Avec cette crise qui n’en finit pas, la fuite des talents s’accentue. Près de 80 000 personnes chaque année, des jeunes pour la plupart, font le choix de s’expatrier pour saisir des opportunités d’évolution de carrière et de rémunération plus favorables.
Loin d’être anecdotique, la tendance doit-t-elle nous inquiéter quand on sait qu’elle touche en premier lieu les plus diplômés et les plus entreprenants ou constitue-t-elle un moyen de renforcer notre influence et notre compétitivité dans le monde ?
Si le débat divise les experts, il doit être l’occasion de nous interroger sur les moyens de redonner toute sa place à une jeunesse en proie au doute, qui a de plus en plus le sentiment d’être sacrifiée. Les chiffres sont terribles et nous révèlent une génération désabusée. Seul 1 % des jeunes estime que le système éducatif français prépare efficacement au monde du travail et à la vie active, 50 %, pas trop, 33 % pas du tout et 16 % un peu. L’enquête Génération Quoi, réalisée par France Télévision et l’Insee auprès de 210.000 jeunes, dresse un tableau bien sombre, que conforte l’étude du sociologue Louis Chauvel (1), pour qui la France est de tous les pays occidentaux, celui où les inégalités entre les générations sont les plus fortes, provoquant un sentiment d’absence de considération et d’avenir chez les plus jeunes.
Le constat amer d’un manque de perspectives
Il est vrai qu’un chômeur indemnisé sur deux a le Bac, que 25 % d’entre eux ont un niveau Bac+2 ou plus et que 24 % des jeunes se retrouvent au chômage moins d’un an après la fin de leurs études, selon l’Insee. Un manque de perspectives résultant d’une économie atone et d’un marché du travail sclérosé, qui retarde leur accession à un emploi stable vers 28 ans au lieu de 20 ans en 1960, et accélère leur mobilité de 3 % à 4 % chaque année depuis 10 ans. S’il le fait que les talents français aillent se frotter à d’autres cultures et enrichissent leur regard est positif pour notre tissu économique, encore faut-il être capable de les inciter à revenir.
Or « le baromètre 2015 de l’humeur des jeunes diplômés » de Deloitte, nous montre que parmi ceux qui ont déjà sauté le pas 65% d’entre eux ne se voient pas revenir en France et déclarent que leur avenir est à l’étranger. D’où la crainte des entreprises de voir les meilleurs profils leur filer entre les doigts. L'industrie française peine déjà à recruter des ingénieurs selon les indicateurs du Syntec, ceux-ci préférant s'expatrier dans l'espoir d'avoir une carrière plus dynamique et rémunératrice à l'étranger. Une perte de capital non seulement humain mais aussi financier. Chaque diplômé d'études supérieures ayant reçu du pays (frais de santé compris) une somme tournant autour de 200.000 euros depuis sa naissance, ce sont à ce rythme, 5 milliards d'euros qui s'envolent sur une année selon Bercy.
Redonner confiance
Société et entreprises doivent susciter à nouveau l’espoir pour que se réveillent les enthousiasmes. Paramètre essentiel de cette reconquête des esprits : l’opportunité. Les pays qui réussissent, retiennent et attirent les talents, sont ceux qui créent un environnement favorable à la croissance, facilitent la vie des entreprises, attirent les investisseurs et nourrissent ainsi une culture de la réussite. Le moyen de retrouver une dynamique de la prospérité. En France, 43 % des 25-34 ans sont diplômés de l’enseignement supérieur contre 26 % en Allemagne (2), un chiffre supérieur à la moyenne de l’OCDE (38 %) dont nous devons faire un véritable atout. Cela passe notamment par une refonte de notre système de formation et une véritable « professionnalisation » de l’enseignement avec des filières adaptées aux demandes réelles des entreprises et du marché.
Après avoir été sacrifié sur l’hôtel des économies, l’apprentissage semble retrouver droit de citer. Il était temps car il constitue un tremplin essentiel vers l’emploi. Autre piste à encourager : la création d’entreprise. Il est navrant de constater que seuls 42 % des étudiants déclarent vouloir suivre cette voie et qu’ils ne sont que 35 % à avoir suivi des ateliers consacrés à l’entrepreneuriat, selon Deloitte. Si nous ne voulons pas hypothéquer notre avenir, il apparaît urgent de redonner toute sa place au goût d’entreprendre, de créer, d’innover, en libérant les curiosités et les imaginations. Notre pays dispose pour cela de nombreux atouts et demeure l’une des principales terres d’accueil des talents et investisseurs étrangers, démontrant qu’il est possible d’y réussir. Mais pour cela, nous devons faire davantage confiance aux hommes, à leurs idées, à leurs rêves, car ils sont le capital de notre avenir.