Je suis un phobique administratif. Je ne veux surtout pas dire par là que je n’aime pas payer mes impôts ; je veux dire par là que je n’aime pas avoir à calculer leur montant, à remplir laborieusement un formulaire, à le glisser dans une enveloppe, à y coller un timbre et à trouver une boîte aux lettres pour poster le tout.
En tant qu’entrepreneurs, face à la lourdeur des démarches administratives qu’on vous impose, vous souffrez probablement de la même phobie. Pire encore, puisqu’il s’agit de consommation collaborative, nos entreprises permettent à tout un chacun de devenir à son tour un mini-entrepreneur.
Une armée de phobiques administratifs, donc.
Car avec l’essor de la consommation collaborative, chacun devient le chef de sa propre mini-entreprise. Chacun peut vendre des services (un voyage sur Blablacar.fr), des biens (un canapé d’occasion sur LeBonCoin.fr), ou devenir loueur (de l’espace pour du stockage sur Costockage.fr). Le dernier rapport de la commission des finances sur la consommation collaborative le dit très bien :
«dans un contexte où le salariat est de moins en moins la norme et où le travail indépendant progresse (...) il devient nécessaire de repenser globalement le statut de ces travailleurs de l’économie collaborative. (...) À terme, la question du passage à un modèle où les obligations contributives et la protection sociale ne sont plus attachées au statut (salarié etc.) mais à l’individu se posera. »
Le rapport fait un constat évident : les revenus de la consommation collaborative, pourtant imposables au titre de l’impôt sur le revenu, ne sont que très marginalement déclarés. Loin de condamner les plateformes et leurs utilisateurs, les auteurs s’en prennent au retard du système fiscal. En effet, celui-ci n’est pas prévu pour faciliter la déclaration de multiples petits flux de revenus. Et devant la complexité, en bons phobiques administratifs, beaucoup abandonnent.
La commission des finances fait ici preuve d’une vision lucide et étonnamment pragmatique. Partant du principe que les transactions sur internet sont entièrement numérisées, elle propose une déclaration des revenus à la source transmise par les plateformes. Rien de bien compliqué, puisqu’elles disposent des données. Un problème néanmoins: les sites de petites annonces à faible valeur ajoutée ne proposant pas de paiement en ligne, comme LeBonCoin, resteraient dans une zone d'ombre ou le black prospère.
Pragmatique encore, le rapport prévoit une franchise de 5000€ en-deçà desquels l’utilisateur sera exempté d’impôt. Une façon de prendre en compte les charges supportées par l’utilisateur dans le cadre de son «entreprise» collaborative. La commission confirme ici sa vision du particulier comme un agent économique qui, au même titre qu’une entreprise classique, peut déduire les charges de son revenu pour n’être imposé que sur son bénéfice.
Le pragmatisme, justement, est une des valeurs fondamentales de l’économie collaborative : nous tentons d’apporter une solution pragmatique à une utilisation non-optimale des ressources. Pourquoi ne pas mutualiser la place dans ma voiture plutôt que de voyager à vide ? Pourquoi ne pas utiliser l’espace inutilisé dans mon quartier pour y déposer mes cartons plutôt que de les déménager, loin, dans un garde-meuble hors de prix ?
Nos plateformes tentent chaque jour de rendre plus efficient l’accès à ces services: plus aisé, rapide et transparent. Fini les demandes de devis, les souscriptions à une assurance, les états des lieux, etc. Tout cela est désormais numérisé et automatique. Rendre le recouvrement de l’impôt plus efficient, c’est exactement le but recherché par ce rapport, et il faut l’applaudir.
Voyez un peu : pour une fois la proposition cherche à simplifier. Sans ajouter la moindre démarche supplémentaire pour l’utilisateur, sans créer de nouvel impôt et en conservant pas mal de souplesse grâce à la franchise.
Le rapport va jusqu’à réaffirmer le rôle, cher à nos plateformes, de « tiers de confiance ». Cette fois non plus dans les garanties de paiement ou de sécurité apportées, mais dans la collecte de l’impôt. Il cherche même à établir un système suffisamment inclusif pour ne pas « figer les business models de l’économie collaborative dans le marbre d’une instruction fiscale » et favoriser ainsi « l’émergence d’éventuels « champions » français ».
Il faut se réjouir de tant de bienveillance de la part du législateur, et il faut que nous, entrepreneurs de la consommation collaborative, saisissions cette chance : nous pouvons devenir les fers de lance de la modernisation fiscale. Les startups de la consommation collaborative peuvent devenir le laboratoire d’une fiscalité qui n’entrave pas, et qui, parce qu’elle s’appuie sur des outils technologiques qui nous sont familiers, simplifie la vie de nos utilisateurs. N’est-ce pas notre raison d’être ?