre une réforme du dictionnaire ! Nous avons besoin de la mondialisation. Nous avons besoin de l'assumer et pour l'assumer nous avons besoin de coopérations internationales donc d'abandonner certains aspects de la souveraineté nationale à une sorte de « copropriété organisée. »
La seule protection possible aux effets de la mondialisation c'est la compétitivité (les Allemands ont parfaitement compris cela) et la coopération capable de définir des règles de fonctionnement.
Il n'y a pas d'autres solutions. La responsabilité d'un gouvernement serait d'expliquer cela à son opinion publique plutôt que de la caresser en permanence dans le sens du poil en lui faisant croire que si tout va mal c'est de la faute des autres.
Le président de la République nous a donnés lors de sa dernière prestation télévisée un magnifique exemple d'archaïsme ou de réaction. François Hollande a annoncé aux Français ce qui allait se passer dans un conseil d'administration qui se déroulait le lendemain. « Stéphane Richard restera en fonction tant que ... ». Affirmation incroyable qui tend à montrer que le Président peut encore tout décider dans une société publique au sens américain du terme. C'est-à-dire cotée en bourse et dans laquelle l'État n'a que trois administrateurs sur les 15.
François Hollande nous aurait dit qu'il allait donner mandat aux administrateurs représentant l'État de voter la confiance à Stéphane Richard, ce qui ne préjugeait en rien de la décision des autres administrateurs, il aurait été pleinement dans son devoir. Mais en affirmant qu'il tenait les ficelles, il accréditait l'idée que l'État français a encore tous les pouvoirs pour décider dans une grande entreprise française, ce qui est du plus mauvais effet. Pourquoi voulez vous qu'on débarque en France si on court le risque de se faire débarquer soi même par l'administration ou par l'oukase d'un responsable politique ? Si on veut que les entreprises se développent, elles doivent être indépendantes, transparentes et soutenues ou encouragées dans la compétition internationale.
Autre forme d'archaïsme ou de réaction, l'interdiction faite d'expérimenter la recherche et le forage de gaz de schiste. La France a peut-être des réserves colossales en énergie naturelle et surtout 30% moins chère que le nucléaire ou le pétrole mais la France s'interdit d'explorer cette voie-là. Les Américains qui n'ont pas ce genre de blocage ont découvert dans les gaz de schiste le moyen de sécuriser les approvisionnements et de financer leur sortie de crise.
Pourquoi la France ne rentre-t-elle pas dans le jeu ? Par archaïsme et idéologie. Archaïsme oui parce qu'une partie de l'opinion est convaincue que l'exploitation des gaz de schiste est extrêmement polluante, ce qu'on ne sait pas puisqu'on ne peut pas faire des expériences et des recherches qui pourraient faire évoluer et progresser les procédés d'exploitation. Derrière tout cela il y a aussi l'idéologie de ceux qui pensent que la croissance n'est pas nécessaire au progrès de la vie et qu'on pourrait s'organiser autrement. Idéologie et utopie se nourrissent souvent l'une de l'autre pour accoucher d'un retour en arrière.
L'outil juridique qui autorise un tel archaïsme c'est évidemment le principe de précaution. Inscrit dans la constitution et qui bloque tout. Un chercheur américain affirmait que « si le principe de précaution avait été appliqué, jamais les Français n'auraient laissé rouler les automobiles, jamais ils n'auraient pu faire voler les Airbus, jamais le General de Gaulle n'aurait autorisé l'exploitation du gaz de Lacq ou l'énergie nucléaire. »
Cela dit, c'est dans la gestion des dépenses publiques et sociales que la France est particulièrement réactionnaire.
Faute d'accepter de considérer qu'on pourrait avoir les mêmes services publics en les payant moins cher, sauf de prendre en compte les réalités de la démographie, de l'espérance de vie, des progrès de la santé, on risque fort de laisser le modèle social se dégrader alors qu'on croyait le protéger.
La réforme des retraites offre une formidable occasion de modernité ou de régression. Pour la classe politique tout entière. De droite et de gauche. La réforme des retraites est une occasion unique de faire preuve de courage politique ou de lâcheté démagogique.