Le PIB : la grande illusion de richesse et le grand bug économique

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Par Alain Desert Modifié le 3 juillet 2013 à 12h55

Le PIB : mesure-t-il la création ou de la destruction de richesses ? Les deux peut-être, ou bien autre chose ! C'est une question qui peut paraître bizarre ou saugrenue tant l'évidence s'impose à nos brillants économistes.

J'ai écrit un article sur ce site intitulé « Le PIB, un bon ou un mauvais indicateur ? » pour chasser quelques idées reçues à propos de cet indicateur souvent présenté par les économistes et les politiciens comme le reflet de la création de richesses. J'avais démontré à travers quelques exemples simples, qu'il y avait rarement création de richesses durables dans nos processus de production, mais beaucoup de destructions, et qu'on oubliait souvent la notion d'entropie chère à nos physiciens.

Je propose à présent de compléter la réflexion sur cet indicateur que je qualifierais d'indicateur fourre-tout tant il inclut une variété d'éléments qui n'ont pas grand chose en commun : biens matériels, services marchands, services non marchands, production du secteur privé, production des administrations publiques, etc. Comme on le dit souvent, on mélange un peu les torchons et les serviettes.

Un petit rappel sur la définition du PIB (Pour mémoire : le produit intérieur brut)
On définit souvent le PIB comme l'indicateur économique qui mesure pour un pays donné, la production globale de richesses (valeur ajoutées des biens et services créés) au cours d'une année par les agents économiques résidant à l'intérieur du territoire national.

Comment faut-il interpréter l'indicateur PIB ?

Prenons tout d'abord quelques exemples :

Secteur privé :
1. Le salon de coiffure. La contribution au PIB du salon de coiffure est par nature essentiellement de type « service ». Le coiffeur ou la coiffeuse vous facture son savoir-faire et occasionnellement un petit produit de beauté pour cheveux histoire de ne pas sortir les mains vides. Par conséquent, une grande partie du chiffre d'affaires réalisé sera comptabilisée dans le PIB vu que les consommations intermédiaires sont faibles.

Que se passe-t-il d'un point de vue économique ? Imaginons que la prestation soit facturée 50 euros. Arrivé le moment du règlement, on observe un transfert de 50 euros de la poche du client vers la caisse enregistreuse du salon ; le paiement de la prestation alimente un flux d'argent qui permettra à une personne de disposer d'un salaire ou d'un revenu, avec comme conséquence l'inclusion de ces 50 euros dans tous les dispositifs étatiques qui entendent comptabiliser cette somme à divers fins, comme son intégration dans le PIB ou dans la déclaration de revenus afin d'en produire un impôt (voilà une production intéressante !).

Vous sortez du salon de coiffure avec comme seuls résultats des cheveux plus courts, mis en forme ou bien colorés. Où est donc la création de richesses? Pourtant le PIB a bien progressé et en retour nos économistes et nos politiques sont rassurés ! A noter aussi que la quantité de monnaie n'a pas varié (ce qui conforte le constat de non création de richesses).

L'entreprise qui fabrique des produits. Sa contribution au PIB est davantage matérialisée car elle fabrique des biens matériels qui ont comme caractéristiques de posséder une forme, une structure, une fonctionnalité bien définie. Il est assez aisé de définir la valeur ajoutée de ces produits : elle intègre la recherche, les processus de fabrication, la logistique, les salaires versés, etc...

Que se passe-t-il d'un point de vue économique ? L'entreprise vend ses produits et comme pour le salon de coiffure il y a un transfert d'argent de la poche du consommateur vers l'entreprise qui redistribue une partie de son chiffre d'affaires à ses salariés (après quelques passages par des intermédiaires). La différence avec le salon de coiffure, c'est la présence d'un produit physique, palpable, qui peut conserver une valeur marchande pendant un certain temps (revente dans les brocantes, revente des cadeaux de Noël sur internet, voitures d'occasions, etc.).

Il y a donc une forme de production de richesses (au sens large bien entendu), et en même temps il y a eu destruction de richesses ou de ressources par la consommation de matières premières non recyclées, d'énergie non renouvelable, et l'utilisation d'équipements divers eux-mêmes destructeurs de ressources).
On observe à travers ces deux exemples empruntés au secteur privé, que l'on comptabilise dans le PIB des produits et des services marchands, valorisés à leurs coûts de production auquel s'ajoute la marge de l'agent économique.

Jusque là, peut-on identifier une quelconque anomalie ? A priori non, on additionne des valeurs ajoutées tout à fait légitimement, et on mesure ainsi l'ensemble de la production de biens et de services en unités de monnaie. Voilà pour le secteur privé.


Secteur de la fonction publique : un PIB

Autant il est facile de comptabiliser les valeurs ajoutées dans le secteur privé, autant cela paraît plus compliqué et plus subjectif concernant le secteur public, car il n'y a pas systématiquement une contrepartie marchande à certaines formes de production (cas des services de préfecture ou de l'enseignement), du fait qu'une grande part des services fournis est gratuite ou non valorisée au coût réel de production.

En règle générale, les administrations publiques ne génèrent pas de chiffres d'affaires à proprement parler. Certaines administrations peuvent même être vues uniquement comme des centres de coûts si la gratuité des services fournis est partielle ou totale.

Par conséquent, pour comptabiliser la « production » de la fonction publique, l'administration retient le principe de valoriser les biens ou services produits aux coûts des facteurs de production (on est donc assez proche du montant des salaires versés).

A partir de ce constat, est-il pertinent de parler de valeurs ajoutées (au sens comptable) dans les secteurs des armées, de l'enseignement, des services de préfecture, etc. Il n'est pas question bien entendu de remettre en cause ces services, ce n'est pas l'objet de cet article. La question que je pose est de nature comptable et elle suggère la pertinence d'intégrer ces valeurs ajoutées dans le PIB en s'appuyant sur des critères qui peuvent paraître arbitraires.

Prenons quelques exemples :
Enseignement. L'enseignement est le domaine par excellence où il est impossible de valoriser la « production ». Comment chiffrer la transmission des connaissances et du savoir et la qualité de l'éducation ?. Et pourtant la « production » de l'enseignement s'ajoute au PIB. Si les professeurs étaient payés 2 fois plus, les valeurs ajoutées de l'enseignement qui viennent s'inscrire dans le PIB doubleraient ! N'y aurait-il pas là une anomalie comptable flagrante de prise en compte de cette « production » dans notre indicateur fourre-tout. Et pourtant la valeur ajoutée (prise cette fois dans un sens non comptable) est considérable, et n'a pas grand-chose à voir avec le salaire des enseignants.

Armée. Quelles est la véritable production de l'armée ? Sont-ce des missions de sécurité, des opérations militaires de combat, des missions de reconnaissance, des opérations d'entraînement, des cibles criblées de balles, des défilés militaires, etc... C'est évidemment tout cela à la fois, mais il serait un peu osé de parler de production ; l'armée détruit les paysages des camps d'entraînement, elle consomme beaucoup d'énergie fossile, elle est très coûteuse pour nos finances publiques. Encore une fois, si on peut qualifier la production, peut-on la quantifier en valeur et l'inclure dans le PIB ?

Services de préfecture. Certains services sont payants, d'autres gratuits. Le tarif des services payants contrairement à un produit marchand sont définis arbitrairement. Il s'agit davantage de taxation. La carte grise vous est facturée en fonction de la puissance de la voiture, des décisions en matière fiscale, mais certainement pas à son coût de production. Comment alors inclure la « production » des services de préfectures dans le PIB ? Et pourtant la comptabilité nationale y parvient sans que cela lui pose un quelconque souci technique !

A priori, il n'est pas choquant d'introduire la « production » de la fonction publique dans le PIB même si les méthodes de calcul peuvent paraître arbitraires. Il est intéressant de valoriser au sens comptable tout le travail effectué dans ces secteurs afin d'en estimer leurs poids en absolu, et leurs poids au regard de la production du secteur privé.


Cependant, à travers ces exemples, il paraît évident qu'une certaine illusion peut envahir les esprits des politiciens et des économistes ; l'illusion de la richesse, de la production, de la croissance.

Plus le poids du secteur public est important plus le PIB est important et plus le secteur privé en souffre par un impact fiscal au niveau des entreprises et des foyers qui auraient alors tendance (en effet de deuxième tour) à moins consommer, donc à réduire le PIB suite à une régression du pouvoir d'achat. C'est beau l'économie ! Eh oui, il est toujours difficile d'avoir le beurre l'argent du beurre et le sourire de la crémière !

Le PIB n'est en rien un indicateur de création de richesses. A chaque fois que vous entendrez le contraire de la bouche d'un économiste, dites-vous bien que c'est une belle ineptie. Cet indicateur mesure simplement la production au sens le plus général qu'il soit. Il ne tient absolument pas compte des destructions et de l'épuisement des ressources (énergies fossiles, matières premières, terres arables, qualité des eaux et de l'air, forêts, paysages, disparition des espèces animales et végétales).

Biais introduits dans d'autres indicateurs macro-économiques que le PIB

De nombreux indicateurs macro-économiques sont calculés sur la base du PIB : déficit budgétaire, dette publique, croissance, contribution relative des différents secteurs économiques, etc.
Une des questions proposées en début d'article était de savoir si le fait d'inclure la production des services publics dans le PIB n'introduit pas un biais d'interprétation sur les indicateurs qui en découlent.

On vient de le voir, lorsque l'état embauche de nouveaux fonctionnaires, il fait augmenter le PIB. Il génère donc de la croissance et parallèlement du déficit (donc un coût de financement) si les moyens pour financer ces nouveaux emplois font défaut. On a donc une bonne et une mauvaise nouvelle : les économistes sont heureux car il y a de la croissance (tout du moins dans un premier temps), et les citoyens un peu moins car ils vont se voir prélever tôt ou tard de nouveaux impôts ou de nouvelles taxes qui entameront leur pouvoir d'achat et pénaliseront d'autant l'activité économique (cherchez l'erreur !).

Lorsque le poids de la fonction publique est important, on se trouve donc dans une configuration curieuse où le déficit à tendance à augmenter face à un PIB qui augmente également, justement grâce à ce déficit généré. Il y a une forme de récursivité qui est un peu bizarre ! On discerne assez aisément que l'interprétation que l'on peut faire des indicateurs macro-économiques calculés sur la base du PIB peut être sujette à caution.

Conclusion
La grande illusion est de croire que plus le pays produit, plus il s'enrichit. Une part importante du PIB est consacrée à répondre à nos besoins fondamentaux (nourriture, logement, sécurité, ...) à vaincre l'entropie, l'usure naturelle des choses (réfection des bâtiments, des logements, des routes et ronds-points, remplacement des objets qui s'usent, qui cassent ou qui tombent en panne, renouvèlement des connaissances perdues dans nos mémoires faillibles grâce à la formation, etc..). Peu de richesses créées dans les exemples cités. Ce n'est que de l'entretien (donc des coûts) prenant chaque année plus d'ampleur à cause de la prolifération des infrastructures et des objets qui nous entourent.

Le grand bug économique est de ne pas comptabiliser les destructions et l'épuisement des ressources

· Sans énergie il n'y a plus de production.
· Moins de terres arables c'est moins de nourriture.
· Moins de forêts c'est moins de biodiversité, moins de bois et de médicaments à base de plantes.
· Moins d'espèces vivantes c'est la disparition définitive d'un patrimoine naturel, une réduction de la biodiversité qui accentue le processus de destruction et c'est davantage de déséquilibres.
· Moins d'eau potable ce sont des maladies et/ou des conflits.
· Davantage d'équipements c'est de la destruction définitive des terres ou des paysages.

Ne pas prendre en compte ces phénomènes c'est ignorer ce que l'on appelle les externalités (influence d'un agent économique sur un autre agent sans que celui-ci en soit partie prenante), c'est oublier les richesses procurées par la beauté des paysages et la nature en général souvent sacrifiés par notre développement, c'est entretenir la grande illusion.
En conclusion on pourrait dire que plus on produit, plus on détruit et plus on a l'impression d'être riche. Vive le PIB !

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Ingénieur en informatique, Alain Desert a longtemps travaillé sur des plates-formes grands systèmes IBM où il a eu l'occasion de faire de nombreuses études de performances. Il est un adepte de l'approche systémique.

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